CECI n'est pas EXECUTE 12 octobre 1860

Année 1860 |

12 octobre 1860

Victor de Persigny à Alfred de Falloux

Broadlands1

12 octobre 1860

Mon cher ami,

J'ai reçu votre lettre dans l'île d'Aran2 chez le duc d'Hamilton3 et le numéro du Correspondant seulement à Londres à mon retour ce qui vous expliquera le retard de ma réponse.

Je commence par vous remercier des ménagement que votre généreuse amitié a bien voulu mettre dans la discussion. Personnellement, je connais depuis longtemps votre cœur et je ne m'en étonne pas. De même laissez-moi vous dire tout d'abord que quelle que soit la différence de ma situation, aucun sentiment d'aigreur et d’irritation ne pourrait entrer dans mon cœur quand il s'agit de vous.

J'arrive maintenant à votre article4 du Correspondant. Comme tout ce qui sort de votre plume, il est aussi remarquable par la forme, par la chaleur et l’habileté que par l'air de conversation. Mais, mon cher ami, permettez-moi de vous parler franchement. Je trouve que ce réquisitoire fait de bonne foi, je n'en doute pas, est cependant si contraire à la réalité des choses que je suis forcé de croire ce que vous ne voulez pas voir la vérité ou que vous ne pouvez pas la voir. C'est qu'en effet dans la situation où vous êtes comment pourriez-vous comprendre la situation si différente de la France impériale. Ce que vous voulez à tout prix, c'est le maintien matériel de la domination temporelle du Pape, en dépit des causes qui dans le siècle où nous vivons tendent de plus en plus à rendre moralement impossible le gouvernement des prêtres. Ce que vous voulez surtout c'est qu'envers et contre tous l'Empereur soit condamné à rester à votre profit le gendarme de la cour de Rome, mais bien entendu sans être obligé à la moindre reconnaissance en dédaignant ses conseils et tout prêt à profiter de la complaisance même pour l'affaiblir aux yeux du peuple.

Naturellement quand l'Empereur refuse d'être le docile instrument des passions de votre partie vous croyez à la trahison, à l'hypocrisie, à l'anathème et je ne doute pas que vous ne soyez encore muni de la meilleure foi du monde. Mais en réalité de quel droit vous plaignez vous. Encore une fois, ce n'est pas l'Empereur qui a abandonné des légations, c'est l'Autriche à qui vous ne reprochez rien. Vous niez à son sujet un fait aussi éclatant que le soleil. Il avait été convenu que le territoire papal serait neutre et que nos deux corps d'occupation y resteraient l'arme au bras. Pourquoi l'Autriche a-t-elle manqué à sa mission ?

<Mot illisible> depuis longtemps aux évènements elle a eu pendant toute la guerre la supériorité numérique sur nous. Quelle que fût la cause de la guerre et ayez là-dessus l'opinion qui vous plaira, c'est l'Autriche qui en abandonnant le territoire Papal confère à la garde a enveloppé le pape dans la question italienne.

Puis quand l'Empereur a proposé une transaction honorable qui pouvait à jamais assurer la sécurité du pape c'est encore votre partie qui l'a repoussé avec insulte. C'était cependant une chose si énorme à faire accepter de l'Europe libérale que quand avec des peines infinies j'obtenais la sentiment de lord Palmerton, je croyais avoir gagné pour le pape l'avantage le plus éclatant et le plus inespéré. Mais je n'avais pas prévu qu'un parti sans force morale et sans force matérielle parlerait et agirait comme s’il avait le monde à ses pieds et les armées de l'Europe à ses ordres; je pourrais encore moins prévoir qu'il s'aveuglerait assez sur les choses de son temps et de son pays pourquoi à l'instant qu'il allait décréter la déchéance de l'Empire par mandement d’évêques.

Voilà, mon cher ami, ce que j'ai voulu faire comprendre à Roanne et ce que vous m'obligez à vous dire aujourd'hui. Je sais que cela ne servira à rien. Les partis ne transigent pas et celui que vous servez moins que d'autres. Depuis dix ans au lieu de faire servir à l'intérêt du pape la bonne volonté de l'Empereur, votre parti n'a cherché qu'à se servir du Pape contre l'Empereur au grand détriment du Pape et il ne s'arrêtera que quand il aura achevé de sacrifier le Pape à sa haine pour l'Empereur.

Vous voyez, mon cher ami, que quoique je l'espère homme de conscience comme vous nous sommes bien éloignés l'un de l'autre. Cela ne vous fera t-il pas réfléchir, comme je réfléchis de mon côté en voyant votre attitude? Au lieu de marcher l'un et l'autre dans un sens si opposé ne serait-il pas plus utile que nous cherchions ensemble à facilité la solution?

Ne pourriez-vous pas enfin déposer un instant vos préventions  contre l'Empereur, et une défiance contre votre parti pour chercher les éléments d'un arrangement avantageux. Quoi que je sois convaincu que dans tout ceci rien ne peut affecter la situation de l'Empereur tant il dispose de la confiance des masses, je serais bien sincèrement disposé à chercher avec vous des moyens d'arranger les affaires du Pape.

Je vais partir pour Chamarande dans les premiers jours de la semaine prochaine, seul, malheureusement, parce que ma femme est trop avancée dans sa grossesse et doit rester avec les enfants à  Tunbridge5. Si vous pouviez venir me voir à Chamarande et quoique ma maison soit encore bien mal organisée, je serai charmé de vous y recevoir quelques jours pour causer ensemble en toute liberté de ces graves intérêts

Ma femme me prie de la rappeler à votre bon souvenir. Mille compliments aussi à Madame de Falloux, mademoiselle Loyde et mes amitiés les plus dévoués.

F de Persigny

Si vous me répondez un mot, adressez votre lettre à Paris hôtel des Trois Empereurs.

 

1Domaine situé dans le Hampshire (Angleterre), propriété de Lord Palmerston.

2Archipel situé à l’ouest des côtes irlandaises.

3Hamilton, William Alexander d’ (1811-1863), duc et marquis de Douglas.

4Le Correspondant venait de publier un article de Falloux sur la question dont il est question ici intitulé « Les antécédents et les conséquences de la question italienne ».

5Ambassadeur de France à Londres, Persigny s’était installé à Tunbridge Wells, situé à 50 km de Londres.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 octobre 1860», correspondance-falloux [En ligne], Année 1860, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 21/12/2023