CECI n'est pas EXECUTE 25 septembre 1853

Année 1853 |

25 septembre 1853

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay – Orne 25 septembre 1853

Mon cher ami, mes torts sont inexprimables ; mais vous êtes bien vengé par mes remords et mon amitié. Je ne vous dirai pas que, depuis ma dernière lettre, nous n’avons pas cessé de posséder ici des parents arrivés de loin, que les papiers qui m’étaient nécessaires et ne sont jamais chez moi, se sont fait attendre. La principale raison ou excuse, outre mes multitudes d’embarras, était celle-ci : la réponse est hérissée de difficultés, ce n’est pas du loin que je puis vous satisfaire entièrement ; il faudrait beaucoup de preuves et des détails à l’appui de mes informations. Elles ne m’appartiennent pas exclusivement. Sur ce point, je m’abandonne à votre délicatesse, et ne veux, quoique bien incomplet, m’ouvrir à vous que sous le secret de la confession. Ce sera à la condition que vous ne ferez de mes confidences, intéressant des tiers ou l’ancien gouvernement, aucun usage public, nominatif et précis ; que vous me rendrez la partie de ma réponse écrite sur les feuilles détachées ci-jointes, car nous ne serions pas en règle si nous n’avions pas prévus les circonstances fortuites qui ne dépendent pas de nous. N’allez pas me ranger dans le parti des souris...Je n’ai de ce rongeur que la témérité. Mon hésitation tient à de justes scrupules envers un ami; j'en ai aussi au point de vue des fonctions qui m'ont été confiées, il y a 4 ans

 

Vous me demandez les causes du 30 octobre pour mettre de l'exactitude dans vos souvenirs selon vos désirs. J'ai adressé, sans lui dire ni le pourquoi ni l'occasion, la même question à Alexis. Il m'a répondu de la manière la plus conforme à ce qu'il m'avait écrit à ce sujet, en 1849, au moment où l'événement avait lieu.

Dans son opinion, le chef n'a jamais voulu de transaction sur le terrain que la majorité et la nuance particulière des amis d'Alexis1 considéraient comme nécessaire. Ce chef a varié dans son jeu, non dans la poursuite de son but. Ses anciennes relations italiennes, l'idée inexacte qu'il a conservé longtemps relativement à l'utilité, pour sa politique, de certaines conditions exigées du Saint Siège, ses antécédents et sa situation, en un mot, l'ont déterminé à envoyer, par un des siens, la lettre du 18 août. Je passe tout le récit qui m'a été fait de ce dernier incident. Il mérite, cependant, un examen contradictoire sur pièces, et je n'hésite pas à vous dire que nous ne devons pas mourir l'un et l'autre, sans y procéder. Je vous aime avec ma fidélité pleine d'attraits; ma confiance en vous est telle que vous pouvez la désirer; mais nous n'avons pas encore causer à fond de ce qui sera tôt ou tard recherché par l'histoire dans cet acte où notre responsabilité catholique était fort engagée. 

Me bornant donc ici à ce qui a suivi la lettre du 18 août, il me paraît résulter du commentaire d'Alexis, que le 30 octobre a surtout été dans son ensemble une conséquence de cette lettre. Le Président voulait une satisfaction à cet égard. Il voulait sans doute autre chose et la lettre n'explique pas tout, mais cette satisfaction publique, parlementaire ou du moins ministérielle, était devenue un besoin impérieux de son amour-propre blessé. Or, il ne l'a pas trouvée suffisamment dans son cabinet, et encore moins dans la majorité telle qu'elle s'est déclarée par la composition de la commission des crédits supplémentaires et par le rapport de M. Thiers. Après le vote, il a tenté d'engager le cabinet contre la majorité par une nouvelle publication confirmative de la lettre du 18. On lui a opposé un refus. A ce moment, Alexis pense que si lui et ses amis avaient accepté la partie, ils auraient été trouvés jusqu'à nouvel ordre, tout aussi bon que les diverses couches ministérielles qui ont succédé. S'il n'admet nullement que la majorité eut alors des chances de s'accommoder avec l'auteur de la lettre qui avait essayé, je le répète, de confirmer celle-ci après le vote sur les crédits, par une nouvelle manifestation, et d'y engager le cabinet, car si la majorité eut accepté les seules conditions qui eussent été faites elle se serait démentie et n'eut plus été ce qu'elle était.

Sans doute vous représentiez dans le conseil une nuance qui était nécessaire au Président pour ne pas dépendre de l'autre ; mais si celle-ci avait consenti à devenir la sienne, il y aurait peut-être trouvé son compte. Il jugeait la vôtre et celle de la majorité trop royaliste, celle d'Alexis et de ses amis trop constitutionnelle et républicaine. Il lui a toutefois paru prudent de les réunir pendant un temps dans son conseil, tant qu'il n'a pas vu l'opportunité de sa grande lutte. Vous parti, le trait d'union n'existait plus et le cabinet restait plus faible vis-à-vis de la majorité, plus faible vis-à-vis du Président dès qu'il refusait de soutenir sa politique. Cette circonstance a paru favorable au pouvoir le plus fort pour vaincre à la fois vos amis, ceux d'Alexis, la majorité et l'assemblée toute entière, en élevant sur toutes les théories invoquées et sur toutes les tendances plus ou moins secrètes de ses rivaux, la prétention très marquée de son gouvernement personnel. 

Tel est le 30 octobre, sa cause principale. Les feuilles détachées contiennent des détails et des preuves à l’appui. Ce qui me concerne n'a qu'une importance bien secondaire; mais je suis obligé de la relater parce qu'il sert à caractériser la disposition d'esprit d'Alexis. Le Président n'a pas hésité à contredire sa propre politique, par de nouveaux procédés envers le St-Siège, à partir de ce moment et il a bien fait à son point de vue. L'opinion publique avait tout à fait cessé de se tourmenter des affaires de Rome qu’elle oubliait parce qu'il n'y avait plus là que des faits accomplis et parce qu'elle se préoccupait davantage de la situation intérieure. Il est d'ailleurs douteux que cette opinion ait jamais été aussi émue par les questions soulevées en Italie qu'on l'a supposé; 

dans tous les cas la tentative d’émeute du mois de juin et les dangers suscités par la lettre avaient fort calmé les amateurs du programme libéral en Italie. Ce qui importait au président, c'était de ne pas être contredit, remontré, battu par l'Assemblée. Le désaveu, par lui-même, de ses anciennes prétentions envers le pape ne lui coûtait plus rien en de telles circonstances et avec la compensation de sa victoire du 30 octobre. Ajoutez que cette victoire commençait pour lui une situation nouvelle et que la politique du sacre date de là. Malgré l'abandon du programme des réformes, il lui a fallu 5 mois pour apaiser les méfiance du Saint Siège et obtenir la rentrée du Pape à Rome.

Ce qui achève de prouver que le Président n'a jamais voulu la transaction dont on avait l'espoir, c'est que l'affaire de Rome étant à peu près terminée à la satisfaction de la majorité de l'Assemblée, lorsque la demande de la révision constitutionnelle a surgi, MM. de Broglie, Berryer, Saint-Priest Moulins2, Vatimesnil, Vitet, Montebello3, se sont réunis très souvent chez M. Molė avec l'intention avouée de faire adopter cette révision. C'était une avance considérable, et nous étions presque tous disposés à conclure, en outre, pour une réunion anticipée de constituante, ce qui eut assurément amené la prolongation des pouvoirs du Président. J'en sais quelque chose puisque j'ai assisté à toutes ces réunions. Louis Napoléon ne les ignorait pas. M. de Broglie présidait la plus nombreuse fraction de l'assemblée, celle qui montrait le plus de confiance en l'élu du 10 décembre 1848. Et bien, celui-ci n'a jamais fait une seule démarche pour écouter, encourager ce qui se passait de ce côté. Cela ne lui a pas paru digne d'une ouverture, parce qu'il savait parfaitement que nos avances étaient conditionnelles, dans le sens de la majorité, et qu'il a toujours voulu tout ou rien.

Voilà, mon cher ami, le résumé de ce que je sais sur le 30 octobre de ce qui m'a été dit, je le crois, avec une entière sincérité confirmée par l'accord de ma correspondance de 1849 avec les derniers témoignages d'Alexis. Plus je réfléchis à votre revue historique4 et plus je la trouve difficile dans le temps où nous vivons. Sur le fond de notre ou plutôt de votre loi d'enseignement. Vous aurez bientôt mes pensées. C'est un travail à part. Si je n'avais dépassé de beaucoup le 1er terme annoncé, je vous dirais que mon envoi vous parviendra dans la huitaine ; mais vous avez le droit d'être incrédule. Je préfère vous surprendre non pas l'utilité de mon canevas mais par mon zèle aussi tendre que dévoué.

Personne ne vous est plus véritablement attaché que je ne le suis . Combien je désire vous savoir en santé et en courage vous et les vôtres! Offrez, je vous prie, mes respectueux hommages à Madame de Falloux5. Parlez de mes reconnaissants souvenirs à vos parents de Lion d'Angers6 et à ceux de vos prêtres vénérables que j'ai eu tant de plaisir à connaître. Monsieur le curé du Bourg d’Iré est en première ligne.

F. C.

Arnold Scheffer7 est mourant et m'a écrit des adieux aussi tristes que touchants. Il a pu recommander ce que vous désiriez. Son frère Ary m'a répondu aussi qu'il avait consenti à la copie de Saint-Augustin. Ainsi, ma négociation est terminée. 

J'ai vraiment cherché un secrétaire digne de vous être présenté. J'espère que vous l'avez trouvé.

Je ne vous dis rien de ce que vous savez. C’est une situation nouvelle qu'il est inutile de commenter. L'œuf est pondu. La Providence se chargera de la couvée et des poussins, sans aucune sédition des gens de bien et par les moyens qu'elle se réserve. Nous achevons ici nos jours de retraite le plus doucement du monde. De bons livres et des arbres plantés, voilà nos événements, nous en rapportant sur la suite de ceux qui nous dominent à celui dont les plans n'accordent qu'une faible part au libre arbitre des plus prévoyants et des plus habiles.

Je vous embrasse encore.

Feuilles détachées

Première nouvelle qui me soit parvenue de la lettre du 18 août.

...( Alexis à Francis Corcelle) 18 août ( particulière)

" je n'ai pas mis dans ma dépêche certains détails qui vous mettront mieux encore au courant de ce qui se passe.

Toutes les nouvelles d'Italie sont désastreuses depuis quelques jours. Elles annoncent un mécontentement extrême des populations contre le gouvernement du pape et une colère peut-être plus grande contre nous dont on attendait plus. Ce ne sont pas tant les lenteurs de Gaëte8 qui, en ce moment, préoccupent l'opinion. Ce sont les choix des gouvernants et leurs actes. Le symptôme le plus fâcheux se rencontre dans les lettres qui arrivent de l'armée ; toutes, sont empreintes d'un sentiment d'irritation et de honte à propos du rôle qu'on fait jouer à nos soldats.

L'ensemble de toutes ces nouvelles a fini par causer une émotion très grande dans le conseil et en particulier chez le Président de la République qui, ainsi que vous le savez, est très capable de se chauffer sans qu'on s'en aperçoive. Il en est résulté deux conseils très orageux ou mon rôle, quelque irrité que je sois moi-même, me sentant l'éditeur responsable de tout ceci, a été de calmer et de ramener à des résolutions raisonnables. On ne parlait de rien moins que de refuser de reconnaître les autorités pontificales à Rome et dans les provinces que nous occupons. J'ai demandé qu'on ajournât de telles mesures, et qu'on attendit pour les discuter que Falloux qui était malade, fut parmi nous. Il est revenu aujourd'hui au conseil. Il y a parlé noblement et habilement, ne cherchant pas à défendre ce qui se fait à Rome, mais demandant qu'on attendit avant de prendre un parti violent qu'on sut l'effet qu'avaient produit ses lettres et les miennes, son discours et le mien.

2. Le Président nous a alors montré une lettre qu'il avait écrite à son aide de camp Edgar Ney9 qui est, en ce moment à Rome, lettre dans laquelle il indique qu'il faut désapprouver ce qui se passe et s'opposer à tout ce qui aurait le caractère d'une violence politique. Le même courrier qui vous apportera la dépêche ci-jointe portera cette lettre.

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( suivent des détails qui exigent une conversation entre nous) après hésitation et réflexion, ces détails sont plus loin.

..... Plusieurs de mes collègues, surtout Barrot et un peu Dufaure lui-même, ont une tendance à trouver mauvais qu'on ait nommé le pape sans condition ou même qu'on ait laissé s'établir à Rome un gouvernement pontifical jusqu'à ce que nous eussions obtenu toutes les garanties dont nous avions besoin. Je crois qu'agir ainsi eut été impolitique, que nous nous fussions immédiatement jetés dans toutes sortes de difficultés diplomatiques, administratives, religieuses ...

En un mot, je crois que vous avez bien agi ; mais ces critiques amicales me font voir que là se trouvera le champ d'attaque pour nos adversaires, et que nos futurs successeurs, eux-mêmes ne manqueront pas de dire que nous avons manqué la véritable occasion..…"

 

( Alexis à Francis Corcelle - Particulier) 2 septembre 

( j'étais à peine debout, ma maladie a commencé le 24 juillet et ma convalescence dans les premiers jours de septembre....

." Cette malheureuse affaire de Rome me cause des impressions de plus en plus pénibles. Tout m'assure qu'elle finira très mal, en dépit de tous vos efforts. Je vois avec chagrin qu'il n'y a pas une parfaite identité dans nos points de vue ce qui tient sans doute à ce que vous êtes frappé du spectacle que vous avez sous vos yeux et moi du tableau qui est devant les miens. Votre disposition semble être celle-ci : faire tout ce qui est possible pour convaincre le Pape, et si on n'y parvient pas, on prendra le mieux qu'on peut son parti et s'arranger en conséquence de manière à ne se brouiller en aucun cas avec le Saint Siège.

Je suis de votre avis sur le premier point et je l'ai prouvé en empêchant toute mesure qui, dans les principes, put faire sentir la puissance de la France et nous donner des airs menaçants. Mais je ne puis me soumettre à votre conclusion. Rester en bonne intelligence avec le Saint Siège est sans doute très important ; mais ne pas faire jouer à la France un rôle ridicule en soi, et de plus, déplorable pour la politique générale du monde, ne pas prendre nous-même la responsabilité du rétablissement d'un gouvernement détestable, ce sont choses qui ont une valeur encore plus grande à mes yeux, je vous le confesse.

Veuillez, mon cher ami, me dire si jusqu'à présent notre entreprise peut se résumer autrement que dans le plus éclatant et le plus complet échec? Etc, etc....( suis une vive et amère critique de tous les actes du gouvernement pontifical.)

"Et vous croyez que les choses peuvent se passer ainsi et qu'après avoir protesté dans le secret d'une conférence diplomatique, tranquille au fond de notre conscience, nous pouvons nous croiser les bras et laisser aboutir à un pareil résultat notre expédition de Rome? Non cela n'est pas possible et ne sera pas, mon cher ami. Il faut, si l'opposition de la France est impuissante, au moins qu'elle soit publique ; que le monde sache que nous avons voulu et n'avons pas pu. Nous ne pouvons accepter le rôle d'être joués, battus, et contents. Vous dites qu'il faut se méfier des rapports qui viennent du Piémont et de Toscane. Mais sachez donc il n'y a pas, à l'heure qu'il est un point de l'Italie d'où ne s'élève un cri de colère et de mépris contre nous! Etc... etc.

Vous me disiez dans une autre lettre que M. Thiers et M. Molé n’étaient pas si exigeants que moi. Je le crois bien. Ils ne sont pas responsables. Ce qu’il leur faut, c’est que l’affaire de Rome soit enterrée et ne reste que dans notre succession.

Je reviens sur un détail de votre lettre. Vous prenez bien facilement votre partie du rétablissement de l'acquisition et de celle des tribunaux existent connus sous le nom de tribunaux des évêques et du tribunal du vicariat... Et quand vous me dites que l'Église ne peut faire une nuit du 4 août pour faire plaisir à nos lecteurs de feuilletons, en vérité je ne saurai être de votre avis. Ce ne sont pas les lecteurs de feuilletons qui demandent la répression de pareils abus c'est l'Europe toute entière, je devrais dire l'Europe civilisée, etc., etc....

Je vous paraîtrai peut-être trop animé dans cette lettre. Eh bien, c'est moi seul qui, depuis dix jours que Falloux est parti, tient le conseil en échec, au point de me faire soupçonner par mes amis, et l'empêche de prendre quelque parti violent. Le Président, surtout devient ingouvernable sur cette question, et, je le répète, sans mon opposition constante, on serait déjà fort loin du point qu'on occupe. Je partage l'impression du conseil. Mais je crois la manifestation publique, en fait ou en paroles, de cette impression, prématurée. Il n’espère plus. J'espère encore dans le bon sens du pape et en vous. Adieu. Les bonnes nouvelles de votre santé me remplissent de joie. Vous voilà debout. Le ciel soit loué ! Votre maladie a été un mal public. »

(F. C. à Alexis. Particulière. 20 août, Castellammare10,)

... Je ne vous cache pas qu'au point de vue pratique, c'est-à-dire pour arriver à une transaction avec la cour de Gaëte, la forme de vos dernières instructions était trop dure et quelques-uns de vos principes étaient contestables. Quant à votre discours de tribune, je vous en félicite, il est tout à fait exemple de défaut d'extrême vivacité que je trouve dans certaines propositions de vos instructions écrites. On ne peut parler plus convenablement, je me figure que la nature et le dénouement de cette discussion parlementaire auront un peu modifié vos vues. Remerciez Falloux, je vous prie, pour la manière si amicale donc il a parlé de moi, et félicitez le de son immense talent. C'est à vos communications que je dois les mentions dont j'ai été l'objet.

Je crois que la dernière partie de votre note du 19 août, remise au cardinal Antonelli11 vous mettra en règle vis-à-vis les catholiques et le clergé de France. C'est pour cela que je l'ai ajoutée sur mon lit de mourant..."

( j'avais en effet rédigé un une note officielle le 19 août et dès le 14 ma correspondance dictée avait été reprise ; mais M. de Rayneval12 me remplaçait alors a Gaëte et à Rome où je n'ai pu aller moi-même que le 19 septembre. Avec une lettre du Saint Père contenant l'ordre de publier son Motu proprio et l'amnistie.)

Je joins encore ici quelques échantillons de mes nombreuses lettres pour bien expliquer ma nuance et celle de mon correspondant.

(F. C. à Alexis 23 août ) Castellammare.

.... Nos affaires iraient peut-être plus vite si je n'avais mon propre corps à refaire...Je viens d'envoyer à M. de Rayneval, pour qu'il la communique au Saint-Père, une charmante est parfaite lettre de M. de Falloux; vous ne pouvez vous figurer rien qui soit plus loyal, plus délicat dans le fond et dans la forme, et de plus propre à presser dans le sens de nos demandes. M. de Falloux vous est un collègue bien précieux dans les conjonctures où nous sommes. Unissez-vous à lui. Il représente une force considérable parmi les gens de bien.

Je regrette d'avoir été interrompu dans mon action par une bien grave maladie, mais je n'ai pas à me reprocher d'avoir volontairement manqué à ma cause, et dans ma souffrance même j'ai retrouvé quelques forces au service de l'État.

Croyez-moi, le temps de vos instructions est trop vif, trop dur et il renferme des menaces qui seront sans effet. Un projet d'appel au jugement du monde catholique, aux États de l'Église et à la France en particulier ainsi qu'à toute l'Italie, contre la conduite de la Papauté, blesserait tous les catholiques en France s'il était connu.

Au fond, c'est une menace de bouleversement ou ce n'est rien. Un jugement moral provoqué de la sorte pour la France, dans les circonstances où nous sommes, pourrait passer pour une provocation à tout autre chose. Ce n'est pas un homme qui manque de fermeté qui vous écrit ces lignes ; mais il vit au milieu de toutes les difficultés, sur le théâtre où se passe la scène réelle et dans la pratique de l'affaire....,"

(F. C. à Alexis. Particulier. 7 septembre 1849.)

..... Vous trouverez peut-être le ton que j'ai pris sur les dangers de l'attitude nouvelle du cabinet trop haut et trop direct dans les avertissements que contient ma dépêche. Je suis convaincu qu'il m'est impossible de parler autrement. Ce n'est pas un plaidoyer, c'est une opinion aussi réfléchie qu'elle puisse l'être...

Le cardinal Antonelli nous a annoncé qu'avant la remise de sa réponse à notre note du 19 août, il avait besoin de faire une péroraison en réponse à cette partie de la pièce dont il s'agit, où j'ai développé, à ce qu'il me semble, de très solides raisons pour faire appréhender au gouvernement pontifical une réaction anti-religieuse mêlée de susceptibilités d'honneur national, appuyée par un dangereux mouvement de l'opinion publique en Angleterre dans plusieurs parties de l'Europe, tombant au milieu des agitations renaissantes de l'Italie, et troublant, pour longtemps peut-être, le travail de reconstruction de l'ordre entrepris par la France. Rien ne devrait être plus propre à émouvoir le Saint-Père. Mais je vous répéterai cent fois de suite qu'il n'a pas de points d'appui dans ses états et qu'au dehors il faut bien qu'il trouve cet appui qui lui manque chez lui. Or il ne peut choisi qu'entre la France et l'Autriche. De bonne foi, croyez-vous qu'après toutes nos escapades, toutes nos prétentions, et si vous n'y prenez garde, l'emploi bien téméraire de la contrainte, nous puissions avoir l'avantage sur un voisin immédiat qui est plein de déférence?

Entre les deux, il aimerait mieux son indépendance; mais s'il doit opter entre deux maux, il préférera la sécurité du moment, sous la garde de l'Autriche, à notre violence. L’Église sera, par contrecoup vouée, ainsi que toute la société a des épreuves bien douloureuses, et la France se sera engagée dans des difficultés inextricables. Je ne verrai plus qu'un congrès comme moyen d'éviter la guerre...

( cette idée d'un congrès pour éviter la rupture violente que je redoutais est ici développée. Elle a été une seule ruse pour gagner du temps). La question a été posée auprès de plusieurs cabinets qui ont refusé.

...., je ne puis concevoir, cependant, votre regret de l'expédition de Rome. Comment n'admettez-vous pas que l'Autriche eut tout arrangé dans l'État romain à sa façon, et que cette extrémité en compromettant l’Église eut inévitablement soulevé la France? La guerre générale eu été plus certaine dans cette voie qu'elle ne l'est aujourd'hui. On n'aurait pas eu la ressource d'un congrès pour la conjurer. L'Europe eut accepté l’œuvre accomplie de l'Autriche.

Je vous félicite de tout mon cœur d'avoir pris le rôle modéré dans le conseil. La paix est le premier besoin du monde si effroyablement ébranlé.

N'allez pas croire, d'après les concessions que vient de nous faire le cardinal Antonelli que ce soit la un effet de la politique d'intimidation. Vous pourriez bien obtenir quelques ménagements dès les premiers pas que vous feriez dans cette voie dangereuse, mais ne vous y fiez pas. Cela ne vous ne mènerait pas loin. 

( j'omets beaucoup de détails sur la nature des concessions demandées pour moi au Saint-Siège à l'occasion de la préparation du Motu proprio... Vous pouvez croire mon cher Falloux, que mes réflexions à ce sujet étaient modérées)

..... Vous voyez, mon cher Alexis, bien que l'effet produit pour deux manifestations aussi éclatantes que celles de votre discours et celui de M. de Falloux et de sa lettre, n’ont rien ou presque rien ajouté à mes remontrances.

La lettre du président a produit une impression plus vive. On a vu que j'avais raison quand j'annonçais, il y a cinq semaines, une réaction dans les esprits en France et le ressentiment du gouvernement lui-même. Mais on fera très peu de concessions à cette crainte. Il m'est revenu de tous côtés que le Saint-Père témoignait pour votre ami une très touchante et bien indulgente sympathie. Cette disposition si aimable me sera d'un faible secours. Les nécessités formidables de la politique générale dominent tout. Adieu

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Mon cher Falloux, puisque je me suis décidé à vous éclairer sur nos communs souvenirs, je renonce à la réserve que je vous avais annoncée dans ma lettre à M. Edgar Ney. C'est, je le répète, sous le secret de la confession. Mon honneur est sous votre garde.

Prenez soin également de mes devoirs envers Alexis. Je ne vous aurais jamais mieux prouvé mon amitié que par ce témoignage de confiance. J'ai surtout choisi les lettres particulières pour vous expliquer notre situation passée, parce qu'elles ont un caractère plus évident de naturel et de vérité. Mes dépêches officielles n'étaient pas moins franches, mais plus ménagées dans l'expression de mes craintes et de mes reproches. Je désire que ces extraits vous donnent une idée exacte de tous mes efforts pour m'unir à vous, de loin, et pour ainsi dire à votre insu, dans ces conjonctures si critiques, pour engager Alexis à ne se point séparer de vous, et en même temps que je lui adressais des conseils politiques, pour l'amener complètement à l’Église et à Dieu. Il est chrétien et même catholique mais un peu philosophe. Je n'ai jamais perdu une occasion de parler tendrement à sa conscience. Ce qui suit est relatif à la prétention du Président de faire publier sa lettre par les journaux officiels de Rome. Alexis venait d'apprendre la résistance du gouvernement pontifical et toute votre conduite dans cette affaire.

( Alexis à Francis Corcelles. Particulière. 6 septembre)

"... Je n'ai qu'un moment, mon cher ami, pour vous adresser quelques mots. J'ai appris hier l'incident relatif à la lettre du Président à M. N[ey]. et n'en fut surpris comme vous pouvez croire. Je connaissais la lettre; mais j'ignorais l'ordre de la publier et bien que je m'attendisse à une sorte de publication clandestine, j'étais bien loin de penser à une publicité officielle. Voici, du reste, l'historique très véridique de cette lettre. Le Président me la donna à lire à une réunion du Conseil. Je fus frappé de l'extrême gravité de la chose et je demandais au Président de vouloir bien me permettre de communiquer la lettre à Falloux. Il y consentit. Je la communiquai à celui-ci, qui a mon assez grande surprise, je vous l'avoue, l'approuva. Je ne me tins pas pour satisfait et demandai la lecture au Conseil.. Nouvelle approbation et en particulier de Falloux. Je vous confesse que ce dernier fait me causât une certaine impression et me fit douter de mon jugement. La lettre partit donc. Vous savez le reste. Je n'avais plus entendu parler de rien depuis lors et j'étais si loin de m'attendre à la grande publicité que j'avais prié le colonel Callier (à Rome) de tâcher de se procurer une copie de la lettre et de me l'envoyer, désirant en garder dans mes mains une trace. Maintenant la chose est faite; il faut que nous tâchions d'en tirer le meilleur parti possible.

Après le bruit que cette affaire a fait à Rome, le refus d'insertion dans les journaux me paraît sans motifs, et, d'ailleurs, le Président est maintenant trop directement en cause pour que le Conseil songe à l'abandonner dans une voie où il a marché plus loin et surtout bien plus vite que nous ne voulions, mais enfin qui n'est pas contraire à celle que nous jugions devoir être réduits un jour à suivre... Nous voilà au milieu d'une crise sans avoir eu le temps de nous préparer à la traverser, et il est difficile de dire ce qui va se passer en Italie et ici."

( Alexis à Francis Corcelles 9 septembre. Particulière)" ... La publication de la lettre du président, je n'ai pas besoin de vous le dire, me paraît un incident très regrettable. Elle nous fait aboutir prématurément et mal à une situation qu’il fallait aborder autrement et tâcher d'arriver à ne point aborder du tout. Toutes sortes de complications extérieures et même intérieures peuvent naître de ce document. Je faisais en ce moment, comme vous savez, un suprême effort pour obtenir une action commune et énergique de la France, de l'Autriche, et même de l'Espagne. À Rome, je m'efforçais de faire prendre à notre gouvernement une attitude opposante qui n'était pas encore la rupture et sauvait déjà notre responsabilité et notre honneur. L'éclat qui vient d'avoir lieu va peut-être changer les bonnes dispositions de l'Autriche et il ne serait pas impossible qu'il en résultat la retraite des autorités pontificales (ce qui n'est point la conséquence à laquelle je voulais arriver) et qu'on nous poussât à bout.

Quant à l'effet de cette publication à l'intérieur, vous pouvez vous imaginer les colères qu'elle va faire naître, d’un certain côté, et toutes les complications qui en pourraient sortir. La retraite de Falloux serait la pire de ces complications. J'espère bien qu'il restera.

Quoiqu'il en soit les réflexions sur le passé sont inutiles. Il faut maintenant songer à sortir de ce mauvais pas. Nous ne pouvions abandonner le Président, tout en blâmant sa conduite et nous plaignant vivement du secret qu'il avait gardé à notre égard; le fond des idées exprimées dans la lettre était sympathique au plus grand nombre d'entre nous et avait été approuvé par tous. D'ailleurs, après l’éclat fait à Rome, un refus de publicité régulière n'eut pas eu d'objet. Nous avons donc autorisé l’insertion de la lettre dans la partie non officielle du Moniteur et exprimé le désir qu'elle fut insérée de même dans les journaux de Rome. Nous n'avons pas voulu désavouer publiquement le Président; mais nous ne voulons pas le suivre dans la marche précipitée qu'indique sa lettre....
( suivie d'intéressants détails sur la manière dont Alexis a informé M. de Hübner13 de cette situation nouvelle)...
Quant à l'effet produit à Rome, j'espère qu'à la réflexion les cardinaux auront compris que ce n'était pas encore le cas d'abandonner la partie.

Maintenant, que nous avons bien manifesté notre désapprobation de leur politique et fait un éclat qui peut amener de l'agitation dans la population romaine, il est nécessaire de faire de nous-même et sans qu'on nous y invite, tout ce qui est utile au maintien de l'ordre matériel.
Si cependant les cardinaux se retiraient, il faudrait prendre immédiatement et sans hésitation l'administration provisoire du pays que nous occupons. J'écris aujourd'hui à M. de Rayneval une dépêche à ce sujet. De toutes les solutions, ce serait la plus fâcheuse. Indépendamment de ce qu'elle serait très prématurée, elle commencerait une nouvelle et plus dangereuse affaire plus tôt qu'elle ne terminerait celle engagée. .... Mon idée est celle-ci: lorsqu'il serait sur abondamment prouvé que nous ne pouvons rien obtenir, faire une déclaration publique, très respectueuse mais très ferme, dans laquelle nous ferions connaître ce que nous eussions désiré, ce que nous n'avons pu obtenir, ce que nous ne pouvons approuver dans le gouvernement temporel restauré. Après quoi, nous ajouterions que nous ne prétendons pas pour cela violenter le pape ni lui faire la guerre, mais que ne pouvant supporter plus longtemps la responsabilité que fait peser sur nous les actes de son gouvernement, tant que nous occupons le pays, nous nous retirons ne gardant qu'une position militaire pour assurer relativement aux puissances étrangères la juste influence de la France dans les questions italiennes. Telle serait, à mon avis, la position extrême que nous aurions à prendre si nous y étions réduits.
Les nouvelles que nous recevons de notre armée à Rome sont alarmantes. Son esprit s’altère rapidement... Si les passions de la population qui l'entoure pénètrent dans son sein, nous pourrions bien voir venir de ce côté de grands embarras.

Ayez bien soin de faire remarquer aux Saints-Pères que la lettre du Président n'est point dirigée contre lui; qu'elle n'a pour objet que de blâmer ce qui se fait à Rome en son nom; faites-lui comprendre que la lettre avait un caractère personnel et confidentiel ; qu'une fois répandue, il n'était pas de la dignité du Président et de son gouvernement d'avoir l'air de la désavouer; qu'enfin la publicité incomplète de ce document nous faisait une loi d'en vouloir la complète publicité. En un mot, sauvez le plus que vous pourrez la susceptibilité du Saint-Père et tâchez d'éviter un dénouement qui est prématuré et qui, d'ailleurs, et fort différent de celui que j'imagine, si nous sommes poussés à de telles extrémités. Tâchez surtout que les conseils donnés de Gaëte ou de Portici14 aux catholiques de France ne soient pas une rupture éclatante avec le Président, car de terrible évènements pourraient sortir de là non seulement pour la question romaine mais pour toutes les questions"

( d'Alexis à Francis Corcelle, 12 septembre. Particulier)

".... Ces derniers jours ont été employés assez misérablement et dans de mauvaises manœuvres qui ne peuvent que rendre plus difficile une affaire qui l’est déjà tant. La lettre du Président a fait ici dans les journaux catholiques, comme vous pouvez croire, un grand tapage. Le président se voyant censuré si amèrement, de ce côté, à prix de l'humeur, et sans nous consulter, a fait mettre dans la Patrie un petit article communiqué d'où il résulte que Falloux avait vu et approuvé la lettre, fait vrai; mais qui semblait indiquer en même temps qu'il avait connu la publication, ce qui n'était pas plus vrai pour lui que pour nous. Irritation très naturelle de Falloux qui exige une explication dans le Moniteur. De tout cela il résulte que nous avons l'air de tirer les uns sur les autres, grande cause d'affaiblissement, et d'un autre part que Falloux peut-être obligé de faire beaucoup plus pour la satisfaction de ses amis qu'il n’eut fait sans cet incident, ce qui amènera dans un temps donné la désunion intérieure qui n'est encore qu'un bruit mal fondé. Tout cela est très déplorable; mais ce sont des tuiles qui tombent sur la tête. Ces deux actes du président ont été faits à notre insu. Nous n'y pouvions rien. Il ne nous reste qu'à tacher de réparer le mal. J'espère, en tout cas, que nous ne verrons plus d'incidents de cette espèce. Leur renouvellement rendrait la place intenable.
Hier, j'ai proposé au Conseil une mesure que je crois bonne. Il s'agit d'autoriser le port des croix et médailles donnés par le pape aux officiers et soldats de notre armée. Nous vivons dans la fiction que nos plaintes portent seulement sur les actes du gouvernement de Pie IX.

( Francis Corcelle à Alexis 13 septembre, Castellammare - Particulier)

(Mon cher Falloux, encore une observation. Je n'avais pas conservé copie de mes lettres particulières écrites comme vous le voyez assez, avec un grand abandon. Alexis m'a permis de les transcrire, à mon retour, avec une loyauté qui ne m'a nullement surpris. Mais raison de plus pour être en règle vis-à-vis de lui). Regardez bien les dates. Celle-ci ne répond pas à la précédente qui n'était pas encore arrivée à sa destination.

" Je regretterais beaucoup de vous avoir involontairement causé une peine, mon cher ami. Vous me parlez dans votre lettre du 2 de nos dissentiments et de la vivacité de mes expressions. Songez qu'après une récente maladie mortelle, j’ai les nerfs un peu en mouvement. Vous ne pensez vous figurer combien j’ai été bas et au moment du solennel passage. Je ne me figurais pas assez moi-même mon propre état. Savez-vous ce que je faisais pendant que les apparences de la mort s'étendaient sur moi ? Je crois, en vérité, que je négociais. Ma tête n'était occupée que de cet objet. M. de Rayneval qui n'a pas cessé de me voir et de me consulter, n'a pas reçu une seule parole d'esprit trop absent. Aussi ne me suis-je pas aperçu du danger où j'étais; je ne m'y préparais pas religieusement par des prières extraordinaires; je continuais seulement de demander plusieurs fois le jour, ma réunion éternelle avec mon petit Gilbert, avec tous les bons parents et amis que j'ai perdu, avec ceux qui survivent et que j'aime bien.

J'y ajoutais la fervente sollicitation de toutes les forces nécessaires à l'accomplissement de mes devoirs envers l'Église et la France, n’ayant jamais pu séparer l'une de l'autre depuis que je me suis occupé de cette immense affaire.

Voilà, mon cher ami, entre nous, où j'en étais. Que 12 jours après cet état, il y ait eu quelque agitation dans ce que j'ai écrit vers il ne faut pas s'en étonner ; mais soyez sûr que vous avez mal entendu le sens de certaines expressions dont je me suis servi.

Je n'ai pas témoigné qu'il fallut ne rien faire si nous étions complètement et définitivement battus, dans les négociations, si nous l’étions surtout par une trop mauvaise administration pratique des États pontificaux; mais j'ai dû repousser les moyens de protestation, d'opposition, d'appel à l'opinion des peuples ou des gouvernements qui ne me paraissent se réduire à d'impuissantes et belliqueuses agitations.
Mes dépêches, 16, 17 et 18 vous démontreront que ma conclusion n'était pas l'inertie. L'idée d'un d’un congrès me paraît un refuge. J'explique, il est vrai, pourquoi je l'aimerais mieux en paroles qu'en action, et le dénouement inévitable que j'aperçois après un conflit qui nous obligerait de gouverner seul le territoire de notre occupation.

Il nous est démontré ici que nous sommes sur la limite des extrêmes susceptibilités qui peuvent amener la rupture de nos relations officielles. Quand je vous le mande, il semble que vous m'accusiez de me servir d'arguments autrichiens. Hélas! Je n’argumente pas; je constate des faits.
Vous accusez le gouvernement pontifical d'ingratitude envers nous. Je vous réponds, parce que c'est la vérité, que trop d'inquiétudes ont troublé sa reconnaissance, et que si nous avions franchement avoué notre but dès l'origine de l'entreprise, au lieu de faire obstruction du pape, avant, pendant et presque après l'expédition et de tant parler du rayonnement de l'influence française en Italie, vos représentants diplomatiques n'éprouveraient pas tant d'obstacles. Il faut bien vous raconter comment nous sommes battus avec vous. Le rayonnement de notre influence en Italie, pour me servir de cette expression empruntée au Message du Président, me plairait fort quoique j'aimasse mieux n'en parler qu'au point de vue de l'équilibre européen menacé par l'influence exclusive de l'Autriche. Seulement je remarque que l'Autriche et les autres grandes puissances ne font jamais de préfaces de ce genre; elles craindraient d'aller contre leur but; elles se contentent de prendre de l'influence sans en parler. Nous faisons des programmes d'influence française dans un but d'industrie parlementaire et cela nous nuit. Je ne suis battu qu'en bonne compagnie, avec vous et Falloux, et encore tout battu que je suis j'ai l'espoir de donner de bons conseils et d'empêcher du mal.

La force des choses qui nous domine tous est accablante; elle se compose de notre état précaire, de beaucoup d'antécédents contradictoires, d'imprudences quotidiennes, en face de la stabilité autrichienne. Il vaut mieux s'en rendre compte froidement, pour éviter des fautes nouvelles, que d'accuser le passé d'ingratitude et de se fâcher sans être sûr d'une prudente politique pour le lendemain.
Vous désirez que je me rende à Rome et regrettez que M. de Rayneval m'y ait suppléé. Je suis encore très faible ; mais je me sens tout le cœur que vous pouvez souhaiter. Je pars donc, je m'installerai et me ferai connaître; j'étudierai moi-même la situation de Rome et après avoir pourvu à ce qui est essentiel je me hâterai de revenir à Portici qui est le port le plus important. Savez-vous que j'aurais vu 4 fois le Saint-Père depuis le 4 septembre, jour de son arrivée à Portici, et dans des conférences d'une heure à 1h et 1/2. Je n'ai pas perdu de temps et vous ai donné presque ma vie. M. de Rayneval est fort chargé. Ne nous gourmandez pas. Ce ne serait pas juste.

( suit un récit de la promesse que le Saint-Père voulut bien me faire de publier son Motu proprio et son amnistie avant la reprise des discussions de l'Assemblée française).

Le manifeste du Saint-Père servira, je le pense, à réduire à leur valeur ce que l'on débite sur le St-office et l'Inquisition. Aucune de ces choses n'est rétablie, parce qu'elles ont toujours existé canoniquement et spirituellement.

On les trouvait insignifiantes sous le ministère Mazzini15. Je répète que l'existence canonique de ces institutions n'empêche pas, relativement à de certaines sévérités d'autres fois une évidente désuétude. Si le gouvernement prétend se mêler des canons, des bulles ou décisions de Conciles, il peut passer aux dogmes et réclamer, par exemple, la suppression de l'enfer, parce qu'on en éprouve un certain mal de nerfs.Vous n'êtes pas sur un bon terrain à cet endroit, mon cher ami. Dites à Falloux de vous renseigner. En attendant sachez que le St-Office est chargé des dispenses de jeunes, des mariages mixtes, et de la poursuite des délits ecclésiastiques, comme la <mot illisible> est chargée des mariages entre parents.... Ce sont des attributions qu'on ne révise ni avec le sabre, ni avec la plume diplomatique. Le pape est fort modéré dans leur exercice. Le mal n'est pas là et les Romains le savent bien quoiqu'ils disent le contraire.…

Le Saint-Père est souvent irrésolu parce que de continuels scrupules l'arrêtent à chaque instant, et cependant croyez que la persécution le trouverait prêt et admirablement disposé. Il la préférerait à la douleur de se décider contre son gré en politique ; sous ce rapport, elle le soulagerait en lui faisant une situation simple devant Dieu. Sachez cela pour ne pas vous égarer dans la voie de la contrainte.

(Francis Corcelle à Alexis - Naples 14 septembre) Particulier.

"Votre dernier mot du 6 septembre nous apporte à nouveau et très grave sujet d'inquiétude. Je venais d'obtenir, pour lundi ou mardi prochain, la publication du Motu proprio et de l'amnistie. Je crains que l'ordre direct envoyé au général Rostolan de publier la lettre du Président ne change cette résolution. Nous ne connaissons pas les termes des instructions que vous vous <mot illisible>. Si la forme est impérieuse, cela peut entraîner la rupture de nos relations officielles avec le Saint Siège. Les cardinaux délégués allaient se retirer sur le territoire napolitain, lorsqu’il a été question, la première fois il y a si peu de jours, de la publication officielle de la lettre, malgré leur opposition formelle. Cette fois leur résolution sera bien plus arrêtée encore, parce qu'il y aura en plus des réflexions de la part de notre gouvernement sur l'acte dont il s'agit, et aussi plus de commentaires et de susceptibilités du côté des puissances représentées à Gaëte. Nos collègues de la conférence nous ont annoncé des interpellations à ce sujet..…

La rupture de nos relations officielles vous oblige immédiatement à gouverner seuls; elle vous prive du concours de tous les modérés et peureux dans les emplois publics, vous réduit à l'assistance des seuls révolutionnaires, nos ennemis acharnés, qui pourront bien se transformer alors en flatteurs très perfides,; enfin il en résultera des réclamations en Europe, un conflit, et probablement un congrès suivi d'une grande humiliation. Ce péril, si vous changez surtout à l'entracte depuis le moment de la rupture, jusqu’à l’époque où les puissances pourront régler l’affaire, est si grand, que j’ai pris sur moi d’écrire aujourd’hui à Rome au Gl Rostolan pour l’inviter à dégager sa responsabilité et à me renvoyer la décision à prendre dans le cas où l'ordre de publier la lettre n'aurait été adressé qu'à lui. Mais il a pu recevoir cet ordre avant-hier et je tremble que tout ne soit compromis actuellement.

Ce qui se passe, depuis quelques semaines, nous expose d'ailleurs à des retranchements de tout ce qui pourrait nous être favorable dans les considérants du Motu Proprio…

(Plusieurs circonstances sont ici relatées à l'appui de cette assertion très fondée)
Je vous explique officiellement pourquoi j'ai pressé la promulgation de cet acte. Je n'ai pas quitté un seul instant le Saint-Père depuis son séjour à Portici.

Il continue de me témoigner la plus grande bienveillance. J'ai lu hier à Sa Sainteté une nouvelle lettre très éloquente de M. de Falloux. Cette fois le Saint Père a été touché. Il m'a exprimé, en termes vifs, combien la recommandation d'un si bon catholique, si au courant de la situation et des affaires avait de prix à ses yeux. Mais le Sacré Collège a son autorité nécessaire et l'ensemble de la situation nous est peu favorable. L'Autriche et l'Espagne, d'ailleurs ne nous offrant aucun appui. Les correspondances même que vous me communiquez attestent que leur promesses de bonnes ententes sont restées dans le vague des généralités...( suit mon commentaire sur les termes évasifs de ces correspondances.)
Relisez, mon cher ami, ces dépêches vous reconnaîtrez que vous n'avez là aucune ressource réelle dans la question principale sur laquelle nous avons été battus, et quant à leur adhésion à nos vues des réponses administratives, judiciaires, financières, elle est bien timide lorsqu'il faut réclamer. D'ailleurs le gouvernement pontificat ne peut être influencé à cet endroit que par une ingérence de l'Europe catholique obligée de ménager assurément les attributions souveraines du Saint Père. Ce sera un appui dans un congrès, peut-être, si d'ici là nous ne nous brouillons pas avec tout le monde.

Combien vous avez raison de modérer le conseil!

J'ai déterminé aujourd'hui le cardinal à écrire à la commission romaine de ne prendre aucun grand parti sans en référer à Portici, au gouvernement pontifical. J'avais promis en même temps d'en écrire une analogue au général Rostolan16.

Je tenais à retenir ici un centre, dans des conjonctures si critiques, toutes les résolutions importantes, et à prévenir ainsi les conflits accidentels de Rome. Nous voilà donc garantis de l'imprévu du côté de le capitale, si un ordre direct envoyé au général Rostolan n'est pas déjà exécuté. En résumé, je me considère comme appelé à conjurer quelque mal. Je pratiquerai cette médecine empirique, ces soins du symptôme fâcheux de chaque jour, jusqu'au dernier moment. Si la publication de la lettre du Président est imposée par la force, j'engagerai le gouvernement de Portici à se contenter d'une simple protestation. Je l'ai déjà engagé et déterminé, si les promesses d'une simple conversation, sérieuse, il est vrai suffisent à publier le motu proprio, quoi qu'il arrive, pour l’apaisement de l'Europe, de manière à laisser notre querelle possible en dehors.

Soyez assez bon pour montrer à Falloux mes dernières dépêches nos 16, 17, 18, 19, afin de m’éviter des explications très longues que je ne pourrai lui donner plus exactes que celles de ces écrits. ( après avoir informé Alexis de cette situation par mes lettres particulières et de longues dépêches officielles, j'appris que le général Rostolan invité par le gouvernement à imposer aux journaux de Rome la publication de la lettre du Président, m'aurait déféré l'appréciation de ce cas extraordinaire où la diplomatie pouvait être fort compromise. Les cardinaux de la commission romaine menaçaient de nouveau de se retirer si la lettre paraissait. Le Saint-Père, dans la crainte de paraître obéir à une contrainte ou du moins à une menace, parlait d'ajourner la promulgation de son motu proprio. Je pris sur moi de presser vivement sa sainteté de réaliser cette promulgation, j’obtins cette promesse en retour de la démarche que je venais de faire auprès du général Rostolan et de ma décision pour la non insertion de la lettre du Président dans les journaux. M. de Rayneval s’associa loyalement à mon acte. Toutefois le Saint-Père ne voulut pas que le motu proprio fut daté postérieurement à l'invitation qui nous avait été adressée relativement à la lettre du Président. Afin que son indépendance fut mieux constatée. La date est, je crois, le 11 ou 12 septembre ; le général Rostolan avait reçu l'invitation du gouvernement français le 13. Le Saint-Père le 17 au soir craignait que les cardinaux de Rome n'eussent donné leur démission. Il me remit une lettre de sa main pour les engager à rester, s'entendre avec moi et a publier le motu proprio et l'acte d'amnistie.

Je partis aussitôt pour Rome où j'arrivais le 18 au soir. Le 19, le motu proprio y fut publié. J'avais informé le gouvernement de la République de ces diverses résolutions par un courrier extraordinaire.

Le 20 j’écrivais à Alexis une lettre particulière qui contient ce qui suit: ( Rome 20 septembre)

……..Recevez ici ma démission, mon cher ami, pour la cas où je ne serais pas approuvé et si le gouvernement français doit se substituer à celui du Sr-Père. Je pourrai peut-être arranger ici bien des choses ; mais si la politique violente prévaut, contre votre avis assurément, je n’ai plus rien à faire. Je ne resterai que le temps nécessaire à l’arrivée de mon successeur et encore je vous préviens que mes sentiments ne me permettent pas de participer à un acte quelconque de responsabilité dans un pareil parti ».

 

J'abrège ici beaucoup, car il faudrait écrire des volumes. Alexis en réponse à mes dernières communications officielles m'écrivit que les institutions du Motu proprio avaient paru dérisoires au conseil et que l'acte d'amnistie révoltait par sa cruauté. J'ai dit plus haut que nous avions été battus dans la préparation du Motu proprio. J'avais demandé, en effet, en matière d'amnistie des exceptions nominatives au lieu du système des catégories qui fut adopté par le Saint Siège. Quant aux institutions, le maximum de ma réclamation qui fut un moment approuvée par nos collègues de la conférence de Gaëte puis abandonnée, consistait à donner à la consulte d'état des attributions délibératives sur le budget; mais en mettant à part toutes les dépenses ecclésiastiques, et réservant au Saint-Père la faculté de passer outre dans l'exercice de l'année qui aurait suivi l'opposition de la consulte. De plus, j'avais proposé de stipuler expressément que le budget ne serait pas voté par articles et que la consulte n'aurait pas le droit d'amendement. Le Saint Père me répondit que ma transaction serait sans danger, mais qu’elle ne contesterait personne et qu'il valait mieux ne pas accorder à la consulte ces attributions fictives, en lui donnant un simple pouvoir de consultation sérieuse. Le gouvernement français s'était résigné à cette conclusion, seulement le feu de ses exigences se porta alors sur l'amnistie et les réformes judiciaires, administratives, la modification des tribunaux ecclésiastiques, etc....

Quand je vis s’accroître l'irritation de gouvernement français par la publication du Motu proprio et de l'amnistie, je représentai au St-Siège, dans de longues négociations, le danger de la rupture ; j'obtins de lui les plus grandes atténuations à l'égard des exceptions par catégories. Personne ne fut arrêté préventivement. Néanmoins, trente constituants ayant voté la déchéance et quelques chefs de corps furent exilés en vertu de l'acte souverain du 12 septembre. Le gouvernement français s'indigna. Alexis m'écrivit que je devais m'opposer à l'application de cette partie du Motu proprio et qu'à ses yeux on devait rompre avec le St-Siège à cette occasion, s'il ne cédait pas.

Alexis m'avait de plus formellement blâmé d'avoir pressé le Saint Père de promulguer le Motu proprio. Après m'être efforcé de le calmer et de lui montrer les avantages, comme point de départ d'une bonne administration, des actes contre lesquels le cabinet voulait recourir à la violence, je lui écrivis :

(Rome, le 2 octobre 1849. Particulier)

" je n'ai que le temps de répondre en trois lignes à votre lettre du 24 septembre. Déposez, je vous prie, immédiatement, ma démission au sein du Conseil. Vous n'approuvez pas l'esprit général de mes négociations ; vous blâmez en particulier l'acte le plus important auquel j'ai pris par avec M. de Rayneval, mes insistances pour hâter la publication du Motu proprio et tout en maintenant nos réserves et comme je le devais.

De plus je n'ai pas confiance dans la bonne issue des moyens que vous me paraissez disposé et même résolu à faire prévaloir dans la conduite de ces affaires. Remplacez donc moi le plus tôt possible. Je ne reste ici que le temps nécessaire pour qu'il n'y ait pas de lacunes dans les pouvoirs c'est-à-dire une quinzaine de jours.

Je pense qu'il est inutile d'écrire au conseil lui-même et que vous n'exigerez pas cette formalité. Je l’accomplirais, si vous l'exigiez, sans changer le fond des choses.

Je vous écris ma ferme résolution avec beaucoup de calme et sans la moindre amertume. Nous n'avons pas la même opinion sur cette douloureuse et difficile affaire, voilà tout. Cela ne nuira en rien à notre bonne amitié. A vous de cœur.

P.S. Si vous connaissiez ce pays vos opinions seraient différentes; mais vous en jugez par des rapports inexacts et sous l’impression de l'opinion courante qui vous emporte.

Je la regrette bien pour l'attitude que vous allez prendre.

(F. C. à Alexis, Rome, le 8 octobre 1849) Particulier.

"Mon cher ami, mes dépêches officielles sont si longues et si explicatives que je ne peux rien ajouter à ma correspondance particulière. Je me sens tout reposé depuis que je vous ai envoyé ma démission. Je me confie à votre amitié pour en apprécier les motifs et les faire valoir avec votre tact si parfait et votre affection dont j'ai besoin plus que jamais.

Nous sommes en trop grande dissidence d'opinion sur la conduite des affaires de Rome, pour qu'il me soit possible de continuer des fonctions, qui exigent le )plus parfait accord, mais je tiens cette différence d'opinion, sur une affaire quelconque, pour un fait très simple qui ne doit donner lieu à aucune puérile susceptibilité ni froideur de sentiment.

Je n’ai communiqué à personne ma résolution 1° pour ne pas diminuer mon autorité provisoire ; 2° pour ne pas avoir la responsabilité de la démission du général Rostolan dont la fermeté sera plus que jamais nécessaire en ce pays; 3° pour ne pas agiter l'opinion publique. Si vous pensez que ma démission puisse vous faire tort, attribuez-la à des motifs de santé et à l'expiration des termes des six mois fixés par la loi organique pour la durée de mes fonctions.

Mes relations avec MM Boulatignier17 et Frėmy18 sont excellentes quoique je ne sache pas le but précis de leur voyage à Rome. Vous ne m'en avez pas parlé. Sont-ils les organisateurs du gouvernement de la rupture? Je lisais hier une lettre de M. Daunou19, écrite en 1795, lorsqu'il fut chargé de donner une constitution stupide à la République romaine. J'y ai remarqué le passage suivant: "Ce sont les finances et les subsistances qui nous manquent, et non les adhésions..."
Cette fois nous n'aurons pas même les adhésions. Je suis content de tout mon monde et de ma situation de démissionnaire. Adieu, cher ami, il me tarde de vous revoir"

( Alexis à Francis Corcelle, 9 octobre - Particulier)

"Mon cher ami, je reçois votre billet daté du 2 dans lequel vous m'envoyez votre démission. Je me hâte d'y répondre.

Laissez-moi croire que votre résolution de revenir et de revenir de cette manière n'est pas irrévocable, et que les lettres qui auront suivi celle du 24 septembre, à laquelle vous faites allusion, vous auront démontré que vous vous trompiez en supposant que je blâmais l'ensemble ou même les parties principales de votre politique.

Vous comprenez que je n'ai aucun moyen de vous retenir malgré vous. Aussi, me bornerai-je à vous dire ceci : c'est que votre retraite serait tout à la fois fâcheuse pour moi et très dommageable aux affaires. Je n'insisterai pas sur le premier point. Vous êtes connu pour être de mes amis particuliers; vous séparer publiquement de moi sur le terrain de Rome me désavouera, ne peut que m'être très nuisible et, peut-être pouvais-je avoir conçu l'espérance qu'à moins de nécessité absolue, ce ne serait pas de vous que ce mal dut me venir. Mais je passe sur ce côté de la question.
La principale considération, c'est l'intérêt public. La question de Rome est en voie évidente d'arrangement, ainsi que vous avez pu en juger. Un certain apaisement commence à se faire sentir. De part et d'autre, dans l'assemblée, on fait de grands efforts pour ne pas faire apparaître les divisions profondes qui séparent les modérés sur ce terrain. Je crois qu'on est prêt de marcher d'accord et d'aborder ensemble nos ennemis communs, les montagnards. Je vous prie de vous demander si ce moment serait bien choisi pour réclamer avec éclat votre rappel? Si nous avons besoin de cet élément de discorde et de soupçon jetté [sic] au milieu des gens qui ont, en ce moment tant de peine à être du même avis, et à avoir une confiance mutuelle les uns dans les autres? Nous avons enfin découvert un terrain de transaction où j'espère que nous nous réunirons tous. Approbation du Motu proprio comme Promesse ; confiance dans l'accomplissement de cette promesse, et effort commun pour l'obtenir. Quant aux personnes, effort également commun pour les couvrir du manteau de la France, s'il est possible.

Voulez-vous, quand les anciennes difficultés s'aplanissent en faire naître de nouvelles? Je ne le crois pas. En attendant j'ai besoin que vous me le disiez pour faire ce que votre lettre d'aujourd'hui paraît désirer.
Le Lenard que j'ai gardé à Toulon pour des besoins extraordinaires vous portera cette lettre. Il n'en portera pas d'autres. Je n'ai rien de plus à vous dire que ce que contiennent mes dernières lettres. Je vous embrasse.

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La lettre qui suit ne pouvait être ma réponse à celle d'Alexis, puisque toutes deux ont été écrites presque en même temps; mais dans l'intervalle du 4 au 10 octobre, le ton des dépêches s'était radouci; l'approche d'une discussion parlementaire sur les affaires de Rome ramenait les esprits échauffés à la raison; mon projet de démission annoncé dès le 20 septembre pour le cas où la politique des contraintes envers le St Siège l'emporterait n'a peut-être pas été inutile. Quoiqu'il en soit, voici ce que j'écrivais le 10 octobre.

( à Alexis, Particulier)

"Je vous félicite bien amicalement du parti que vous avez pris de suivre la politique modérée, et vous verrez que cela vous fera grand honneur dans la prochaine discussion. Plus vous oubliez le quand dira-t-on [sic]20? du vieux parti irréligieux et plus vous serez à votre toilette. Malheureusement, je trouve encore dans vos lettres particulières, fort peu de bienveillance pour l'Église. Vous êtes modéré avec un langage des plus véhéments. Comment pouvez-vous comparer l’Église à un camp turc sur la rive du Bosphore? Cela n'est pas digne de vous. Je ne conçois plus rien à vos vivacités sur cette question. Que Dieu vous accorde le discernement et la paix de la foi!

Jamais je n'ai mieux compris certains passages d'un discours de M. de Talleyrand21 à l'Académie. Il recommandait l'étude de la théologie au diplomates. Pour traiter, en effet, avec l'Église, la première condition c'est de connaître l’Église, et je dois même ajouter pour renchérir sur M. de Talleyrand, de l'aimer.

Sortez donc de cette étroite et aveugle philosophie. Impossible d'apprécier sainement la moindre question sérieuse, relative aux mœurs publics, si l'on se livre aux préventions que je vous vois. Quel dommage que vous soyez protestant! Vous ne voyez donc pas que le protestantisme devient le socinianisme, qui devient de éclectisme, qui devient du socialisme.... Je voudrais bien vous embrasser et vous sermonner pendant cinq minutes. Si vous aviez eu des enfants, et si vous aviez été malheureux, votre humeur serait plus douce sur ces graves et terribles sujets. Je continue de vous offrir ma démission si vous n'y voyez pas trop d'inconvénient pour votre politique nouvelle. Je me figure d'ailleurs que vous n'êtes pas mal furieux contre moi et me prendrez au mot, ce dont je ne serai pas fâché. Je vous défie de me mettre en colère et de m'empêcher d'être votre ami.
Vous voilà donc en plein dans ma politique ? Dieu soit loué ! Ce n'est pas que j'en attende beaucoup. Je crois seulement que nous éviterons quelque mal, et surtout une grande démoralisation et humiliation, celle de la rupture avec le Saint Siège d'abord et l'Europe ensuite.
J'ai reçu de mon mieux M. Lemoine22, écrivain des Débats23 qui n'est pas non plus très bienveillant pour l'Église. Il la voudrait du haut de son éclectisme.

Je n'ai pu écrire à Falloux depuis deux mois; j'en suis vraiment honteux. Ce sont vos dépêches qui m'absorbent et les affaires. Excusez-moi très vivement et amicalement auprès de lui. J'espère vous revoir bientôt.

( Francis Corcelle à Alexis, Rome 13 octobre - Particulier)

"Je reçois votre courrier extraordinaire et m'empresse de vous dire que vos raisons sont péremptoires. Je n'ai pas mis la moindre humeur dans ma démission, et quoiqu'elle ait été écrite avec une excessive précipitation, je crois vous avoir exprimé que ce parti extrême était subordonnée au parti que le gouvernement aurait pris de risquer une rupture avec le gouvernement pontifical. Vous savez qu'en présence de Falloux, je vous avais dit en partant de Paris que je ne pouvais, en aucun cas, m'associer à des procédés de contrainte. Je n'aurais pour rien au monde accepté une position si contraire à mes sentiments. J'apprends ultérieurement que votre politique revient au vrai, c'est-à-dire au négociations régulières et à la modération. Dès lors, je place vos convenances avant les miennes, et je puis même supporter un blâme de quelques parties de ma conduite si vous approuvez l'ensemble, et me croyez encore utile, soit au point de vue des bienséances attachées à notre inaltérable amitié si connue tout le monde, soit pour la continuation de quelques services publics...
( Francis Corcelle à Alexis, Rome 31 octobre - Particulier)

C'était le lendemain du renvoi du ministère et du changement de scène que je ne prévoyais nullement, d'après ce qu'Alexis m'avait mandé sur l'accord de la majorité : la discussion parlementaire avait eu lieu le 18.

"Mon cher ami, je commence par vous féliciter de tout mon cœur de la parfaite mesure, de l'habileté politique de votre discours et du succès qu'il a obtenu. Sans rancune j'ajoute que vos lettres me donnaient de vifs sujets de craintes.

Si j'ai pu contribuer, par mes implacables contradictions, à vous faire apercevoir, avec plus d'exactitude, les dangers d'un ton menaçant avec le gouvernement pontifical, je dois me féliciter moi-même.
Vous voilà en bonne situation s'il y en a une bonne par le temps qui court. Toujours est-il qu'elle est prudente et très honorable.

Je vous remercie des quelques mots obligeants que vous avez prononcés sur votre ami ressuscité; il était bien nécessaire de couvrir le président. On comprend, je l'espère, à Portici vos nécessité politique à cet endroit.

Le discours de M. Odilon Barrot m'inquiète un peu. Comment s'est-il oublié, dans sa réaction contre les attaques de Montalembert au sujet des attributions délibératives de la consulte, jusqu'à présenter cette question close pour longtemps, comme suspendue sur la tête du Pape et encore ouverte? C'est nous créer des difficultés à plaisir. Il a eu tort de parler également, avec exigence, d'une exemption individuelle que nous sommes au moment d'obtenir, par des négociations, en faveur des constituants étrangers à la déchéance du Pape.

Mais nous viendrons à bout de réparer ces inconvénients s'il en reste une trace.
Toute la partie de ma tâche pour éviter la rupture est, Dieu merci, effacée aux yeux du public. Cela devait être. Les rames de papier barbouillé que je vous ai envoyées contre certains défauts de forme dont la lettre du Président était un redoutable échantillon, sont maintenant inutiles; mais elles me compteront devant Dieu.

Ma mission n'aura pas été inutile 1° pour empêcher une capitulation honteuse et désastreuse, après avoir obtenu un accroissement nécessaire d'effectif que le général Oudinot n'osait plus demander (5.000 hommes).

2° pour soutenir le Saint Père dans ses bonnes dispositions, au moment où il était obsédé par d'autres conseils, pour décider, comme vous m'y aviez autorisé en me donnant carte blanche à cet égard, que notre premier drapeau pontifical serait exempt de cravate fédérale et de tout souvenir révolutionnaire.
3° Pour contribuer à l’abandon de la politique de rupture ;

4° enlever au tigre de l'amnistie ses dents et ses griffes…

Voilà ce que je range parmi mes états de service. Il me reste un 5° à accomplir c'est le retour du Saint-Père à Rome. Les Nos 6 et 7 seraient la bonne administration et la retraite de nos troupes. Je n'espère assister qu'au No 5; mais encore faut-il pour cela que vous m'aidiez. Je n'ai plus que 4 semaines devant moi. Quand votre réponse m'arrivera, je n'en aurai plus qu'une. Vous voyez que ma peau de chagrin diminue tous les jours.

Vous ne m'avez jamais dit si vous aviez remis ma lettre écrite au Président de la République au mois de septembre, pour le remercier de l'extension de mes pouvoirs et de quel œil il considérait mes façons diplomatiques. Il m'a pas répondu. Comme ami, dites-moi où j'en suis, sous ce rapport, avec vous tous. Si je suis blâmé et suspecté, la position n'est pas tenable et si elle ne l'est pas, je rentre dans un grand calme. Ce qui m'agite encore, c'est que je me sens la responsabilité possible de l'abandon volontaire d'une immense affaire qui intéresse au plus haut degré ma conscience. Une grave raison contraire me tirerait d'embarras. Je ne veux pas me dire, après ma retraite, que j'ai enlevé à ma cause une bonne chance par un coup de tête, car ma vie serait empoisonnée. Elle est bien assez triste déjà. Ainsi, avertissez-moi donc comme je vous avertirais moi-même en pareil cas. Est-ce que je vous épargne les contradictions quand je trouve votre politique mal engagée? Je parle ici des contradictions contenues dans les lettres intimes.

Vous me reprochez, je crois, de les avoir transporté dans les dépêches officielles; mais il me serait facile de vous prouver que je n'ai absolument exprimé que les réserves qui m’étaient nécessaires pour n'être pas déshonoré et remplir mon devoir

À l'heure qu'il est, pas un chat n'a miaulé à Rome la complainte de ma démission. Je ne comprends donc rien au bruit qui vous est parvenu, me dites-vous. Cependant, lorsqu'il est question de rupture dans toute l'Italie, on pouvait bien, malgré ma discrétion, supposer que mes principes ne devaient pas s'accommoder d'une telle situation. On n’a cependant rien supposé ici. Votre nouvelle est donc essentiellement parisienne.

(Paris, 21 octobre 1849 Alexis à Francis Corcelle. Particulier. Après la discussion sur la crise supplémentaire d'Italie)

"Mon cher ami, je devrais et voudrais vous écrire lettre et dépêche; mais je suis tellement fourbu de la campagne parlementaire qui vient de finir que je ne puis remplir et encore très imparfaitement que la moitié du programme. Je me borde à la lettre particulière et je la ferai courte et confuse n'ayant de vigueur à rien aujourd'hui, et me sentant un extrême besoin de repos.
Parlons d'abord de la bataille qui vient de finir. Elle a été accompagnée des circonstances les plus étranges pour ceux qui l'ont vu
du dedans et a failli amener les complications les plus graves et les plus dangereuses dans notre situation intérieure. En voilà l'histoire sommaire: les meneurs de ce qui s'appelle le parti modéré avaient imaginé devoir remporter un grand triomphe sur le cabinet à propos de l'affaire de Rome, et c'est ce qui les a fait verser dans l'admiration de tout ce qui se faisait à Rome et à Portici. Ils en étaient arrivés à s’ennivrer [sic]24 du Motu proprio et n'étaient pas même très éloignés de trouver mauvais que nous eussions poussé le Saint Père aux témérités libérales que contient cet acte. Ils s'étaient ainsi grisés entre eux, sans songer ni à l'opinion du dehors ni au Président. C'est dans ce point de vue qu'est écrit le rapport de M. Thiers sous les fourches caudines duquel président et cabinet devaient passer.

C'est ce qui n'est pas arrivé. La vanité du Président s'est exaspérée en voyant que le rapport n'admettait pas les conclusions de sa lettre mais la passait dédaigneusement sous silence. Il est entré dans une de ses colères intérieurs auxquelles il est sujet, et il a écrit une nouvelle lettre dans laquelle il jetait le gant aux chefs de la majorité et à la commission qu'ils dirigeaient. Heureusement, il lut la lettre conseil et cette fois nous averti qu'il allait la publier. J'ai fait alors, tout protestant que je suis selon vous, un acte d'honnête homme. L'occasion de brouiller à tout jamais le Président avec les ambitieux qui ne cherchaient qu'à nous créer des obstacles, sans songer à l'intérêt public, était belle; mais nous risquons le pays. J'ai donc déclaré, sans hésitation, que jamais je ne consentirais à la publication d'une telle lettre. Tous mes collègues on dit la même chose. Le Président a été étonné et irrité du procédé; mais il a ajourné. Une heure après, la lettre était connue à l'Assemblée. La colère des chefs de parti était extrême, mais leur peur encore plus grande. Si le Président était bien imprudent de leur déclarer la guerre, eux se sentaient hors d'état de se passer de lui. Tout leur parti, qui a été élu au cri de Vive Napoléon ! s'est senti pénétré des mêmes craintes. Ils ont été trop heureux de nous prendre pour médiateurs et après avoir voulu nous imposer leur thème, prendre le nôtre. Le nôtre était ceci : ne pas publier la seconde lettre du Président, avouer et louer la première quant à sa substance et sans y reconnaître un acte officiel du gouvernement; admettre le Motu proprio comme point de départ, ne s’en pas montrer satisfait; mais y voir le germe de beaucoup de très utiles améliorations qu'avait demandé la France. Quand aux personnes, déclarer que là nous ne pouvions céder et que, tant que nous serions à Rome, nous ne souffririons aucune acte de violence contre elles.

C'est sur ce thème que j'ai fait mon discours et Barrot le sien. Quinze jours plus tôt on m’aurait trouvé Barrot détestable et digne du pilori; on l’a déclaré très acceptable. On l'a laissé affirmer très solennellement que le vote qui allait avoir lieu signifierait. ce que mon discours et le sien avaient dit. Thiers a renoncé à la parole pour soutenir son rapport. Le parti catholique n'a pas proposé d'amendement; tout le monde s'est conduit en agneau, et la séance a fini par un embrassement universel. Voilà l'histoire.

Tout ceci est excellent pour nous, quant à présent; mais je suis bien inquiet non de nos avenirs mais de celui du pays. Vous dire pourquoi, exigerait une lettre portée par un courrier du cabinet. Adieu, bon ami ; je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.

(Paris, 26 octobre 1849. Alexis à Francis Corcelle. Particulier)

"Nous sortons d'une crise pénible et bien dangereuse dans nos affaires intérieures, peut-être pour retomber demain dans une autre, car telle est notre voie. Je vous envoie un courrier pour vous la raconter. La discussion des affaires de Rome avait laissé de grands ferments de colère et de désordre entre plusieurs portions de la majorité (les hommes religieux et les légitimistes surtout) et le Président. Celui-ci perdant ainsi l'espérance de grandir par les voies régulières, nous faisait craindre à chaque instant quelque folle entreprise, et je ne puis vous dire les mauvaises nuits que nous avons passé. Nous sommes enfin parvenus à opérer un semblant de rapprochement qui permet, au moins et de réfléchir à ce qu'il y a à faire. Une des conditions de la transaction a été le choix du général à Rome. Le Président voulait rappeler le général Rostelan et donner à l'autorité militaire la haute-main sur toutes les affaires. La majorité y consentait pourvu qu'on choisit un des siens. C'est ce qui a été fait; le Président a fini par admettre M. d'Hautpoul, ancien légitimiste, poussé par le parti religieux dans la Commission dont M. Thiers vient d'être le rapporteur et ayant voté avec la majorité de cette commission.

Nous aurions fait difficulté de favoriser cet arrangement, si nous ne nous étions assurés que la loi électorale rendait impossible, d'une part, la prolongation de vos pouvoirs temporaires et, de l'autre, votre nomination définitive avant qu'un délai de 6 mois ne se fut écoulé entre votre nomination de représentant et cette nomination. Nous ne voulions pas que vous eussiez, aux yeux du public, l'air d'être rappelé, nous l'avons mis au Moniteur que la nomination de M. d'Hautpoul comme général, et nous avons annoncé officiellement, dans le même Moniteur que M. d'Hautpoul n'aurait de titre diplomatique qu'après l'expiration légale et nécessaire de vos pouvoirs.

J'espère que vous trouverez que nous avons agi pour le mieux et fait ce que les circonstances exigeaient. Mais les périls continuent à être grands ou plutôt la situation devient inextricable, et personne ne peut dire quel sera d'ici à un an la destinée de ce pays. Le calme matériel est rétabli, tous les travaux industriels reprennent ou sont repris; l'obéissance est complète partout; cependant un malaise affreux, naissant des impossibilités d'un avenir régulier, tourmente tous les esprits. Il n'y avait qu'une voix de salut possible: c'était l'accord sincère de tous les gens de bien ou intéressés à l'ordre pour arriver parlementairement soit à modifier la Constitution dans les formes indiquées par elle, soit, si cela était absolument nécessaire pour y introduire, même irrégulièrement, quelques dispositions qui pussent la rendre viable. Je considère tout cela aujourd'hui comme impossible. De profondes et irréparables dissidences séparent les divers éléments de la majorité entre eux et la majorité du président. De telle sorte qu'aujourd'hui il n'y a plus au bout de la passe dans laquelle nous sommes engagés qu'un coup d'État fait dans la rue, une débauche militaire dirigée aussi bien contre l'assemblée que contre la Constitution. Je n'ai pas besoin de vous dire que je ne serai jamais d'une telle partie.

Au milieu d'un semblable état de choses, la situation du cabinet est honorable, mais bien pénible et dangereuse. Nous avons, et moi en particulier, j'ai profondément divisé le Président en ne voulant pas me prêter à ses velléités napoléoniennes; d'autre part, vous savez que les chefs de la majorité peuvent bien nous appuyer, comme maintenant, quand ils sont forcés de le faire, mais que jamais ils ne nous seront bienveillants. Nous sommes donc destinés soit à être brisés par le Président, afin de faire momentanément sa paix avec nos ennemis, soit, s'il nous conserve, à nous trouver au premier rang contre lui le jour où il voudrait mettre à exécution ses dessins. Malgré cette double perspective, je n'ai jamais pris la vie publique avec plus de calme, parce que jamais je n'ai été plus convaincu que je fais la seule chose utile à mon pays et honorable pour moi-même. J'espère que vous aurez vous-même cette opinion, et que, quelque critique que soit notre situation, vous ne refuseriez pas d'entrer avec nous au cabinet si le ministère de l'Instruction publique vous êtes offert. Ce ministère est, en effet, vacant ; Falloux est obligé malheureusement d'aller chercher la santé dans le midi. Nous voudrions vous mettre à sa place. La majorité que nous avons sondé, verrait avec plaisir cette nomination, du moins l'élément religieux, mais nous allons peut-être rencontrer des difficultés graves du côté du Président.…Je vous embrasse du fond de mon cœur.

Je répondis à cette ouverture que l'ensemble de cette attitude prise par le cabinet contenait avec beaucoup de ménagements, une approbation de la lettre de M. Edgar Ney, et par conséquent un désaveux mitigé de la nôtre; que par conséquent je reviendrai sur mon banc comme ministériel, en général mais non comme ministre, et que dans tous les cas ce serait avec un tendre de retour comme ami.

Ma réponse arriva, comme de raison après le 30 octobre. A ce moment le St Père m'écrivait pour m'annoncer sa satisfaction du vote de l'assemblée, et sa résolution de revenir sous peu de jours à Rome. Sa sainteté m'engageait à venir à Portici pour concerter avec elle les préparatifs. Sa lettre du 23 octobre.

( Alexis à Francis Corcelle, 2 novembre. Particulier)

Je ne sais, mon cher ami, si cette lettre vous trouvera encore en Italie. J'en doute un peu, et ce doute joint en peu de temps que j'ai en ce moment, me portera à ne vous écrire que quelques mots.
Pendant que vous m'accusiez peut-être un peu là-bas, au fond de votre cœur, de n'être pas bien avec vous; je vous défendais ici dans des luttes que je ne vous faisais même pas connaître de peur qu'elle ne vous fissent abandonner la partie, et je compromettais pour vous l'existence du cabinet. Sa chute a été amenée pour des causes anciennes et profondes, mais l'accident a été déterminé par les débats intérieurs qui vous ont concerné.

Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai été vivement contrarié que vous ayez laissé exécuter le décret d'exil contre les exceptés de l'amnistie; mais ce qui me causait une contrariété ou, si vous l’aimez mieux un chagrin exaspérant au dernier point le Président qui y voyait une contradiction plus flagrante de sa lettre et y trouvait une horrible souffrance d'amour propre. Il nous a proposé de vous désavouer violemment et publiquement. J'ai refusé comme vous pouvez croire. Il a du moins voulu qu'on vous remplaçât immédiatement. J'ai encore refusé, et avec moi, tout le conseil, et nous avons exigé que le Moniteur constatât, au contraire que vous ne reveniez qu'à la fin de votre temps.

Il s'est encore soumis à ce qu'il regardait comme une humiliation; mais c'était la goutte qui a fait verser le verre. Deux jours après nous étions remplacés avec ce message qui nous accuse d'avoir laissé abaisser la politique de la France. Voilà l'histoire de ces derniers jours en ce qui vous concerne.
Je savais bien la portée de ce que je faisais quand je vous ai dit tant de fois que sur les personnes nous ne pouvions rien céder. Indépendamment des raisons de politique générale, j'étais profondément convaincu que si nous ne donnions pas cette satisfaction au Président nous amènerions une crise violente soit dans un sens soit dans un autre. Le rapport tout à la fois impolitique et coupable de M. Thiers dirigeait naturellement la crise contre l'assemblée et la détournait de nous.

En honnête gens nous avons voulu être plus sages que nos adversaires et les sauver de même ainsi que le pays. Nous y avons succombé et ne nous en repentons pas.

Suivent des tendresses.

 

 

 

 


 

 

 


 

1Alexis de Tocqueville est alors ministre des Affaires étrangères.

2Moulins, Gabriel, Michel (1810-1873), alors Secrétaire de l’Assemblée nationale. Il fut député du Puy-de-Dome sous la Monarchie de Juillet, sous la Seconde République, puis à l’Assemblée nationale de 1871 à sa mort.

3Montebello, Gustave Olivier de Lannes (1804-1875), militaire et homme politique. Il participa à l’expédition d’Alger (1830) et à l’expédition de Rome (1848). II sera nommé sénateur du Second Empire en 1867.

4Sans doute Le Correspondant.

5Marie de Falloux, son épouse.

6Commune du Maine-et-Loire.

7Scheffer, Arnold (1796-1853), Ancien carbonaro. Secrétaire de La Fayette, ce proche de F. de Corcelle était rédacteur en chef du Commerce.

8Ville du Latium, située sur la côte Tyrrhénienne, entre Naples et Rome. Pie IX y était venu s’y réfugier, le 24 novembre 1848, après l’assassinat de son Premier Ministre, Pellegrino Rossi.

9Ney, Napoléon Henri Edgar (1812-1882), officier d’ordonnance et ami de Louis-Napoléon Bonaparte, il sera nommé sénateur en 1859.

10Agglomération de Naples.

11Antonelli, Giacomo (1806-1876), administrateur ecclésiastique italien. Fait cardinal en 1847 par Pie IX, puis secrétaire d’état, il organisa la fuite du pape à Gaëte en 1848. Il était devenu tout-puissant dans les États Pontificaux. Secrétaire d'état depuis 1849, il servit Pie IX avec dévouement ; foncièrement hostile à toute réforme de tendance libérale, il porte en majeure partie la responsabilité de la politique immobiliste de l’État pontifical de 1849 à 1870 .

12Rayneval, Alphonse Gérard, comte de (1813-1858), diplomate. Fils et petit-fils de diplomate, il était alors représentant de la France à Naples. Nommé ambassadeur de France à Rome en 1850, il y demeurera jusqu'en 1857.

13Hübner, Joseph von (1811-1892), Diplomate auytrichien, ambassadeur en France (1849-1859).

14Palais royal de Naples.

15Mazzini, Giuseppe (1805-1872), écrivain et homme politique. Révolutionnaire et patriote italien. Ardent républicain, il fut l'un des pères de la nation italienne.Membre du triumvir de de la République romaine en 1849, il démissionna peu avant l’entré des troupes françaises dans Rome.

16Rostolan,Louis de, comte (1791-1862), général et homme politique. Il sera nommé gouverneur de Rome puis sénateur en 1852.

17Boulatignier, Joseph (1805-1895), député de la Manche (droite) sous la Seconde République.

18Frémy, Louis (1805-1891), député de l’Yonne sous la Seconde République. Il sera réélu par ce département au Corps Législatif de 1865 à 1869.

19Daunou, Pierre Claude François (1761-1840), homme politique, archiviste et historien.

20Qu’en dira-t-on ?

21Talleyrand-Périgord, Charles-Maurice de (1754-1838, homme d'Église et homme d’État. Diplomate actif de la monarchie absolue de Louis XVI à la Monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe.

22Lemoine, John (1815-1892), diplomate, journaliste et homme politique. Collaborateur puis rédacteur en chef du Journal des Débats, il écrivit également pour la Revue des Deux Mondes, lui fournissant plusieurs travaux sur la politique, des études sur l'Angleterre et des études biographiques. Entré à l'Académie française en 1875, il sera élu sénateur inamovible en 1880. Il sera un adversaire résolu de l’Ordre moral.

23Journal des Débats.

24S’enivrer.

 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 septembre 1853», correspondance-falloux [En ligne], Année 1853, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 27/01/2024