CECI n'est pas EXECUTE 30 novembre 1854

Année 1854 |

30 novembre 1854

Françisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay (Orne), 30 novembre 1854

Votre dernière lettre, cher ami, m'apporte les douces satisfactions attachées à tout ce qui vient de vous. J'approuve fort votre démarche auprès d'Albert de Broglie. Elle vous engage, il est vrai, vis-à-vis de son père1 s'il a la fâcheuse pensée de se mettre sur les rangs; mais dans ce cas, vous jugerez, sans doute, avec votre tact si parfait, qu'une lutte ne vaudrait rien. J'espère que le vieux duc2 persistera dans son abstention. Toutefois, j'ai aussi des craintes en me souvenant qu'en 1849 il n'a pu se décider à mettre en avant à sa place son propre fils3 à qui la législature aurait ouvert un commencement de carrière publique si désirable pour lui. Dans la circonstance présente, personnel se cache au fond de son cœur, elle peut-être aider par les provocations d'un certain nombre d'amis de sa nuance. Enfin, il peut-être tenté pour la convenance d'une pareille succession. Tout cela me préoccupe avec un redoublement d'ambition amicale. Dans peu de semaines, je serai sur les lieux et me tiendrai comme vous le pensez bien au courant des moindres chances.

En attendant, j'ai su par nos voisins Pasquier qu'il y a quelques jours le vieux chancelier leur écrivait que les choix à l'Académie se décident entre vous ou M. de Broglie ce qui justifie pleinement votre démarche. Il paraît que le chancelier a la tête tournée contre l'Immaculée Conception, quoique ces dernières années soit devenues édifiantes. C'est un reste de l'ancien esprit du Châtelet qui le remet dans une jeunesse voisine de l'enfance. M. Villemain disait en sortant de chez lui dernièrement, après avoir essuyé une tiraillerie sénile sur le nouveau dogme : "Décidément cet état n'est plus la vie, mais la fièvre" Saint-Bernard représentait les Templiers comme des chevaliers armés de foi au dedans et du feu au dehors. N'est-il pas tout simple aujourd'hui que l'Église s'arme de prières quand l'Europe se couvre de soldats? Jamais l'imploration extraordinaire de la Sainte Vierge et sa glorification ici-bas n'ont eu plus d'opportunités. Il me semble que le rapprochement de la Prusse vers l'Autriche, à des conditions qui nécessairement modèrent et rassurent celle-ci, change notablement toute la situation. Voilà une immense force animée d'un véritable esprit de conservation et de médiation au moment où les puissances occidentales s'affaiblissent dans les vues qui pourraient leur être personnel, par d'excessifs et lointains déploiements dans la Crimée. J'ai de la peine à croire que nous voulions à la fois guerroyer en Crimée et sur le Rhin. Si nous entretenons une si grande armée à 800 lieues de nous, il faut que notre gouvernement se soit résigné à l'action modératrice de la Prusse et de l'Autriche ou bien qu'il espère les séparer et entraîner la dernière puissance. Qu'en pensez-vous?

D'un autre côté comment imaginer que la Russie acceptera non seulement les quatre conditions mais le programme de leur élasticité; que la France et l'Angleterre après tant d'effort ruineux, se consoleront dans la beauté du principe de l'intégrité de l'Empire ottoman lequel, comme on sait devient de plus en plus vertueux et chrétien à mesure qu'il est plus intégré, plus exposé à la réaction grecque et plus traversé par des flottes et armées étrangères?

Encore l'Angleterre pourra-t-elle se dire qu'une marine a disparu..  Mais nous ! En vérité, plus on réfléchi à temps de complication et plus on sent que le Pape a raison: "Eia, ergo, advocata nostra, o Clément! ô Pia! 4

Si, comme je le désire de tout mon cœur, vous devez faire l'éloge de l'excellente homme que nous regrettons, mes conseils seront assurément les derniers qui puissent vous être utiles. J'ai voulu simplement vous avertir de quelques analogies singulières dans la lecture des documents m'a convaincu. 

Ainsi la question d'une nouvelle inviolabilité ou neutralité pour la Sainte Vierge sous la garantie de toutes toutes les puissances chrétiennes a été débattu en 1831 dans une conférence dont M. de Sainte-Aulaire5 faisait partie comme elle l'a été plus tard à Gaëte6.

En 1831, ont demandait à peu près les mêmes réformes au Souverain Pontife7, les trois quarts de ses états étaient insurgés; la France et l'Autriche intervenaient dans le même esprit que nous avons vu plus tard ; même question d'amnistie la résistance du pape se fondrait sur les mêmes précautions de sagesse éternelle. M. de Sainte-Aulaire a soutenu le bon combat comme vous l'avez soutenu vous-même dans le conseil. Le catéchisme de votre bonne petite fille me ravit puisqu'il m'assure qu'il suffira de traverser un pont pour vous voir cet hiver. Mettez mes hommages au pied de Madame de Falloux et croyez, cher ami à tout mon attachement.

F de C

 

2Victor de Broglie.

3Albert de Broglie.

4O toi notre avocate, o clemente o miséricordieuse (Salve Regina)

5Sainte-Aulaire, Beaupoil, Louis Clair de, comte de (1778-1854), préfet sous l’Empire puis député libéral sous la Restauration. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur de France en Italie (1831), en Autriche (1833) et en Angleterre (1841-1847). Il avait été élu à l’Académie française en 1841. Il venait de mourir le 13 novembre 1854.

6Ville du royaume de Naples située au bord de la mer où Pie IX était venu se réfugier suite à l’avancée des patriotes italiens à Rome.

7Grégoire XVI.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «30 novembre 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1854,mis à jour le : 23/02/2024