CECI n'est pas EXECUTE 11 janvier 1855

Année 1855 |

11 janvier 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

11 janvier 1855, Essay (Orne)

Votre attitude académique, mon cher ami, me paraît excellente. Union parfaite avec MM. Molé Berryer, de Noailles, Montalembert etc prudente politesse du côté de Sainte-Beuve1, Mérimée2 etc. Voilà ce que je souhaitais pour vous. J'aurais désiré votre entrevue avec l'autre nuance; mais celle-ci suivra, je l'espère, le bataillon de nos amis. Il me tarde de voir ceux dont les dispositions ne vous sont pas tout à fait connues. Ampère est admirablement en position d'achever les recrues nécessaires. Je compte beaucoup sur lui. Alexis [de Tocqueville] n'a pas répondu de nouveau à mes questions pour cette affaire qui m'intéresse si vivement. Il est vrai que je ne lui en ai adressé de nouveau à bout portant qu'il y a peu de jours depuis mon dernier plaidoyer. Il a cru mon retour si proche qu'il a préféré sans doute l'attendre. Voici maintenant mes projets ou plutôt ma résolution: on vient de m'ouvrir le front non pour en faire sortir Minerve mais deux petits kystes naissants qui menaçaient de me faire ressembler à Garnier Pagès3. Incident joint à un reste d'affaires champêtres m'a déterminé à ne quitter ma retraite pour la rue d'Anjou que le 1er février. D'après ce que vous me mandez je n'arriverai pas trop tard.

Mon ami M. Moulins m'a envoyé quelques questions en m'assurant que vos chances étaient très belles. A ses yeux la partie est certaine. Vous savez qu'il est fort judicieux et bien informé. M. Masson, l'ancien préfet d’Amiens lié avec M. Th[iers] m'a dit qu'il ne doutait pas pas de votre nomination. Je l'ai vu à Alençon à son retour de Paris où il venait de passer son temps auprès des personnages dont la bienveillance me paraissait mieux assurée que dans les rangs où sont mes amis.

Il n'y avait pas moyen de disputer à M. de Broglie l'héritage de l'excellent M. de Saint-Aulaire4. Je m'y résigne avec de vifs regrets, car au lieu de Rome c'est de fingat, de cucullia et de Malvina que vous aurez à vous entretenir La Scandinavie n'est pas la région que j'aurais souhaité à votre angélique Muse. Je crains aussi les sottes réactions contre l'Église. Les Débats, la Revue des deux mondes sont arrivés à un véritable état de rage. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que Veuillot s'en étonne. Si la guerre continue et s’étend à l'Europe, MM Havin5 et Girardin6 auront assurément autant de crédit que lui si ce n'est plus, car ils n'attaquent que le bon Dieu et sont très épris des aventures qui pourraient bouleverser le monde. Leur approbation de la politique violente au dehors doit plaire à notre maître.

Croyez-vous à ces nouvelles lueur pacifiques?

Je le désire bien ardemment, car ce qu'il y a de moins visible, en tout ceci, c'est l'intérêt français.

J'ai reçu, il y a quelques temps, une lettre de Mossoul (vous devinez de qui) pleine de renseignements curieux sur l'état des esprits chez les musulmans d'Asie et ceux d'Europe. En Asie, ils appellent les Russes de leurs vœux pour se débarrasser des Turcs de Constantinople qui eux-mêmes sont tellement indignés des conditions d'émancipation grecque que nous mettons à notre concours, que jamais il ne nous ont tant détesté. De plus ils sont très humiliés de l'assistance chrétienne. Mon correspondant croit l'exécution du programme d'émancipation ou même de simple protection grecques plus difficile que la guerre. 

Je me réconcilie avec l'Autriche si elle nous vaut la paix. Tous les peuples sont aujourd'hui comme les renards de <mot illisible>, une guerre de paille inflammable qu'il est très dangereux de porter sur des champs de bataille européens. 

Demain sera une grande fête de vous revoir et je bénis le catéchisme de votre chère et bonne petite Loyde.

Adieu, cher ami, offrez, je vous prie, à Madame de Falloux mes dévoués hommages et mes tendres vœux pour vous et tous les vôtres.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

F. C

 

 

1Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869), poète, romancier et critique littéraire. Auteur prolifique, célèbre pour ses Causeries du Lundi et ses Nouveaux Lundis, véritable monument de critique littéraire, familier du salon de la princesse Mathilde, membre de l'Académie depuis 1844, il y était le chef du parti gouvernemental et anticlérical.

2Mérimée, Prosper (1803-1870), romancier. Familier de la cour impériale de Napoléon III, passionné d'archéologie, collaborateur de la Revue des Deux Mondes, auteur de romans célèbres (Carmen), entré à l’académie en 1844, il était très hostile aux catholiques de l'Académie.

3Garnier-Pagés, Louis-Antoine (1803-1878). Député sous la monarchie de Juillet (1842), il participe activement à la campagne des banquets. Ministre des Finances dans le Gouvernement provisoire, il se fit élire à l'Assemblée constituante.

4Sainte-Aulaire, Beaupoil, Louis Clair de, comte de (1778-1854), préfet sous l’Empire puis député libéral sous la Restauration. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur de France en Italie (1831), en Autriche (1833) et en Angleterre (1841-1847). Il avait été élu à l’Académie française en 1841. Il venait de mourir le 13 novembre 1854.

5Havin, Léonord-Joseph (1799-1868), homme politique et journaliste. Député de Saint-Lô (Manche) sous la Monarchie de Juillet, il fut élu député sous la Seconde République siégeant avec la majorité. Ayant protesté contre le coup d’état de L-N Bonaparte, il quitta la scène politique se consacra au journalisme. Entré au Siècle, grand journal républicain, il en fut le directeur jusqu’à sa mort.

6Girardin, Émile de (1806-1881), journaliste français, fondateur, en 1836, de La Presse, premier des quotidiens à grand tirage. Député sous la Monarchie de Juillet, il démissionna de son siège à la veille de la révolution de Février. Rallié à la République, il soutint Louis-Napoléon avant de l’attaquer, ce qui lui valut d’être expulsé lors du coup d'État. Rentré peu après en France, il reprit la direction de La Presse et apporta son soutien au régime. Ayant vendu La Presse en 1865, il avait racheté La Liberté.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 janvier 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 23/02/2024