CECI n'est pas EXECUTE 27 juillet 1855

Année 1855 |

27 juillet 1855

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

Paris, 25 juillet 1855

Cher ami,

Je ne sais par quel bout entamer mes excuses, et le plus court est de faire d’abord appel à votre indulgence. A peine étais-je reposé de mon derniers voyages de Paris que j’ai été invité à me préparer de nouvelles forces pour une seconde excursion du même côté. J’ai voulu attendre alors qu’elle fut accomplie, afin de vous en rendre compte et cela m’a mené jusqu’à aujourd’hui.

J’arrive donc de Champlatreux où j’ai trouvé le châtelain1 tout rajeuni par un enthousiasme sans restriction et sans limite. Sa visite avait été si goûtée qu’on a voulu rendre quelque chose d’analogue en expédiant le duc de Noailles2 et le duc d’Ayen. Ils ont du se rencontrer au même but le même jour avec M. Odillon Barrot. Je n’ai pas de nouvelles de ce dernier, mais Edouard Walsh3, qui était aussi de la partie, est de retour depuis deux jours et ne tarit pas en excellents récits sur tout ce qu’il a vu et entendu. Voilà donc un bon commencement de l’état pratique qui était ardemment souhaité et un heureux gage de ce qui doit se compléter, annonce-t-on, vers le mois de septembre. Malheureusement l’ombre qui planait sur ce tableau de famille va toujours en s’épaississant. Albert de Broglie est revenu du pays de Ste Elisabeth fort affligé des contrastes qu’il y a trouvés et Jules de L4. tient dans les Pyrénées un langage dont je reçois ce matin même un écho très direct et très déplorable. Voilà cher ami, le plus gros et le plus intéressant de mon panier. Vous n’y trouverez peut-être rien qui ne vous ait déjà été offert, mais j’aime mieux vous paraître rabâcheur que de vous laisser sereinement dénué des renseignements qui vous intéressent.

J’avais fait une station à Orléans5 avant d’achever ma route ; on m’y a communiqué votre lettre romaine et je n’ai jamais qu’une impression en vous lisant, c’est le regret que vous n’écriviez pas plus souvent et davantage. Quant à votre espérance d’entendre exhaler des douleurs de M. Veuillot le cri de Beati Mites6, je ne puis m’y attacher un instant. Un des plus profonds détachements qui se soient opérés en moi à l’égard de ce triste homme a été daté de la mort de sa femme7 si rapidement suivie de la compagne la plus gaie, la plus libre d’esprit, le plus voltairement de style qu’il ait jamais faite. Le malheur aigrit ceux qu’il touche pas et sans vouloir combattre, cher ami, votre délicate pitié, je me condamne à faire mes réserves. Je sais du reste que M. Veuillot a repris son genre de vie et de travail ordinaire, et hier même il arrêtait Augustin Cochin dans la rue pour le faire parler sur le ménage du Correspondant. Cochin a cru devoir user avec lui de beaucoup de discrétion, mais voici ce qu’il aurait pu lui dire :

Les dernières difficultés sont aplanies. Nous sommes entrés en propriété du Correspondant à partir du Ier Juillet et nous entrerons dans la rédaction à partir de novembre prochain. C’est Albert de Broglie qui inaugurera la nouvelle situation. Montalembert doit suivre. Je viendrai probablement en troisième, mais seulement si l’élection académique est consommée. Je ne veux à aucun prix laisser prendre à l’acte le plus sincère de ma conscience le caractère d’une platitude vis-à-vis quelques éminents électeurs.

Les nouvelles de la guerre frisent le découragement, mais non point celles de notre diplomatie. On parme beaucoup depuis quelques jours d’un plan qui donne la Lombardie à la Duchesse de Parme, le duché de Parme au Piémont, la Savoie à la France et les provinces danubiennes à l’Autriche. Les premiers bruits en sont venus de Vienne et par des personnages qu’on dit sérieux. Cela n’a, je crois, aucune vraisemblance de réalisation, mais l’incontestable valeur d’un symptôme. Ceux qui ont refusé la paix ce printemps se réservent évidemment de ne la signer que lorsqu’ils auront quelque produit net à présenter à la France ; mais que de chances pour en arriver là !!

J’ai reçu votre lettre à côté d’Albert8 qui en a joui aussi vivement que moi et vous envoie les mêmes tendresses. Je pars demain pour Caradeuc où la bienveillance de Madame de Corcelles causera une reconnaissance très émue. Avant la fin août nous serons tous rentrés au Bourg d’Iré pour n’en pas bouger, combien je voudrais que ce fut aussi pour vous y attendre !

J’ai lu hier le dernier article de M. Ampère sur les vieux romains. La profession de foi où il se place entre Niebuhr et Tocqueville m’a paru aussi finement amenée que satisfaisante causé une vraie joie dans une telle bouche et pour un tel public. J’ai pensé que peut-être cela avait été écrit sous votre toit et je n’en ai que mieux joui.

Voilà le temps et le papier qui me manquent. Quand vous serez à court d’une bonne action pour votre bonne journée, écrivez-moi je vous en prie.

A vous de tout cœur.

Alfred

P.S. Il faut bien aussi que vous prépariez quelque chose pour le Correspondant.

1Le comte Molé.

2Jules dit duc de Noailles (1826-1895), père du duc d’Ayen.

3Walsh, Édouard (1805-1884). Il était le fils du vicomte Joseph Walsh, auteur des Lettres vendéennes (1825). Ultra royaliste, il avait fondé La Gazette de Normandie et dirigé de 1835 à 1848 La Mode, hebdomadaire légitimiste.

4Lasteyrie, Jules Adrien de (1810-1883), journaliste, écrivain et homme politique. Fervent orléaniste, il fut élu député de Seine-et-Marne de 1841 à 1848 et sous la Seconde République (1848-1849). Réélu à l'Assemblée nationale en 1871, il deviendra sénateur inamovible.

5Chez Mgr Dupanloup.

6Bienheureux les doux.

7Mathilde Veuillot, son épouse était morte de septicémie le 24 novembre 1852.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 juillet 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 08/03/2024