CECI n'est pas EXECUTE 8 août 1855

Année 1855 |

8 août 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

8 Août 1855

Mon cher ami, j'ai reçu votre dernier billet. L'auteur des lignes qui vous sont parvenues est charitable, aimable, pieux: mais je doute un peu de la justesse de ses appréciations.
Les paroles qu'il rapporte me semble coloré au-delà de ce que la physionomie du saint personnage exprime habituellement. Il se peut, cependant, qu'il soit exact; dans tous les cas, il a voulu l'être. Sur ce point, je n'ai pas de doute. Ceux qui me restent  compliquent la difficulté de la réponse à faire. La note demandée ne peut être dans la vraie mesure que si vous connaissez parfaitement la nuance, le ton, le désir de la question telle qu'elle a été posée. Autre observation importante: la question est-elle antérieure ou postérieure à l'envoi et à la remise des lettres? Je ne suis pas requis nominativement, comme vous l'êtes ainsi que M. S. Je crois donc qu'il y aurait de ma part indiscrétion à intervenir de nouveau. Ainsi, je me borne à faire des vœux pour une très sage réponse. Elle aura cette qualité et toutes les autres, puisque vous la ferez. Vous éprouverez probablement un grand embarras. C'est verbalement qu'il faudrait s'expliquer pour être complet et bien compris. Beaucoup de précisions dans le choix des exemples serait de plus nécessaires. Or, comment s'aventurer, de loin, dans de longues démonstrations, sans savoir suffisamment la véritable disposition d'esprit de celui à qui l'on s'adresse? Et puis vous risquez de ne pas présenter les choses de la même manière que M. S  si vos témoignages ne sont pas semblables il s'affaibliront l'un par l'autre. Je crains que M. S. ne vous consulte pas et réponde de son côté par un tableau qui ne sera pas conforme à vos intentions. Ce n'est pas un esprit assez profond et assez juste pour que vous puissiez vous en rapporter entièrement à lui.

Pour bien répondre, il faudrait être réunis, se bien concerter, et vous êtes au contraire dispersés.
La mort de mon saint ami l'abbé Gl de la Trappe m'a inspiré quelque pages intitulées : Souvenir de Staouëli1. Je les ai envoyé à Orléans pour une publicité quelconque. Ce sujet m'a permis d'exprimer, je crois, quelques pensées qui doivent être les vôtres. Si cela paraît et vous tombe sous la main vous m'en direz votre avis.

Les épreuves de V[euillot] continuent bien douloureusement. La mansuétude viendra-t-elle enfin? Ces jours derniers, je remarquais un fort étrange et scandaleux article contre le roi de Naples, pour les Murat. Le 15 juillet une apologie de l'épreuve du feu du Moyen-Âge. Cet amas d'énormité ne dépend plus de V tout seul. Une coterie toute entière s'est formée dans cet esprit; elle a son public et le mal durera donc longtemps. Comme vous le dites très bien: c'est du voltairianisme dans la façon contre les enfants de Voltaire. Ajoutez-y des affectations continuelles ; à côté des railleries une religion du mélodrame et les plus déplorables entraînements de violence, le contraire en un mot de la vérité, de la douceur, de la persuasion.

Larcy est à Aix-la-Chapelle avec Lanjuinais2 dont il est fort content. Il vient de m'écrire un charmant récit de ses deux voyages. Nous avons su que Th avait tenu à  Br un bon langage. R lui-même malgré son peu de goût pour les conclusions a bien parlé. L'incident hispano-russe sera, je l'espère, une leçon de prudence. C'est presque une bonne fortune de l'avoir reçu de cette façon. Je craignais pis, tout en admettant la sincérité des dénégations. Cependant j'appréhende encore que le compliment des visites n'en soit dérangé. Trevanau s'est montré avec Larcy.

La fée grognon qui gâte un peu la fête non par sa présence comme dans les contes de Perrault mais par ses absences, est en Suisse. Je ne doute pas de sa persistance dans les réserves; mais elles n'ont pas d'éclat et nous devons bien prendre garde d’en diminuer, par des récriminations, ce qui n'est guère satisfaisant.

Les anciens légitimistes de notre département achèvent de prendre une couleur singulière. Charency a été élu au conseil général comme candidat amis du gouvernement.  Assurément ces messieurs seraient ravis de faire leur cour à toute autre chose; mais si la branche <mot illisible> succédait, ils trouveraient peut-être les moyens de s'incliner devant les faits accomplis

D'Assailly3 nous écrit de Kassel qu'il a trouvé Jules4 assez modéré, je ne garantis rien. C'est uniquement pour vous accuser réception et vous remercier, cher ami, de votre dernière lettre que je vous écris aujourd'hui en très grande hâte au milieu d'un certain nombre de petites affaires et préoccupations.

On travaille à force au chemin d'Alençon à Tours. Quand il sera fait nous serons voisins, dieu merci. Adieu cher ami, bien affectueusement.

F. C.

J'ai écrit à Monsieur M5. pour le féliciter. Vos diverses nouvelles m'ont beaucoup intéressé. Ne m'oubliez pas quand vous en aurez. Ce que je vous dis de Charency n'est pas une pierre dans votre jardin; mais croyez qu'ici il n'y a pas de limite à la faiblesse et aux engagements de circonstances. Il est impossible d'apercevoir un point quelconque de résistance, de réserve militante. Si d'autres faits accomplis les dégageaient, ils seraient heureux j'aime à le croire. Leurs efforts n'y auraient été pour rien, ce sont purement et simplement des prisonniers sur parole.

1Village proche d’Alger où fut fondé un établissement de Trappistes.

2Victor-Ambroise Lanjuinais, vicomte (1802-1869), homme politique. Second fils du célèbre conventionnel, il débuta sa carrière comme avocat puis entra dans la magistrature en 1830. Destitué en 1831 en raison de ses opinions libérales, il combattit le socialisme et se fit le porte-parole du Laisser-faire. Député de 1837 à 1848 (collège de Nantes extra-muros) puis député de la Loire Inférieure sous la Seconde République. En 1844, il acheta, avec son ami Tocqueville et de Corcelle, le journal Le Courrier où il traitait les questions économiques et maritimes. Ministre de l'Agriculture dans le second cabinet Barrot du 2 juin au 31 octobre 1849, puis ministre de l’Instruction Publique par intérim (remplacement de Falloux). Il protesta contre le coup d'État et fut détenu quelque temps à Vincennes. Il défendit le pouvoir temporel du pape. Il fut élu député du tiers parti en 1863 pour la Loire Inférieure.

3Assailly, Charles-Philppe-Alfred d' (1804-1869), fut ministre plénipotentiaire à Kassel (Allemagne), démissionnaire en 1852, après le coup d’État. Il avait épousé Adrienne-Octavie de Lasteyrie.

4Jules de Lasteyrie.

5Montalembert ?


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 août 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 09/03/2024