CECI n'est pas EXECUTE 4 octobre 1855

Année 1855 |

4 octobre 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay, Orne, le 4 octobre 1855

Mon cher ami, j'arrive de Br|oglie]1 où j'ai rencontré l’aimable Ampère. Mon projet était d'abord d'aller jusqu'au Val des environs de Lisieux; mais c'était plus long que je ne croyais et je me suis d'ailleurs assuré que je n'apprendrai rien dans ce dernier endroit qui ne fut comme dans celui que je visitais. Albert de Broglie m'a paru dans une excellente disposition. Il doit aller, sous peu de jours, causer avec Mont[alembert] près d'Avallon2. Il croit ça je manque que le correspondant ne doit pas provoquer la polémique et qu'il faut surtout le tenir en réserve en ayant soin de relever sa rédaction pour le talent, la solidité paisible des doctrines et l'importance des auxiliaire qu'on s'associerait. Tout cela avec beaucoup d'habileté honnête à l'adresse romaine est excellent.

Ampère avait en poche un manuscrit fort remarquable qu’il nous a lu c'est un avant-propos à un ouvrage inédit de son père qui n'est rien moins qu'une philosophie catholique. Le livre dont il s'agit est inachevé composé de fragments; mais l'avant-propos forme le lien, comble les lacunes. Ce que j'ai entendu m'a paru profond et d'une grande beauté. J'ai engagé Ampère à consulter avant la publication, des théologiens comme M. l'abbé Maret et le père Gratry afin d'éviter les expressions qui mériteraient des reproches. Peut-être ne serait-il pas sans utilité d'obtenir des fragments pour le Correspondant.

C'est une belle et noble hospitalité que celle de Broglie, tout y est consacré à la vie de l'esprit. Peut-être y manque-t-il un peu d'expansion et retrouverait-on en épluchant bien dans les formes seulement quelque chose de Genève et du ci devant canapé en Normandie; mais il faut admirer pleinement la dignité, la fermeté et la religieuse droiture de tels hôtes. La réconciliation y est tout à fait adopté à l'état de mariage de raison. Vous savez que c'est beaucoup dans une maison qui ne se contredit pas aisément. Le père avait été à Cl et le fils à Eis. Les informations de celui-ci sont bonnes. Ils croient le jeune homme rassurant pour son caractère et son éducation. L'obstacle aux visites complémentaires n'a rien de très fâcheux. On croit à Broglie à une longue et vaste guerre, a des révolutions en Italie. Naples pour commencer. Est-ce votre impression ? Je suis porté à penser aussi que ce danger est réel. Mais l'Allemagne pratiquera probablement aussi longtemps qu'elle le pourra le système de l'épuisement de ses voisins, et nous ne sommes guère en mesure de l'avoir sur les bras. Un soulèvement en Italie peut tout précipiter. En dehors de cette terrible chance, j'aperçois bien des délais, des timidités, des ménagements qui peuvent de part et d'autre ajourner la grande extension de la guerre. Dieu le veuille! J'ai oublié de vous dire que je n'avais rien reçu de l'éminence. Il est vrai que la réponse était difficile. Je viens de lui écrire de nouveau pour lui recommander la Procure générale de la Trappe qui retourne à son poste. Ce sera peut-être une occasion indirecte. Mais, comme vous, je crois qu'on veut gagner du temps. Avez-vous été content de M.S.? Avez-vous fait ma commission auprès de lui ? M'a-t-il conservé rancune ?

Je lis l'Univers assidûment et le trouve toujours bien dangereux, quoique les personnalités n'y occupent plus la même place. Que de paradoxes irritants !

L'évêque du Puy3 et l'évêque d'Arras4 ont trouvé moyen de nous étonner. La comparaison du sentiment de Sébastopol à celui de Sodome et Gomorrhe est d'une tête fort échauffée.
Les articles de Gr. Cassagnac5 et de <nom illisible> prouvent que le parti de la guerre révolutionnaire a des amis dans le gouvernement. Vous savez sûrement que le Siècle appartient à la branche Jérôme. Gardez pour vous seul mes impressions Broglienne et donnez-moi de vos nouvelles. Je ne pense pas aller à Tocqueville6 avant la fin du mois. Adieu, cher ami, très tendrement.

F. C.

A. de Broglie a, je crois, terminé un très bel ouvrage sur Constantin7. Son mérite m'a beaucoup frappé. On reconnaît aisément sa résolution de corriger ce qu'il y a d'un peu froid dans la physionomie de sa famille et de son entourage, sa femme est complètement charmante. Elle n'est pas de Genève assurément.

 

1Commune de l’Eure, où les Broglie possède leur domaine.

2Commune de l’Yonne.

3Pierre-Marc Le Breton (1805-1886), évêque du Puy-en-Velay depuis 1863.

4Mgr Parisis, Pierre-Louis (1795-1866), prélat. Intronisé évêque de Langres en 1835, puis évêque d’Arras en 1851. Membre de la Constituante et de la Législative, il quitta la vie politique après le coup d’État et fut l’un des premiers évêques à rallier le régime, célébrant l’alliance de l’Église à la République et apporta son fidèle soutien à Veuillot dans sa lutte contre les catholiques libéraux.

5Cassagnac, Paul-Adolphe-Marie de Granier de (1808-1880), écrivain, historien et homme politique français. Partisan de la dynastie d’Orléans sous la monarchie de Juillet. Bonapartiste extrême sous la Seconde République, il applaudit au coup d’état et soutint Napoléon III par son activité littéraire. Il fut membre du Corps législatif. Il avait fondé, en 1849, le quotidien Le Pays, devenu l'organe du parti bonapartiste.

6Commune de la Manche, où Alexis de Tocqueville possède un domaine.

7Albert de Broglie, L’Église et l’Empire romain au IVème siècle. Première partie - Règne de Constantin, Paris, Didier et Cie Editeurs, 1856


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 octobre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 27/03/2024