CECI n'est pas EXECUTE 22 septembre 1855

Année 1855 |

22 septembre 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

 

Essay (Orne), 22 septembre 1855

Je reçois, mon cher ami, votre bonne lettre en m’affligeant de cette délicatesse de santé qui persiste. Un grand repos me paraît le remède. Ne vous chargez pas, je vous en conjure de trop de soins. Votre agriculture même pourrait n'être plus un délassement si vous y apportiez plus d'ardeur que vos forces n’en comportent. Surtout point d'agitation du côté du Correspondant et de Campitelli. Faites tout cela, à votre aise, tranquillement, hygiéniquement. Songez qu'on perd du temps en brûlant sa vie. Vous m'expliquez à merveille la vraie situation des choses. Et d'abord, vous aurez vu pour le petit article trappiste, que je m'étais conformé vis-à-vis l'Univers, à vos justes appréciations en recommandant fermement la charité. Aussi, se sont-ils bien gardé de reproduire ce qui les blessait. Malac1, de son côté, à trouvé, sans doute, que j'avais manqué de confiance dans sa famille en ne m'adressant pas à lui et vous connaissez d'ailleurs son faible pour les violents quoiqu'il ne le soit pas. Le fait est que je ne lui ai rien demandé. Mais la publication est parfaitement suffisante pour Rome et les trappistes. Plus d'éclat n'aurait pas été mérité pour ces humbles pages dont vous avez l'indulgence de vous dire satisfait. Je vous envie la bonne visite des Fresneau. Offrez à notre ancien collègue, mon cher cousin, mes bien affectueux souvenirs. Vos éloges de Mel[un] et Valmy2 me font grand plaisir et m'étonnent moins que vous ne le pensez. J'avais su d'autre part que Val[my] était revenu de certaines illusions et tenait un bon langage. Quant à  Mel[un] je ne doute pas de la bonté du fond; mais sa charité légale et bruyante est une drogue dangereuse. S je n'aime pas qu'on réclame une vitrine à l'Exposition universelle pour les sentiments chrétiens. Les croix d'honneur sont aussi de trop. La vice-présidence Mallois est une embûche. Que dites-vous de Mgr Parisis3 qui traite Sébastopol de Sodome et Gomorrhe? Voilà des sages manières de ramener à l'unité un peuple religieux qui comptera 140 millions d'habitants dans 30 ans! Je ne nie pas l'importance des mesures défensives prises contre l'extension des Russes; mais à côté de l'équilibre continental, au point de vue catholique et politique il faut voir l'équilibre des mers quand l'Asie tout entier peut entrer dans des conditions nouvelles. À cet égard, nos évêques publicistes ont des écailles sur les yeux. Sébastopol est une Gomorrhe et Albion4 qui croise sur les côtes d'Italie <mot ilisible> ses billes, fulmine contre l'Église est presque une sainte. Stultorum magister eventus. ...

Quand Saint-François-Xavier propageait merveilleusement la foi dans l'extrême Asie, il s'appuyait sur la flotte de Jean M. On comptait alors bien des marines. Celle d'Espagne, du Portugal  de Gène, Venise, Hollande etc...

On verra ce que deviendront nos missions quand le vaisseau seront seuls en présence de ceux de l'Angleterre. Et puis quel programme pour les catholiques en Turquie même! L'intégrité musulmane à la condition de l'émancipation grecque! La Russie souffre beaucoup; mais dans l'avenir on pourrait bien lui faire des recrues.

Arrangez, je vous prie, mes relations avec M. Sacy5. Nous n'avons, je l'espère bien, aucun sujet d'amertume dans ce qui s'est passé. il comprendra facilement que je ne pouvais ni exagérer ni fausser mes souvenirs pour perdre mon ami Bedeau6; que d'ailleurs son propre récit m'inculpait, à son insu, en me présentant comme ayant accepté une mission grave que je n'avais pas remplies. Je n'ai nullement accusé la parfaite droiture de notre ancien et très cher président, mais simplement regretté, que sur des circonstances si délicates, il ne m'ait pas préalablement consulté avant de publier son histoire. Il eut été plus exact et il ne m'aurait pas mis dans la pénible nécessité de m'opposer à une véritable injustice à l'égard de Bed[eau]. Dites-lui surtout que je l'aime et l'estime de tout mon cœur. Le présent et l'avenir nous unissent si parfaitement qu'il serait tout à fait absurde de nous créer des ombrages sur une vieille contradiction que deux mots de vive voix réduiraient à sa valeur. 

Ne lui dites pas, avec cela, que je le considère comme un peu enfant. Je ne crois pas autant que Mont. à la gravité de son influence. Évidemment Mgr Campitelli, d'après les circonstances que vous m'exposez, a été exact. Vous avez parfaitement mis en œuvre ses excellentes qualités, sans tout lui dire. Ah ! que je voudrais être à Rochecotte! Ces eaux de Contrexeville me font mal à la vessie de Montalembert. Il sera nécessaire d'être très modéré dans le Correspondant. La fermeté et la réparation doivent se montrer dans les doctrines, dans la douceur des exemples et non par l’âpreté des reproches.

Notre gvt <mot illisible> le retour de l'Angleterre en Crimée ; je crains bien qu'en ce moment il ne se figure qu'elle se charge à Naples d'une besogne qu'il ne pourrait avouer sans se brouiller avec l'Autriche et l’Église.

Cette fausse idée ne l'empêcherait pas de désavouer l'Angleterre, de gémir sur la nécessité d'accorder un <mot illisible> pour l’apaisement des désordres, de redoubler d'affection pour le Saint Siège, de paraître entraîné, etc, à moins qu'on ne veuille simplement se borner à humilier un Bourbon. Il y aura bien des équivoques, des transitions et ménagements, dans tout ceci jusqu'à ce que l'Autriche le sermonne et elle n'est pas pressée de le faire. 

 

1Directeur du journal L'Assemblée nationale.

2Kellermann, François Christophe Édouard de, duc de Valmy (1802-1868),  diplomate et homme politique. Petit-fils du célèbre général de la République, Kellermann, créé duc et maréchal par Napoléon. Ses convictions légitimistes l'amenèrent à renoncer à la carrière diplomatique en 1833. Élu à Toulouse en 1842 et en 1846, il vota constamment avec la droite. Depuis la révolution de février 1848, il était  rentré dans la vie privée.

3Mgr Parisis, Pierre-Louis (1795-1866), prélat. Intronisé évêque de Langres en 1835, puis évêque d’Arras en 1851. Membre de la Constituante et de la Législative, il quitta la vie politique après le coup d’État et fut l’un des premiers évêques à rallier le régime, célébrant l’alliance de l’Église à la République et apporta son fidèle soutien à Veuillot dans sa lutte contre les catholiques libéraux.

4Nom antique de la Grande-Bretagne.

5Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

6Bedeau, Marie-Alphonse  (1804-1863), comme les autres militaires cités ici, il participa à la conquête de l'Algérie. Comme Cavaignac, il revint en France et se fit élire à la Constituante.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 septembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 27/03/2024