Année 1854 |
18 septembre 1854
Louis Molé à Alfred de Falloux
Paris, 18 septembre 1854
Mon bien cher ancien collègue, que ne puis-je ajouter cher confrère1. Je ne cesse de penser à vous depuis que les journaux ont annoncé le nouveau vide qui s'est fait dans nos rangs académiques. J'attendais toujours un mot de votre main qui me fit connaître vos intentions et vos désirs. J'ai reçu ce matin votre très aimable lettre qui avait été me chercher au Marais et à laquelle vous le voyez je me hâte de répondre. J'ai été fort souffrant depuis trois semaines d'une crise assez vive de cette maladie avec laquelle je vis depuis 40 ans, tantôt en assez bonne, tantôt en assez mauvaise intelligence ; elle m'avait forcé il y a une douzaine de jours à quitter le Marais pour me rapprocher de Mr. Andral2, je crois que je tiens enfin la convalescence. Je fais demain l'essai de mes forces par une course à Châmplatreux et deux jours après je rejoindrai ma famille au Marais où elle restera jusqu'au 2 octobre, le 3 ma fille reviendra ici et le 4 j'irai m'établir avec elle à Châmplatreux priant Dieu de n'en plus bouger jusqu'au 31 décembre. A partir du 5 octobre vous me rendrez le plus heureux des hommes en venant passer quelques temps sous mon toit. J'écris en même temps qu'à vous mes projets à Mgr d'Orléans qui, comme il vous l'a dit aura la bonté de me donner tous les moments dont il pourra disposer. Maintenant parlons de nos affaires je dis nos et non pas vos car je soutiens que le succès me teint au cœur mille fois plus qu'à vous. Il ne faut pas se le dissimuler, la partie sera non aisée à jouer et surtout à gagner. Par une de ces réactions auxquelles les assemblées comme l'académie sont fort sujettes, un peu effrayé de ses propres œuvres, de choix tels que Mr. Berryer et l'Evêque d'Orléans, on s'est écrié sur tous les bancs. La première fois, de toute nécessité il faut nommer un homme de lettres. Je dis alors à mes voisins c'est-à-dire au cœur des plus fermes parmi les 40 : laissons passer ce mouvement de défaillance, on ne nommera plus personnes avant janvier 1851 et d'ici là les courages pourront se raffermir. Il faut dés à présent que nous mettions la question à l'étude ; que nous voyions les uns, que nous écrivions aux autres, peut être même que vous laissiez quelques hommes de lettres se mettre en avant, amis je vous supplie, prenez d'autres conseils que les miens. Au mois de juin MM. Cousin3 et de Salvandy sont venus me voir à Champlâtreux, il n'y avait point de vide alors et depuis je n'ai pas vu un seul académicien. Je ne sais s'il en reste à Paris, mais certainement ils doivent y être en très petit nombre. Mon voisin de Champlâtreux, M. Poujoulat4 m'a écrit qu'il se mettrait en avant sous la réserve de ne jamais entrer en concurrence avec vous. Quant à lui, je le préférerais assurément à MM. Ponsard5 et Augier6 auxquels vous me paraissez donner trop de consistance.
Je vous envie votre visite à Rochecotte et suis charmé d'apprendre que la D[uch]esse de Sagan7 se porte si bien. Je me serais rappelé à son souvenir si depuis un mois je ne m'étais senti aussi maussade que mal portant. J'avais appris avec un véritable chagrin l'état de sa fille, cette jeune et angélique femme ne sait pas assez qu'une mère comme elle doit à Dieu non moins qu'à ses enfants de se conserver ; elle a négligée sa santé d'une manière vraiment regrettable.
Adieu mon bien cher ancien collègue. Je vous attends, vous espère, vous désire à Champlâtreux. Recevez l'expression de mes sentiments dévoués et fidèles. Je vous suis acquis toujours et en toute occasion.
Molé