CECI n'est pas EXECUTE 16 novembre 1854

Année 1854 |

16 novembre 1854

Louis Molé à Alfred de Falloux

Champlâtreux, 16 novembre 1854

Mon bien cher ancien collègue, j'ai reçu votre lettre sans date avant-hier et j'y réponds en vous adressant en Anjou, car il me semble que vous devez avoir quitté Paris. Je regrette plus peut-être encore que vous ne pouvez le faire Monsieur de S[ain]te Aulaire1, à mon âge on ne voit pas disparaître un des témoins et compagnons de sa vie, l'un de ceux avec lesquels on avait communauté de souvenir, le même sentiment du passé, sans sentir l'isolement s'accroître et le vide se faire autour de soi. C'est surtout depuis 1830 que je m'étais trouvé plus rapproché de S[ain]te Aulaire et que j'avais pu apprécier davantage l'agrément de son commerce et ses excellentes qualités. A peine la nouvelle de sa mort s'est elle répandue que j'ai entendu sortir votre nom d'un grand nombre de bouches comme son successeur naturel et le plus indiqué à l'Académie. Il y a là pour vous une conjoncture tellement favorable qu'il faut à tout prix la saisir et en profiter. Je vais dés ce moment écrire à M. Pasquier2 et à Cousin pour qu'ils s'engagent avec moi. J'attendais hier le duc de Noailles mais l'état grave et inquiétant où est le duc de Mouchy3 lui a fait différer sa visite, j'attends aussi Salvandy ; vous pouvez assurément compter également sur tous les deux. En un mot je vais faire tout ce qu'il me sera possible de faire du fond de ma retraite de Champlâtreux. Je pourrai davantage quand je serai revenu à Paris et ne manquerai pas de vous informer de tout ce qu'il serait bon que vous sussiez. Je ne tarderai pas non plus à pressentir moi-même ou à faire pressentir Mr. Villemain4 et Mr. Guizot. Quand à vous cher ancien collègue, il me semble que vous devez attendre encore avant d'adresser au secrétaire perpétuel la lettre par laquelle vous poserez nettement votre candidature. Ma fille me charge de vous dire qu'elle prétend me surpasser en ardeur dans cette circonstance. Toute injuste que soit cette prétention, je l'accueille en toute indulgence. Je vous préviens que si je croyais une apparition de vous à Paris utile je vous l'écrirais tout de suite et compterais sur votre obéissance. La séance du 9 novembre marquera dans les fastes de l'académie. Mais en outre elle a été un événement politique et religieux. J'en recueille tous les jours de nouvelles preuves. Le discours de notre évêque5 que je viens de lire renferme des beautés de premier ordre, c'est dommage qu'il se soit trop épris du dictionnaire et qu'il l'ait célébré si longtemps. C'est le seul point sur lequel le public n'ait pas été en harmonie avec lui. Toujours est-il que ce discours lui fait une position toute nouvelle, il devient malgré lui chef et drapeau pour tous ceux qui disent : Paix aux hommes tout en combattant énergiquement les fausses doctrines.Recevez mon bien cher ancien collègue les plus tendres assurances des sentiments que je vous ai voués et de mon dévouement sans bornes à vos intérêts académiques.

                                                                                                                  Molé  

Notes

1Beaupoil, Louis Clair de, comte de Sainte-Aulaire (1778-1854), préfet sous l’Empire puis député libéral sous la Restauration. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur de France en Italie (1831), en Autriche (1833) et en Angleterre (1841-1857). Il avait été élu à l’Académie française en 1841.
2Étienne-Denis, baron puis duc de Pasquier, dit le chancelier Pasquier (1767-1862), homme politique. Préfet de police sous la Restauration, Garde des sceaux, puis ministre des affaires étrangères sous la Restauration, il présida la chambre des pairs sous la monarchie de Juillet. Il était membre de l'Académie française depuis 1842.
3Charles Philippe Henri de Noailles, 4e duc de Mouchy (1809-1854). Le duc mourut quelques jours plus tard, le 25 novembre 1854.
4Villemain, Abel-François (1790-1870), critique littéraire, historien et homme politique français.
5Mgr Dupanloup avait prononcé son discours de réception à l'académie le 9 novembre 1854.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 novembre 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1854, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 07/10/2013