Année 1855 |
23 mars 1855
Louis Molé à Alfred de Falloux
Paris, 23 mars 1855
Je reçois mon cher comte votre lettre du 26 et je m'empresse d'y répondre. L'académie a appris hier par le télégraphe la mort de de ce pauvre Lacretelle1, vous la trouverez annoncée et déplorée ce matin dans le Journal des débats. Votre candidature a gagné beaucoup de terrain depuis la nomination de Mr. Ponsard et plusieurs pensent non sans raison qu'il y aurait profit à faire l'élection dans 40 jours. Le chancelier2 s'est prononcé pour vous avec beaucoup de chaleur, Cousin m'a fait spontanément une déclaration aussi positive que favorable. Vous n'avez de rival à redouter que Mr. de Marcellus3; jusqu'ici il n'annonce aucune disposition à se retirer. Il est certain qu'il ne passera pas, mais il en vous enlevant deux ou trois voix vous ôter la majorité. Villemain le soutient, rien ne peut se comparer à la cour que Mr. de Marcellus lui fait depuis longtemps.
Le bon air, la liberté des champs ont sûrement de grandes douceurs, et sur la santé une influence fort salubre, mais vos chances académiques auraient certainement à souffrir si vous y prolongiez longtemps votre séjour. Ce n'est pas précisément des démarches et encore moins des sollicitations que je vous demande, mais c'est de vous montrer et de causer ; cela suffira pour faire tomber certaines préventions.
Mr. Berryer a reparu hier à l'académie. La publication des deux lettres ne lui a pas été favorable, même parmi les plus ardents de son parti. Mais l'incident est terminé et nul autre que lui ne pourra en souffrir.
Mr. Guizot et Mr. Vitet que je quitte sont bien actifs et croient aussi qu'il faut laisser arriver prochainement le grand jour. Nous avions chez le premier une nouvelle réunion pour L'Assemblée nationale4. On m'a chargé de vous demander si vous pouviez trouver autour de vous et parmi vos angevins quelques personnes qui voulussent nous aider à réunir les 30 ou 40.000 francs qui sauveraient le journal et assurerait sa publication pour deux années encore. L'argent serait donné à titre de prêt et peut-être ne serait-il pas employé si l'exposition de l'industrie, ainsi que cela est probable, nous rendait sur les annonces ce que nous avons perdu. Toute somme à partir de 100 francs serait reçue avec reconnaissance. Nous avons déjà trouvé près des deux tiers du chiffre désiré parmi les anciens actionnaires.
Je ne vous parle pas de la grande question de paix ou de guerre qui occupe tous les esprits. J'aperçois de grandes difficultés à l'une et à l'autre. Les bruits qui circulent sur les travaux de la conférence de Vienne5 varient tous les jours.
Chez Mr. Guizot on disait que vous reveniez après Pâques, dans mon opinion le lundi de Pâques devrait terminer votre vie champêtre et je souhaite qu'il en soit ainsi.
Recevez mon cher comte les plus tendres assurances de mon amitié.
Molé
