CECI n'est pas EXECUTE 15 janvier 1839

Année 1839 |

15 janvier 1839

Rzewuska, Rosalie à Alfred de Falloux

Rome, 15 janvier 1839

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de renouveler notre bail d’amitié...Oui je suis bien malheureuse d'avoir perdu mon pauvre et cher enfant1, c'était notre benjamin, c'était l'objet des prédilections de ma chère Caliste2, il avait conservé toute l'innocence, toute la grâce de l'enfance et il joignait un courage, un dévouement qu'il a noblement prouvé, je ne vais point vous parler en détail de tous les déchirements de mon cœur, il faudrait trop dire, trop expliquer et vous-même, êtes-vous content, êtes-vous assez heureux pour vouloir vous attrister un moment ?

Votre frère est dans un état de santé qui m'inquiète. Il est très exact aux devoirs de son état, et me paraît marcher à grand pas dans la voie de la perfection mais il me semble malade et triste. Peut-être ai-je la jaunisse ou vois-je mes amis avec des yeux prévenus, je voudrais que cela fusse, et que votre frère ne nous donnât aucun sujet d'inquiétude ?  

Vous me demandez si je vais à Paris, je n'y pense point, et par des raisons tr-s flatteuses pour vous autres, je me dis qu'il faut toujours rester à Paris ou bien n'y jamais aller, en effet c'est le charme du caractère et de l'esprit de certaines personnes qui y doit attirer, et puis y fixer . Que veut dire un séjour de quelques mois. Le matériel d'une ville m'intéresse peu, à moins qu'il ne se compose de ruines et de souvenirs, on visite ainsi l'Italie mais il n'en est point de même de la France. Je resterai ici jusqu'à la grande solennité de la canonisation, puis je vais à Naples et en Sicile. Voyez si trouverez quelques moments à me donner, à travers tout et avenir  de voyage. C'est la dernières fois que je vois l'Europe, je compte ensuite retourner chez moi pour ne plus bouger. Je suis lasse d'une vie nomade, je hais les nouvelles connaissances, j'ai un  fonds de tristesse et de misanthropie auquel il ne manque que de la Sainteté (voyez la petite chose).

 pour me faciliter la mort. Cette disposition maussade vous expliquera bien, la brièveté de ma lettre, peut-être serai je plus aimable et plus causante une autre fois, il y a ici une foule de Français avec leur cent mille couleurs et autant de nuances, j'en connais quelques uns, ils ont presque tous des barbes ébouriffés et des figures effroyables, ex officio : car ce n'était point leur vocation, mais on se donne l'air brigand comme on fait du gothique en architecture.

Adieu, agréez les assurances d'une amitié qu'il vous est très honorable d'avoir inspiré à une vieille comme j'ai l'honneur de l'être. Adieu, je vois de temps en temps l'abbé Lacroix3, il n'a point changé. Parlez de moi à votre chère maman.   Bonne année

Notes

1Engagé dans l'armée russe, Withold, le plus jeune de ses fils venait d'être tué au cours d'opérations dans le Caucase.
2Sa fille unique (1810-1848).
3Pierre Lacroix (1791-1869), prêtre. Il était clerc national de France à Rome depuis 1828. Il fut protonotaire apostolique et chanoine d'honneur de l'église de Nancy.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 janvier 1839», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1839, Années 1837-1848, Monarchie de Juillet,mis à jour le : 18/07/2011