CECI n'est pas EXECUTE 12 septembre 1845

Année 1845 |

12 septembre 1845

Jules Morel à Alfred de Falloux

Angers, 12 septembre 1845.

je vous renvoie enfin, mon cher ami, le travail que vous avez voulu me soumettre. Je l'ai relu trois fois et j'applaudis comme à la première lecture où Madame Alfred m'accompagnait. Vous trouverez sur la marge quelque notes au crayon, aussi légère que leur écriture. J'ai réservé par cette lettre les observations sérieuses. M. Nettement se croira-t-il répété ? Certainement non. Avez-vous réfuté  M. N. ? je l'ai espéré à certaines pages où vous <mot illisible>, mais vous avez volé autour de la vraie raison et passé outre. La thèse de cinq Pie V qu'on peut employer la force contre l'idée ; tant que cette thèse ne sera pas établie, Saint Pie V ne sera ni compris, ni réhabilité. Voici comment je connais la preuve. Toute doctrine est rivée à l'État social, est l'âme de la société qu'elle imprime. Par conséquent l'attaque contre cette doctrine est une conspiration des <mot illisible> sous l'édifice de cette société. Par conséquent, <mot illisible> de cette doctrine et le crime capital, et s'il y a une proposition dans Beccaria, le crime capital mérite la peine capitale. Je sais bien que l'état actuel de la société française et européenne donne un démenti à cette théorie. On peut attaquer le mariage, la propriété, la famille, la religion, la morale, l'État, sans aller ailleurs qu'à la police correctionnelle ; mais ce fait prouve l'abaissement ou le droit est descendu chez nous, et pas autre chose. Aussi pour remplacer le pied de justice, qui ne peut plus exister, il faut commuer le pied de guerre en pleine paix, et faire par la corruption des intéressés à l'ordre, contre les intéressés au désordre. Mais en droit, il faut dire que celui qui attaque l'idée élevée à l'état social, commet l'assassinat d'un peuple et qu'il mérite une mort <mot illisible>. Maintenant la doctrine catholique peut-elle être élevé à l'état social ? Ci-git la difficulté. M. Nettement et son école ne le savent peut-être pas, mais s'ils dépouillaient à nu la question, ils diraient qu'il ne le faut pas élevé la doctrine catholique à l'état social, qu'elle doit rester à l'état individuel. Duscutem. D'abord admettons que la doctrine catholique ne doit pas devenir sociale et calculons les inconvénients. L’État est la centralisation par l'organisation de tous les individus :d'où il résulte une force gigantesque, l'énergie la plus élevée que puisse donner l'humanité. Tant qu'une idée n'a pas passé par l'État social, on ne sait pas ce qu'elle est capable de produire. L'état <mot illisible> d'une idée est donc son état social. Si la doctrine catholique ne peut pas devenir sociale, donc on ne verra jamais son épanouissement, donc on ne connaîtra jamais la plus haute transfiguration de l'humanité. Mais pourquoi la doctrine catholique ne peut-elle pas devenir sociale ? Voici votre vraie raison que vous le sachiez ou non, ou que le sachant, vous vouliez le dire ou non. Vous savez que tout le monde peut être obligé à croire qu'il faut respecter la propriété, la <mot illisible>, la famille, l'État, mais vous tenez que tout le monde peut pas être obligé  à croire qu'il faut respecter Jésus-Christ, ses sacrements et son Église.

D'où il suit qu'on vous paraît juste (gouvernement) quand on punit celui qui ne respecte pas le premier,et qu'on vous paraît cruel (inquisition), quand on punit celui qu'ils respecte pas le second. Et pourquoi ne peut-on pas être obligé à croire le second comme le premier ? Par ce que la nature impose la fois du premier à tous les hommes, et qu'au défaut de la nature, la nécessité de la société s'impose, tandis que la nature n'inspire pas la fois du second à beaucoup d'hommes, et que la nécessité de la société ne le réclame pas. D'où il suit que la voie naturelle doit être seule élevée à l'état social, et que la foi catholique doit rester à l'état individuel. Maintenant démolissons l'objection. Comme nous parlons à des catholiques, quoique d'une mauvaise école, nous leur ferons observer que s'ils avaient raison, l'église aurait eu grand tort autre fois de se laisser et le fait partout à l'état social, et qu'aujourd'hui encore, elle blesse les droits de l'intelligence, en imposant le baptême aux enfants, de même que les familles restées chrétiennes violent la liberté de leur fils, en exigeant de qu'il reste dans la foi catholique, sous peine d'encourir leur disgrâce. Il faut donc qu'il existe une solution à l'objection. La voici. La foi catholique peut avoir, dans des circonstances données, des preuves aussi abondantes, aussi évidentes, aussi populaires pour une société, que la fois naturelle ; de manière qu'on puisse justement supposer autant de crimes dans celui qui dira : Jésus-Christ n'est pas Dieu, que dans celui qui dira : la propriété n'est pas en droit:avec ses jours plus toutefois, que le crime contre la foi à la propriété, détruit la société rudimentaire, tandis que le crime contre la foi à Jésus-Christ, détruit la société parfaite. La foi catholique a eu cette évidence comparable à l'évidence de la loi naturelle pendant tout le Moyen Âge, quand la science, la sainteté et les miracles de l’Église couvraient l'Europe. C'est aussi à cette époque que la foi catholique est passé à l'état social et que l'église a établi l'inquisition. L'église n'a pas établi acquisition pendant des siècles, tant que les preuves pouvaient être vues des uns sans être aperçues des autres, et tout de même, elle ne l'a pas continué depuis trois siècles (non parce que le pouvoir politique lui manquait) mais parce que les preuves éclatantes universelles avaient cessé de <circuler> parmi les peuples, et que l'éducation catholique de l'Europe avait besoin d'être restaurée individuellement. Arrivé à ce point, l'école de M. Nettement dira sans doute que les preuves de la foi catholique ne peuvent jamais être populaires comme les épreuves de la loi naturelle. Nous répondons : nos adversaires partent avec vous de ce point, que l'église est divine, que celui qui a fait la loi naturelle est le même qui a fait la foi catholique, et de plus que Dieu a mis plus de soin à faire la seconde que la première : si vous ne voulez pas que nous supposions qu'il ait voulu donner à cette seconde autant de preuves, autant de témoignages, autant d'évidence qu'à la première ! Vous voulez donc qu'il ait destiné la première, c-à-d. l'inférieure, à régner dans l'état social, et la seconde, c.-à-d. la supérieure à rester <mot illisible> dans l'état individuel ! C'est à endroit, et en fait, le moyen-âge vous crie clameurs de Haro.

Résumons :  la foi catholique a droit d'arriver à l'état social. Elle y est arrivée pendant cinq siècles. Le plus grand de tous les crimes est celui qui lèze la majesté de la doctrine sociale. Quand la société est assez noble pour que sa doctrine puisse régner, le plus grand des supplices doit être appliqué au plus grand des crimes. L'instinct du Moyen Âge a raisonné comme cela : il a crié l'Inquisition !

Voilà, mon cher ami, formule algébrique de l'acquisition, selon mes calculs . <deux mots illisibles> que je vous conseille de l'offrir ainsi aux lecteurs de votre article : Saint Pie VI et l'Intolérance !

Elle devrait s'étendre se dérouler, se transformer dans sa souplesse oratoire et votre harmonie de langage, mais elle devrait se retrouver dessous tout cela.  Votre article soumis à l'appareil de Marich donne-t-il cette dernière analyse ? Oui, approximativement, non, adéquatement.

Vous avez une facilité et une grâce de développement immense : il ne manque plus à votre génie qu'un [bonheur] dont vous approchez chaque jour :

Felix qui potuit rerum congnoscere causas1!

Pour moi, j'ai le bonheur, en parlant avec le ton dogmatique de ne pas croire du tout à mon infaillibilité et d'être orgueilleux par-dessus tout de vous aimer à toujours.

                                                                     J. M.

Mes respectueux hommage à Madame de Falloux, mais vifs remerciements à M. le comte ; à Madame Lenoir les vœux de bonne santé qui seront encore plus ardents, si elle veut bien se charger à son retour d'une clé que j'ai laissée au clou de la cheminée de ma chambre

Notes

1Heureux celui qui a pu pénétrer le fond des choses !

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 septembre 1845», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Monarchie de Juillet, Années 1837-1848, Année 1845,mis à jour le : 18/07/2011