CECI n'est pas EXECUTE 7 mai 1848

Année 1848 |

7 mai 1848

Alfred Nettement à Alfred de Falloux

Paris, 7 mai 1848

Cher Monsieur,

Je vous remercie de m'avoir envoyé votre bel article sur les critiques. Vous savez ce que je pense de votre talent et quels affectueux sentiments j'ai voué à votre personne. Ce que je viens de lire ne saurait en rien changer ma pensée, ni altérer mes sentiments. J'ai lu, avec un intérêt réel, l'exposition des raisons sur lesquelles s'appuie celles de vos opinions que je ne partage point. Je conviens qu'elles ont une haute gravité, et il fallait bien qu'elles fussent graves pour qu'un esprit tel que le votre en fut aussi touché. Cependant malgré le prestige de votre beau talent, je reste ferme dans ma conviction contre la répression matérielle en fait de croyance. Je la trouve si contraire à l'esprit du christianisme, que j'aime mieux condamner ce que l’Église n'a jamais érigé en article de foi, que de condamner l'Évangile même. Je n'attribue point ces violences à l’Église, je les attribue au caractère alors plus dur et plus violent de l'époque, caractère qui suivait jusqu'au sein de l’Église les hommes qui ne pouvaient se dépouiller de l'esprit de leur siècle. Remarquez qu'il y a quelque chose de si respectable dans les croyances, que la plupart des théologiens pensent que Dieu ne punira pas  l'ignorance misérable. Avons-nous le droit d'être plus sévères que Dieu ? Que dans un temps où les sociétés étaient tout entières de la même foi, on empêchait les <mot illisible> de troubler cette foi, cela se concevait encore. Mais entre empêcher de brûler, il y a une grande différence. Ce que je ne saurai admettre, c'est qu'on puisse punir de mort dans un homme une  conviction qu'il n'est pas libre d'avoir ou de n'avoir pas. Les supplices en matière de croyance ne me semblent pouvoir faire que des hypocrites ou des rebelles, car l'indignation pousse à la révolte. Je puis me tromper mais c'est dans les profondeurs de ma conscience que je trouve cette conviction, je ne puis admirer à la fois le Christ sur la croix et les inquisitions faisant mettre les hérétiques sur le bicher.

Entre ces deux faits, il y a l'infini. Je sais qu'en professant cette opinion je me trouve blâmer implicitement un grand nombre de personnages respectables qui ont joué un rôle éclatant dans l’Église. Je le regrette, mai je ne puis pour cela parler autrement que je ne pense : je dis les choses comme je les sens à la clarté du verbe qui illumine tout homme venant en ce monde.

Je pense bien avec vous qu'on ne doit faire aucune concession contraire à la vérité, quand il s'agit du passé du catholicisme, mais je ne crois pas qu'il faille défendre ce qu'on trouve fâcheux dans la conduite d'hommes qui ont été d'ailleurs de grands saints.

Ceci dit sans aucun esprit de contrition, je prie Dieu de m'éclairer si je me trompe, et je vous serre encore une fois amicalement la main.

Tout à vous                  

                                                                      Alfred Nettement

P.S. Je ne voudrais ôter qu'un mot de votre article, c'est à la 4ème colonne du 3ème paquet : « Les frayeurs sincères <mot illisible> affectées » Ce dernier mot manque de justice. Les frayeurs dont vous parlez, peuvent être mal fondées,  mais elles sont sincères.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 mai 1848», correspondance-falloux [En ligne], Années 1848-1851, Seconde République, Année 1848, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 20/10/2011