CECI n'est pas EXECUTE 23 octobre 1862

Année 1862 |

23 octobre 1862

Charles de Montalembert à Sophie Apponyi

La Roche en Breny, 23 octobre 18621

 

.....nous avons eu ici une nombreuse réunion, trop nombreuse pour notre petit manoir. C'étaient les principaux amis et écrivains du Correspondant, parmi lesquels trois au moins sont connus de vous. D'abord l'admirable évêque d'Orléans, qui nous a donné 15 jours et nous a paru plus animé, plus agréable, plus édifiant que jamais. Puis M. Cochin.....et enfin le cher Falloux toujours si souffrant incapable de rien écrire, de rien lire, condamné à rester couché sans voir personne pendant trois quarts du temps qu'il a passé chez nous supportant cette épreuve qui dure depuis treize ans et qui est si cruelle pour un homme de son talent et de sa position, avec une sérénité vraiment sublime. Jamais de plainte ; jamais le moindre murmure et dès qu'il se remet assez pour parler à un ami jamais le moindre retour sur un état de santé qui a détruit le bonheur et l'utilité de sa vie. «Je ne suis pas pieux» le disait-il et je ne sais pas prier comme il faudrait ; je ne peux offrir à Dieu que mes souffrances. Je sens que Dieu m'a donné pour carrière, pour besogne ici bas de souffrir, et j'accepte sa volonté. Je ne veux pas que mes plaintes de jour diminuent le mérite de les nuits d'angoisse». Vous ne m'en voudrez pas de vous raconter ce trait bien propre à augmenter votre affectueuse estime pour ce grand cœur, si indignement méconnu par toute la tourbe veuillotiste, et trop peu apprécié même à Rome où il a eu la gloire de faire rentrer le Pape pendant son trop court ministère. Le changement du ministre des affaires étrangères de France démontre que l'intention de l'Empereur est de ne pas abandonner Rome quant à présent. Nul ne connaît les causes de ce revirement dans sa politique; nul ne peux en prévoir les résultats ultérieurs. Comprenez vous tout ce qu'il y a d'humiliant pour la France, pour l'Europe, et j'ajoute, pour l'Église, à dépendre ainsi du caprice d'un seul homme? et quel homme! ..... Comprenez vous ce qu'il y a de misérable à ce que l'influence du bien, la cause du droit, de la vérité, de l'innocence soit représentée auprès de cet homme tout puissant par sa femme2? et quelle femme! Comprenez vous enfin à quel point est tombée une nation qui subit volontairement le joug de cette race de bandits corses, plutôt que de rappeler cette race de Saint-Louis et Henri IV que je viens de voir et d'admirer de nouveau dans l'exil immérité où elle languit et qui bien que séparé de son chef naturel offre encore la plus rare réunion de qualités et de vertus ?

Notes

1Lettre de Montalembert à Rodolphe Appony annexée à une lettre de Rodolphe Appony à Fallloux du 6 décembre 1874.
2Eugénie Marie de Montijo (1826-1920), d'origine espagnole, elle avait épousé Napoléon III en 1853. Catholique ultramontaine, elle avait œuvré en faveur de la défense du pape par les armes.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 octobre 1862», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1862, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 19/02/2021