CECI n'est pas EXECUTE Ier décembre 1855

Année 1855 |

Ier décembre 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay1, 1er décembre 1855

Mon cher ami, je veux m'affliger avec vous de cette bien douloureuse et immense perte2. J'en suis aussi attristé qu'on puisse l'être. Il y a sans doute beaucoup de reconnaissance dans mes regrets ; mais je me rends compte aussi du vide laissé par un si éminent personnage dans les diverses situations où il apportait tant de tact, d'expérience, de courage et d'autorité.

Adieu la politique de grand seigneur d'autrefois. C'est dommage, car elle était bien aimable. Je vous tiens pour son héritier. Cette fois, cela est de toute nécessité. Cet éloge vous appartient car personne n'y mettra plus de regrets délicats et profonds. Est-il vrai que vous ayez été témoin de cette séparation à Champlâtreux ? L'Assemblée nationale est inconcevable pour ne donner aucun détail sur un si grand sujet d'émotion. Le sommeil créole de Mallac3 est dans ce cas une ingratitude. Peut-être attend-il les périodes de M. de Salv[andy]. Mais M. Molé méritait d'être loué sans apprêt, avec le cœur et sur-le-champ.

La communication que je vous ai faite relativement à une lettre de Veuillot sur notre prétendue démarche est un grand et absolu secret4. Je ne l'ai partagé qu'entre vous et l'ami vénéré d'Orl[éans] par ce qu'il est nécessaire que nous trois sachions le fonds de la situation ; mais je n'ai pas assez insisté avec vous sur le devoir de la discrétion qui intéresse l'existence d'un tiers, la confidence n'étant pas venue de mon évêque lui-même. Ainsi, c'est pour vous seul. Je vous supplie de n'en point écrire à votre cher Esan5. J'ai d'autres raisons d'insister que je vous expliquerai plus tard.

Le mandement de Poitiers6 a de grandes beautés avec un mauvais esprit. Je crains qu'il n'y ait bien des jalousies de tribun dans cette haine de toutes les tribunes, et que l'académie ne soit prise à partie comme la dernière rivalité de ce genre. L'effet est déplorable dans le monde que nous connaissons, et il est difficile à nos amis de se défendre contre un mandement qui ne les atteint que par insinuation. Beaucoup de modération sera la meilleure attitude. Je commence à croire que la discussion ne convertira personne. Stultorum est magister eventus7.

Cela est vrai à l'Orient comme à l'Occident.

Adieu, cher ami, ne m'oubliez pas. Encore une fois, motus sur la lettre V[euillot].

F. C.

J'ai été très content de l'article de M. Foisset sur Ozanam8, de Montalembert sur l'Angleterre9 et de M. Cochin sur la charité10. Je craignais que ce dernier n'incline vers la charité légale. Le numéro du 25 novembre ne m'arrivera que demain. Aussi, je n'ai pu juger si Bourdaloue11 avait été utile.

Notes

1Commune de l'Orne, où se situe le château de Beaufossé, propriété de F. de Corcelle.
2L'académicien M. Molé venait de mourir, le 25 novembre 1855.
3D'origine mauricienne (d'où l'adjectif « créole »), Jacques Eloi Mallac (1810-1876) est directeur depuis 1853 du journal « fusionniste » L'Assemblée nationale. De sensibilité orléaniste, Molé  avait œuvré aux côtés de Falloux pour la fusion des deux branches de la famille royale.
4Voir lettre de Corcelle à Falloux du 26 novembre 1855.
5?
6Mgr Pie, évêque de Poitiers, ultramontain et intransigeant, très proche de L. Veuillot.
7« Les esprits bornés jugent d'après l’événement.»
8Théophile Foisset lui avait consacré un article intitulé « Les œuvres complètes de F. Ozanam».
9Dans cet article « De l'avenir politique de l'Angleterre », Montalembert considérait ce pays comme le dernier asile de la liberté politique signifiant par là que celle-ci n'existait plus en France.
10« Les bureaux de bienfaisance et le paupérisme en France » Le Correspondant, 25 octobre 1855.
11Bourdaloue, Louis (1632-1704), grand prédicateur jésuite.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Ier décembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1855, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 16/09/2013