Année 1860 |
1er octobre 1860
Alfred de Falloux à Charles de Montalembert
1er octobre 1860
Il n'y a que vous, cher ami, pour avoir un remords si généreux ! Je vous assure que votre lettre reçue au sortir d'Augerville, m'avait déjà remercié si je n'avais attendu chaque courrier depuis le 25 pour connaître le sort du Correspondant et m'en entretenir en même temps avec vous. Nous ne devinons jamais à quel point l'empereur est vindicatif, il a su l'être encore une fois avec un art merveilleux en refusant à M. Billault1 et à.M. Rouland2 de me placer à côté de vous et de l'évêque d'Orléans. Je reconnais qu'il a frappé juste, et en cela, cher ami, vous avez eu aussi votre instinct d'amitié, et vous avez senti que votre lettre serait la plus efficace consolation. J'ai reçu beaucoup de témoignages bienveillants tous ces jours ci, et ils s'accordent sur un point qui vous fera autant de plaisir qu'à moi, c'est que l'attention à été éveillée en dehors de nos rangs et l'impression favorable parmi des adversaires sérieux. J'ai acquis du même coup la certitude que l'évêque de Poitiers3 reniait formellement toute pensée d'attaque contre nous. Il m'envoie en échange une très courte et très énergique lettre pastorale dans laquelle il prescrit des cérémonies funèbres auxquelles il prendra très vraisemblablement la parole pour l'éloge des glorieux morts. J'avais écrit d'avance à M. l'archevêque de Tours4 et à M. l'évêque de Nantes5 pour leur demander le même acte. Je n'ai pas encore de réponse. L'évêque d'Orléans a perdu dans le jeune Montmarin, l'un des plus brillants élèves de son petit séminaire. J'espère donc que la chaire d'Orléans retentira bientôt de sa parole la mieux inspirée. Je lui en ai exprimé le vœu en revenant sur la question d'une préface ou entièrement nouvelle ou entièrement supprimée pour sa 3e édition. Maintenant que va-t-on faire à Rome. Mon frère m'écrit que le Pape n'est décidé à ne quitter le Vatican dans aucun cas ; la duchesse Salviati6 écrit à son frère7, mon excellent voisin, tout le contraire. Je suppose que les deux assertions sont alternativement vraies et fausses, et que tout le monde se laisse ballotter entre les opinions les plus adverses hélas ! c'est par là que nous périssons ! Pas une tête résolue en haut et pas même une oreille juste ! Nous avons Mme de Lamoricière8 à quelques lieues de nous9. Elle ne pouvait pas mieux être mieux entourée, car notre petit canton à lui seul à fourni cinq ou six volontaires. Deux pauvres mères sont auprès d'elle dans le château de Mme d'Andigné près le Lion d'Angers. Elle repoussait très vivement l'idée d'une capitulation, et s'était bien gardé de rien demander à M. de Cavour,10 comme l'ont dit les journaux. Bénissons cependant Dieu de nous avoir conservé l'héroïque général, peut être se réserve t il pour une dernière et décisive revanche ? Mon article doit paraître en brochure au moment où vous recevrez cette lettre chez Dentu et Douniol11 comme vous l'aviez conseillé, et j'ai écrit à Ch. de Lacombe pour s'occuper de la façon de l'annoncer dans les journaux. À propos de Lacombe, n'êtes vous pas enchanté et touché de leur talent et de leur énergie dans l'Ami de la religion12 ? ne pourriez vous pas leur demander quelques pages pour le numéro prochain du Correspondant ? Je crois que venu de vous cet appel leur serait bien sensible : je parle du numéro prochain parce que je trouve un sentiment unanime parmi ceux qui m'écrivent ayant quelque intérêt dans le Correspondant, c'est que du moment où il n'est pas mort de la bataille de Castelfidardo13 et du siège d'Ancône, il vive de nouveau aussi longtemps que faire se pourra. Je me rapproche volontiers de cet avis, sauf une réserve, trouvant en général, que quand on a les inconvénients d'une situation, il faut tâcher d'en avoir aussi le bénéfice, et que puisque nous ne sommes pas même avertis, il faut en profiter pour maintenir notre drapeau debout le plus longtemps possible. Ma réserve toutefois est celle ci, c'est le cas où vous auriez malgré l'ordonnance de vos médecins, malgré Madame de Montalembert14 et Mademoiselle Catherine15, sans aucune provocation ni appel de notre part, quelque chose de tout écrit déjà dans votre âme et tout prêt à électriser les nôtres. Je n'ai pas manqué d'écrire à Persigny directement, et je lui ai fait adresser le numéro du Correspondant. Je ne sais si je vous ai écrit que Rodolphe Appony m'avait donné 24 h. à mon passage à Paris. Il se rendait à Vienne et vous auriez été content de tous les sentiments qu'il y portait. Quant à la santé, elle n'est ni meilleure ni pire. J'ai trouvé ma pauvre femme restée beaucoup plus faible que ne m'y attendais, grâce au soin qu'elle avait pris de me faire illusion dans ses lettres. Elle n'a cependant aucun symptôme alarmant. Elle hésite encore entre Paris et Versailles. Loyde est très bien ; elle se recommande vivement au souvenir de Melle Madeleine16 n'osant pas viser plus haut. Merci, merci mille fois encore, bien cher ami.
Alfred.
Ma lettre prête à partir, voici la lettre que je reçois d'H. de Lacombe17. Donnez-lui votre avis directement et chargez vous, cher ami, de sommer Laprade pour les vers.