Année 1855 |
5 décembre 1855
Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle
5 décembre 1855
Cher ami,
Vous savez déjà, par ma lettre d'avant-hier, que Dieu a daigné m'épargner les émotions les plus cruelles de Champlâtreux1, mais il n'en reste pas moins, au fond de mon cœur, une très vive et ineffaçable. Je n'aurais voulu prendre vis-à-vis de personnes une initiative au sujet d'un tel héritage, mais à la lettre du duc de Noailles, dont je crois vous avoir parlé avant-hier, vient de s'en ajouter une de Mgr d'Orléans, parlant directement au nom de Madame de la Ferté2. Voilà donc ma ligne toute tracée et je n'ai plus qu'à y marcher les yeux fermés en invoquant d'avance le secours des coopérateurs tels que vous si l'académie m'admet. Je vous avais demandé l'adresse de Tocqueville pour lui écrire sur M. de Lacretelle3 et M. Liadières4 ; tout cela été renversé le lendemain même de ma demande et ma lettre est demeurée dans mon écritoire. Tocqueville trouverait peut-être, en ce moment, une démarche, au sujet de M. Molé, prématuré, mais si vous voulez bien lui faire connaître d'avance ma situation, j'y gagnerai certainement, et je lui écrirai ensuite dès que vous m'en donnerez le signal.
Soyez bien rassuré, cher ami, et sur votre dernière confidence et sur toute autre qui pourrait suivre. Je me crois éprouvé du côté de la discrétion et si j'avais quelquefois le malheur d'y manquer, ce ne serait pas du côté du cher Eaü5 dont je connais le faible en ce genre.
Je suis ravi que vous ayez reçu une réponse trop secrétaire et j'attends, avec impatience, votre avis sur ce que j'ai à écrire. Je crois comme vous que nous entrons dans une lutte longue et laborieuse. Je n'y avais aucun goût et je n'y aurais pas pris part sans les provocations pressantes des amis que vous connaissez.il me mettait en demeure ou de me rallier à notre vieux drapeau commun ou d'accepter les apparences d'un déserteur. La situation des neutres est rarement de mon choix et le rôle du roi de Prusse ne m'a pas tenté dans cette affaire. Maintenant, j'y suis engagé et j'y apporterai sincèrement tout le concours que permettent mes forces. Quelqu'un me disait à Champlâtreux : - on ne doit plus ménager M. Veuillot, on doit le tuer. - Le pauvre M. Molé secoua la tête et répondit :- il a la vie dure. - Je me rangeais fort de son avis, mais je ne m'en sens nullement découragé. Quant au mandement de Poitiers, il fait évidemment parti du même plan de campagne et on l'avait sans doute en poche canton se montrer si agressif et si railleur envers le Correspondant du mois d'octobre. Le ton me semble considérablement baissé vis-à-vis du numéro de novembre, mais le circuit et les précautions mais le circuit et les précautions qu'on s'impose ne prouve pas qu'on est renoncé à atteindre le but. Aidez-nous donc toujours, cher ami, et de plus en plus, de la double assistance de la prudence et de la fermeté.
À vous de tout cœur.
A. de F.
Mille tendres félicitations et souvenirs à votre cher neveu.
