CECI n'est pas EXECUTE 12 janvier 1874

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12 janvier 1874

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, 12 janvier 1874

Cher ami,

J'espère que votre course à Beaumont vous aura donné une complète satisfaction, par les bonnes santés que vous y aurez trouvées, car pour le grand plaisir que vous y aurez causé à tous, il ne peut-être douteux ; c'est un des pèlerinages que j'aurais le mieux aimé à faire, si je pouvais encore songer à m’accorder une joie de ce genre. Répétez-le bien à vos hôtes et aux Lambel1 dans le premier billet que vous écrirez. Quant à un séjour dans le Midi, je suis moins que jamais en position d'y songer ; mes trois femmes sont moins amovibles que jamais, et encore moins délaissables. Le climat angevin est très doux, et rien n'est plus indiqué que de mourir là où le bon Dieu vous a mis pour vivre. N'en concluez pas pour cela que je me crois à la dernière extrémité ; j'ai plus besoin de soins à mesure que je viellis, ce qui est l'histoire de tout le monde ; mais je me soigne très aimablement pour moi-même, et je ne demande rien au-delà de ce petit vivotage, tant qu'il plaira à Dieu. Je ne vous en remercie pas moins très vivement de votre sollicitude et j'ai bien hâte de le faire à Rochecotte même. Remerciez Mme de Castellane de sa générosité aussi envers moi ; si rien de nouveau ne survient, je me crois en état de partir pour Angers jeudi prochain. Adressez-moi donc pour ce jour-là et pour le vendredi matin vos nouvelles à l'Impasse des Jacobins. Si je puis poursuivre ma route, je la poursuivrais immédiatement, afin de trouver encore une porte ouverte à l'Académie pour la discussion des titres, et me soulager le cœur envers M. Guizot, dussè-je atteindre du même coup M. le duc d'Aumale. Si les intentions que l'on prête au prince ne sont pas modifiées d'ici au scrutin, elles entraîneront les derniers hésitants, nous serons battus, et l'Académie sombrera avec toute la vieille société française.

Je suppose que la journée d'aujourd'hui va remettre le ministère en selle ; mais de quel côté tournera la tête de son cheval?Il n'y a plus que des culs de sac dans la politique. On en est de plus en plus convaincu quand on reçoit des confidences comme celles qui ressortent d'une très affectueuse visite du duc de Fitz-James qui est venu dîner avec nous hier arrivant directement de La Contrie2. Jamais l'aveuglement et l'incurabilité n'ont été poussées plus loin. En ce qui concerne l'évêque d'Orléans, le général de Charette3, tout en déplorant, bien entendu, les coups portés à un aussi bon royaliste que Louis Veuillot, avait la loyauté de reconnaître que ni lui ni son étendard n'avaient eu aucun motif de se plaindre à Orléans. Au revoir prochain, je l'espère.

Alfred.

P.S. Toute réflexion faite, je suis si peu sûr de mes mouvements que je vous demande de m'écrire au Bourg d'Iré même pour jeudi.

Je ferai prendre le courrier à Segré si je pars, et si la souffrance me retarde, je me ferai peut-être conduire à Chateauneuf4 .

 

1Lambel, Alexandre de (1814-1903), grand propriétaire lorrain, ce proche d'A. de Melun a contribué, à ses côtés, au développement des œuvres du catholicisme social, à Paris notamment, où dés 1838 il avait fondé le Patronage de Saint-Jean.

2Domicile du général de Charette.

3Charette de la Contrie, Athanase Charles Marie de (1832-1911), militaire. Ayant rejoint, en mai 1860, l'armée pontificale comme capitaine des volontaires franco-belges, il participa à la bataille de Castelfidardo au cours de laquelle l'armée pontificale fut mise en déroute et où il fut blessé. Elu député à l'Assemblée nationale de 1871, il refusa d'y siéger par fidélité au comte de Chambord.

4Chateauneuf-sur-Sarthe, commune du Maine-et-Loire, non loin de Segré. 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 janvier 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 24/12/2019