CECI n'est pas EXECUTE 4 octobre 1877

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4 octobre 1877

Jules de Bertou à Alfred de Bertou

Rochecotte, le 4 octobre 1877

Cher ami,

J'ai communiqué à Madame de Cast[ellane] toute seule la portion de votre lettre relative à la réunion qui vous est offerte. Rien ne lui serait plus doux que de vous voir ici en même temps que l’Évêque1 cela va sans dire. Antoine [de Castellane] en profiterait, son beau père2 pourrait y venir sans le moindre inconvénient à ce moment là et une telle réunion qui serait tout à fait selon son cœur n'aurait rien qui put attirer l'attention publique et si on s'avérait d'y voir une réunion politique ce serait alors un Roman qu'il faudrait laisser défiler sans en prendre plus de soins que de tous les autres qui se débitent à la journée et contre lesquels on demeure aussi impuissant qu’irresponsable. Mais pour ce qui serait d'une véritable réunion politique comme celle qui vous est proposée elle pourrait avoir les plus sérieux inconvénients au milieu d'une population soupçonneuse, un peu jalouse peut-être, et toujours tenu en éveille par la malveillance contre les relations avec l'étranger ! Vous sentirez cela tout aussi vivement que nous le sentons ici et Mad. de Cast[ellane] se met absolument sous votre protection pour éloigner d'elle cette compromission dans le cas où elle en serait menacée par une combinaison quelconque [mot illisible] d'Antoine lui-même. Il serait assurément très important qu'on se vit, qu'on s'entendit sur la conduite à tenir après la rentrée de l'assemblée mais une telle réunion ne pourrait guère être convenablement tenu que dans une ville et une grande ville où l'on put se rencontrer et causer sans mettre la France entière en éveil et sans attirer les commentaires de toutes les couleurs sur un acte aussi simple et aussi légitime. On croit certainement s'assurer votre concours en vous offrant d'aller vous trouver chez vous, mais je comprends admirablement votre objection et il me semble que vous vous tireriez très bien d'affaire en offrant à ceux qui voudraient aller vous rencontrer en Anjou et vous rendre près d'eux à Paris par exemple, ou à Versailles, si l'on ne préférait Le Mans qui, selon moi, aurait l'avantage d'offrir un point de contacts très naturel entre l'Ouest et la Normandie en se rapprochant de Versailles.

Oui, cher ami, j'ai trouvé ici le volume du P. Lacordaire et je commencerai bientôt à l'étudier au point de vue des chapitres de la vie, mais seulement après le départ de la princesse car jusque là je dévore tous les livres qu'elle me prête sur la guerre et sur l'Allemagne. J'ai déjà absorbé les deux empereurs écrit par un allemand qui vivait en France au moment où la guerre éclata et j'en suis aux derniers chapitres de Wipfen3 qui est aussi peu favorable à l'Empereur Napoléon qu'à Mac Mahon et à Ducrot4. J'ignore quelle valeur réelle il peut avoir au point de vue de son métier mais il est certain qu'en exposant la marche qui a été suivie il donne au lecteur la conviction qu'il eut fait moins mal que les autres. Au salon, nous avons lu la première partie de l'article très intéressant de M. Guizot sur le duc de Broglie5 et nous avons bien des fois reconnus dans les paroles, dans les procédés du père, la source, l'origine, le modèle de ce que nous voyons faire aujourd'hui au fils le jour, par exemple, où il tend sa [mot illisible] à Jules Simon pour le repêcher. Le père6 comme le fils7 reconnaît avec loyauté ses erreurs ; il dit avec une parfaite loyauté que le parti libéral a perdu l plus belle des parties en faisant tomber le ministère Martignac. Hélas, cette faute origine de tous nos malheurs, est elle bien comprise aujourd'hui des continuateurs des doctrinaires d'alors. J'en doute. Ils se souviennent bien de la faute que fit Charles X en appelant le ministère Polignac, mais s'avouent-ils comme le fait noblement M. de Broglie que le vieux roi ne fut pas le provocateur. Ah sans doute il aurait mieux fait de ne pas rendre coup pour coup, mais enfin le provocateur a toujours une certaine part de responsabilité dans les fautes qu'il fait commettre et cette part ne devrait pas être mise en oubli dans la pratique et c'est que l'on fait beaucoup trop [mot illisible] longtemps. Aussi je sais un gré infini au duc de Broglie de l'avoir si noblement mis en lumière. En attendant la revue du [mot illisible] pour avoir la suite de cet intéressant travail, nous avons essayé de lire le [mot illisible] mais nous avons du arrêter à la quatrième page devant l'ennui général. Les enfants Radziwill sont rentrés à Berlin. Leur mère8 quittera Rochecotte jeudi. Les Antoine sont arrivés à Murat9 à leur port en compagnie du duc de Nemours se rendant à Randan10. Mille amitiés de tous à tous.

Jules

P.S. Madame de Castellane demande si vous voudriez bien satisfaire sa curiosité féminine en lui communiquant les noms des 24 sénateurs que l'on vous propose de convoquer avec vous.

Oui certainement j'ai reçu les lettres de Mgr11 envoyées par votre femme et de plus j'ai adressé mes remerciements à cette généreuse et bien chère correspondante.

2Charles Le Clerc de Juigné, marquis de Juigné (1825-1886).

3Félix de Wimpffen ?

4Ducrot, Auguste Alexandre (1817-1882), militaire et homme politique. Général de division, il commandera quelques jours plus tard la bataille de Buzenval (19 janvier 1871). Élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 par le département de la Nièvre, hostile à la République, il rejoignit les bancs de l'Union des droites. Nommé commandant en chef de la 8ème armée à Bourges le 1er septembre 1872, il démissionnera de l'Assemblée.

5Broglie, Victor, duc de (1785-1870), diplomate sous Napoléon Ier, membre de la Chambre des Pairs sous la Restauration. En 1816, il épouse la fille de Mme de Staël. Ministre sous la Monarchie de Juillet, de l’Instruction publique (août-novembre 1830), puis des Affaires étrangères (1832-1834) ; Président du Conseil de 1835 à 1836 et ambassadeur à Londres de 1847 à 1848. Député sous la Seconde République, fidèle aux Orléans, il sera un opposant résolu à Louis-Napoléon. Il entra à l’Académie française en 1856.

6Victor de Broglie.

7Albert de Broglie.

8Marie Dorothée Élisabeth Radziwill, princesse (1840-1915), née de Castellane, elle est la fille de Pauline de Castellane, la châtelaine de Rochecotte. Le 3 septembre 1857, elle avait épousé à Sagan, en Pologne, Frédéric-Guillaume-Antoie, prince Radziwill (1833-1904), militaire prussien. Femme de lettres, on lui doit la publication des Souvenirs de sa grand-mère, la Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Paris, Plon, 1909-1910, 4 vol

9Antoine de Castellane et sa famille demeuraient à Marcenat, dans leur château d'Aubijoux, dans la circonscrption de Murat où il avait été élu député en 1871 et réélu en 1876.

10Le domaine royal de Randan où résidait le duc de Nemours est situé dans le Puy-de-Dôme.

11Sans doute Mgr Dupanloup.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 octobre 1877», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 15/04/2015