CECI n'est pas EXECUTE 6 février 1879

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6 février 1879

Charles Conestabile à Alfred de Falloux

Palazzato Orsini, Rome, 11 Via Firenze, 6 février 1879

Monsieur le Comte,

J'aurais dû vous exprimer plutôt tout le plaisir que m'avait causé votre aimable lettre qui était plus qu'une réponse puisqu'elle contenait l'expression de sentiments qui sont pour moi un honneur une récompense et un encouragement. Mais ce retard est dû au désir que j'ai prouvé de pouvoir vous adresser avec cette lettre la nouvelle brochure que je viens de publier et qui touche à une question du plus haut intérêt pour l'Eglise, pour l'Europe et pour l'Italie. Il vous sera facile de reconnaître, Monsieur le comte, que je vous ai pris pour guide, c'est à vous qu'il appartient de juger si j'ai fait quelques faux pas. Je me suis placé sur le terreau pratique politique et je me suis mis à la recherche des moyens qui sont à notre disposition non pas pour arriver à la perfection, mais pour atténuer le mal.

J'ai vu avec le plus vif plaisir que Monsieur Bartoli1 a développé devant l'académie pontificale Tibérine les idées principales contenues dans la contre-révolution. Je me suis empressé de transmettre cette nouvelle à la Défense, d'autant plus que la Voce della Verita parle avec éloge et de la dissertation de Monsieur Bartoli et de votre travail du Correspondant. Je puis vous dire en attendant que le P. Sacheri de de l'Index a dit à un de mes amis qui lui parlaient des articles de l'abbéil Morel, qu'il ne fallait y attacher aucune importance car ce n'est pas un homme sérieux. Il est parfaitement certain aussi que le cardinal Nina a désapprouvé très énergiquement, en causant avec Mr de Gabriac2 la lettre de Mgr F. à M. D.

La nécessité de soutenir la politique si sage inaugurée par Léon XIII nous a inspiré à quelques-uns de mes amis et à moi, l'idée de fonder un journal catholique français à Rome. Je prends la liberté de vous adresser Monsieur le comte, le prospectus que nous avons rédigé et qui n'est connu jusqu'à présent que d'un très petit nombre de personnes.

Notre but serait en effet que le journal eut un nombre très restreint de protecteur et de fondateur, choisis dans le groupe des catholiques qu'on appelle libéraux qui ne sont que sages et modérés. Nous voudrions éviter toutes les querelles ; c'est pourquoi nous déclarons que nous sommes catholiques sans épithète, et nous viserons surtout à apaiser les conflits, en affaiblissant indirectement les violents. Le programme ci-inclus a été montré par moi au secrétaire particulier du Saint-Père, qui m'a écrit ce matin en approuvant entièrement. Avec ce prospectus j'ai l'honneur de vous adresser aussi les épreuves de l'exposé qui avait été rédigé dans le but de bien établir les frais nécessaires pour cette fondation. Cet exposé serait tiré à plusieurs centaines d'exemplaires si nous ne pouvions réussir à former un petit comité de fondateur composé d'une dizaine de personnes ou plus donnant les capitaux nécessaires à cette œuvre. Monsieur l'abbé Delarc actuellement à Rome s'est uni à moi pour tâcher d'obtenir d'importantes adhésions. Il m'a parlé notamment de la marquise de Forbin d'Oppède3 qui serait, à ce qu'il m'assure, disposé à appuyer un projet de cette nature et il comptait lui en écrire prochainement. Ne croyez-vous pas, Monsieur le comte, il serait facile parmi vos honorables amis du Correspondant de trouver un groupe de personnes disposées à appuyer et à seconder ce projet, qui, s'il pouvait réussir, établirait à Rome même un journal favorable aux catholiques modérés de tous les pays ? Je suis persuadé quant à moi, que ce journal aurait de grand résultat : d'abord en acquérant une importance diplomatique par son caractère international et par sa forme correcte et tempérée, il serait très utile Saint-Siège en défendant avec autorité la haute politique de Léon XIII : en second lieu il contribuerait puissamment à apaiser les conflits surtout ceux entre catholiques, en prononçant au moment voulu une parole sage, juste et mesurée. Les entreprises hostiles du gouvernement italien pourraient être maintenues en échec par cet organe qui dénoncerait dans tous les pays les agissements de la révolution actuellement dominante à Rome. Je puis vous dire qu'il y a quelques mois le Saint-Père m'avait dit qu'il comptait contribuer largement à la fondation de ce journal dont il comprenait la grande importance. Depuis, la crainte qu'on put savoir cela et qu'on put mêler le nom du Saint-Père à des polémiques de journaux à modifier cette résolution. Mais, ainsi que je vous le disais tout à l'heure, le programme et le projet sont approuvés, et on laisse seulement à l'initiative privée le soin de le mettre à exécution. Lorsque j'avais cru que cette fondation aurait lieu sous les auspices directs du Vatican, j'avais pensé à la possibilité d'attirer à Rome M. Albert Du Boys4 pour en prendre la direction ; ce projet était chaudement appuyé par Mgr Dupanloup. Maintenant, je ne sais si le projet de journal tel qui se présente permettrait de faire à M. Du Boys à Rome une situation en rapport avec ses mérites et les justes exigences qu'il pourrait avoir. Cette question pourrait être de toutes façons étudiée ultérieurement.

Je vous serais donc reconnaissant, Monsieur le comte, de vouloir bien me dire votre avis au sujet de ces communications que je livre à votre discrétion, en vous priant surtout de faire en sorte que le nom du Saint-Père ne soit point prononcé et que le projet garde un aspect absolument indépendant.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l'expression de mes sentiments respectueux et dévoués.

Charles Conestabile

J'ai déjà parlé du projet au palais Ruspoli5 où il a trouvé le plus sympathique accord.

1Gaetano Cannada-Bartoli.

2Gabriac Joseph-Jules-Paul-Marie-François de Cadoine, Marquis de (1830-1903), ancien diplomate, il collaborait au Correspondant; il venait d'y publier Du maintien du Concordat dans l'intérêt de l'État.

3Forbin d'Oppède, Roselyne (1822-1884), marquise. Historienne, elle écrivit aussi sous le nom de L. Maynier. Elle était poche des catholiques libéraux. Voir l'ouvrage que J.-M. Palanque a consacré à sa correspondance, Une catholique libérale du XIXe siècle : la marquise de Forbin d'Oppède d'après sa correspondance inédite, Louvain-la-Neuve et Leuven, 1981.

4Boÿs Albert du (1804-1889), magistrat et historien. Nommé conseiller auditeur à la Cour en juin 1825, il avait démissionné au lendemain de la révolution de Juillet après avoir refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Collaborateur du Correspondant, il se consacra dés lors à d'importants travaux historiques, à des études de législation criminelle et de philosophie du droit. Il s'était retiré dans son château de La Combe de Lancey, en Isère où son ami Mgr Dupanloup venait régulièrement lui rendre visite.

5C'est dans ce palais que réside Mgr de Falloux, son frère.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 février 1879», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1879,mis à jour le : 22/04/2019