CECI n'est pas EXECUTE 11 octobre 1877

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11 octobre 1877

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

11 octobre 1877*

Charbonnier1, par Saint-Germain-Lambron (Puy-de-Dôme)

Cher et bon ami,

J'apprends avec bien du regret, par une lettre de mon frère2, que vous êtes souffrant. J'espère que ce présent n'est plus aujourd'hui qu'un passé et que vous êtes tout à fait guéri. J'ai à cœur de vous dire, de vous redire combien mon souvenir va souvent vous chercher et de quel tendre élan je m'associe à tout ce qui vous touche. J'y tiens d'autant plus que j'ai encore à vous remercier, car mon frère me fait part de vos vœux pour ma candidature au Sénat3, vœux que vous voulez bien m'exprimer vous-même, avant qu'elle ne fut officiellement posée, dans votre dernière lettre. Bien que je ne reçoive que de favorables assurances, qui me montrent toujours vives les sympathies qu'on me témoignait autrefois, je ne m'abuse pas sur les difficultés que je puis rencontrer. Il y a d'abord, dans la situation générale redoutable à tant d'égards, des causes auxquelles mon sort, comme d'autres plus graves intérêts, peut être suspendu. Et puis viennent les compétitions particulières ; je ne vois pourtant de vraiment à craindre que la candidature éventuelle du duc Decazes4 ; mais, s'il est élu député, je doute qu'il veuille et qu'on veuille ouvrir la porte à un successeur de gauche dans le corps législatif, pour lui ouvrir à lui-même celle du Sénat. Quoi qu'il en soit, je ne tarderai pas à aller à Paris, malgré l'immense ennui que me causent ses démarches. Il paraît bien que nul ne peut s'en dispenser ; en voyant mes anciens collègues m'approuver et se réjouir de ce que je pose ma candidature, je suis obligé de reconnaître que la formalité était nécessaire, pourvu qu'on n'en vienne pas à exiger les visites, comme à l'Académie. Passe encore pour 40 ! Mais 300 !

Nous voici bien près de la grande échéance. Je ne crois guère au succès, tout en espérant que les 363 ne reviendront pas 363, loin de revenir 400, comme le leur annonce Gambetta. Un dénouement qui ne laisserait à personne de triomphe écrasant serait peut-être le meilleur ; car je persiste à penser qu'il y a des rapprochements à ménager contre des périls qui ne sont pas uniquement, bien qu'il soient avant tout du côté du radicalisme, et il y a enfin une grande et permanente vérité dans le mot de Madame Swetchine : « Je n'ai jamais redouté qu'une chose, c'est le triomphe absolu de quelqu'un.» dans la Haute-Loire, nous espérons le succès de de conservateur de bonnes nuances, peut-être même celui de M. de Flaghac5 à Brioude, quoique plus difficile. Dans le Puy-de-Dôme, on aura peut-être deux bonapartistes modérés, sans compter M. Rouher6, dont l'action néfaste n'est pas un de nos moindres dangers et le moins lourd fardeau du ministère actuel. Tout en donnant à cette triste crise nos préoccupations et ce que je puis avoir d'influence électorale, je m'enfonce avec charme et regret dans le passé. Pendant que je continue mes études sur M. de Serres7, j'achève le dernier volume des plaidoyers de M. Berryer8. Nous publierons à la fin un épilogue sur la mort et les éloges prononçaient sur sa tombe. Nous n'avions d'abord songé qu'aux éloges judiciaires, mais le duc de Noailles ayant pensé à faire publier son discours, comme hommage à la vie politique, j'ai tenu à y ajouter le vôtre, au nom même de l'amitié si intime dont je connais mieux que personne les témoignages cavés pour vous notre grands maîtres. Le duc, je dois le dire, a tout de suite ratifié mon désir. Je lis aussi avec notes et extraits vos lettres à M. Berryer, et je constate, ce que beaucoup peut-être ne soupçonnent pas, qu'en 1850, c'était vous qui lui conseilliez la patience vis-à-vis des ultras du temps. Vous rappelez-vous une lettre sur la patience dans les regards mêmes dans les épaules, comme cela pas et fait vivre ! Que j'aimerais à remuer avec vous tous ces souvenirs ! Si les événements me rappelaient de manière stable à Paris, je ne résisterai pas, au cas où vous m'accepteriez, à aller vous chercher quelques jours au Bourg d'Iré, mais vous ? Ne viendrez-vous pas à Paris en novembre, pour l'Académie ? Adieu, cher et bon ami, recevez mes tendres embrassements et croyez au profond souvenir que mon foyer garde de vous.

Ch. de Lacombe

 

*Lettre publiée in Charles de Lacombe, Journal politique, t. 2 , p. 279-280

1Charbonnier-les-Mines, commune de résidence des Mercier de Lacombe.

3Charles Mercier de Lacombe se portera candidat au Sénat en remplacement du général d'Aurelles de Paladines décédé le 17 décembre 1877.

4Decazes et de Glücksberg, Louis duc (1819-1886), homme politique français. Élu député orléaniste de la Gironde (1871), il fut l'un des chefs du centre droit à l'Assemblée nationale. Il contribua à la chute de Thiers (1873). Devenu ministre des Affaires étrangères (1873-1877), il dénoua la crise franco-allemande de 1875.

C'était effectivement son concurrent le plus sérieux. Soutenu par la droite et le centre-droit, il lui manqua néanmoins les voix des légitimistes et des bonapartistes et c'est Victor Lefranc, le candidat des gauches qui l'emportera à l'issue du 3ème tour de scrutin, le 7 février 1878, les autres concurrents dont Charles Mercier, qui n'obtiendra qu'une seule voix, ayant été éliminé au premier tour.

5Flaghac, Jean-Jacques Le Normand de (1816-1890), propriétaire et maire de Saint-Georges d'Aurac, dans l'arrondissement de Brioude, en Haute-Loire. Élu de la circonscription de Brioude de 1876 à 1876, il sera battu en 1876 et en 1877.

6Rouher, Eugène (1814-1884), avocat au barreau de la ville de Riom. Député de la Constituante (1848), puis de la Législative (1849). Ministre de la Justice à deux reprises (octobre 1849-février 1851 et avril-septembre 1851), puis ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publics, et ministre d'État auprès des chambres de 1863 à 1867. Défenseur vigoureux du régime autoritaire et adversaire acharné du parlementarisme libéral. Se retire à Londres après la chute de l’Empire. De retour en France, il se fait élire député de Corse en 1872. Il demeure alors l’un des leaders les plus influents du parti bonapartiste. Il rentrera dans la vie privée après la mort du prince impérial (1879).

7Voir lettre du 10 août 1877 de Falloux à Charles Mercier de Lacombe.

8Très lié au célèbre avocat, Charles Mercier de Lacombe préparait un ouvrage important sur sa vie et ses plaidoiries.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 octobre 1877», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 27/04/2015