CECI n'est pas EXECUTE 20 novembre 1874

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20 novembre 1874

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Bourg d'Iré, 20 novembre 1874*

Chère Madame,

Je crois que vous pouvez être en parfaite sécurité du côté de M. Freppel qui se compromet de plus en plus avec les violents et fait, ou laisse publier dans l'Etoile d'abominables articles contre l'évêque d'Orléans et moi par un chanoine alsacien qui loge à l'évêché même. J'en ai averti l'évêque d'Orléans auprès de qui l'évêque d'Angers se trouve actuellement cote à cote dans la cession du conseil supérieur de l'instruction publique. Il est pas probable que le successeur, quel qu'il soit, de M. de Cumont, veuille prendre l'endosse d'un caractère si infatigablement et si absurdement tapageur. Quant à Cumont lui-même, je n'ai pas besoin de vous rassurer.

L'affaire du père Perraud1 est moins claire et moins facile, parce qu'il est encore plus récemment promu2 que ne l'était M. Langénieux3, et parce qu'il est encore plus mal noté par la Nonciature4. Je n'en ai pas moins écrit à Versailles mes vives instances à ce sujet, et sans rien trancher contre, on m'a répondu que les scrupules de la Maréchale5 étaient soigneusement entretenus par son directeur l'abbé Lerebours6, curé de la Madeleine, qui se croit obligé sans doute d'expier les péchés gallicans de M. Deguerry7 par le plus ardent veuillotisme. Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Je reviendrai à la charge, et pour l'évêque de Grenoble8 en seconde ligne.

Quant à la pauvre Marie, non seulement il n'y a pas moyen de la conduire à Angers, mais c'est tous les jours une question que de savoir si elle déjeune ou dîne à table. Je n'avais donc d'autres perspectives que de retourner tout seul à Rochecotte, et il y avait pour cela un commencement de complot entre Albert [de Rességuier] et moi. La fixation des élections municipales aux 22, élections auxquelles il voulait prendre part à Lombez9, lui interdisant un vrai séjour au Bourg d'Iré, il m'avait proposé une transaction à Rochecotte, ce que je m'étais gardé de refuser. Mais avant hier Geneviève10 m'écrit que son père est atteint d'une très forte grippe, qu'il renonce forcément à Lombez, même à Toulouse ou M. Depeyre11 l'appelait pour une réunion de droite modérée, et que c'était tout au plus si le pauvre Albert serait en état de se rendre directement à Versailles au dernier moment. Hier, lui-même me confirme ces tristes nouvelles qui ne me laissent par sans quelque inquiétude, parce que les gens qui n'ont pas l'heureux privilège d'être habituellement souffrants, sont tout à fait malades quand ils s'en mêlent. Il me reste l'espérance d'un meilleur bulletin et d'un retour de projet vers Rochecotte, car Albert y tenait beaucoup, si nous n'avons à faire qu'à la grippe. Si c'est la pire hypothèse qui se réalise, et c'est toujours le pire qui a le plus de chance dans ce triste temps-ci, je gouvernerai selon les santés du Bourg d'Iré, lequel, chère Madame, garde pour sa dernière consolation, l'espoir, qu'étant plus forte que nous tous, vous nous accorderez votre présence quand la solitude ce sera fait autour de vous.

Au revoir donc prochains en tout cas.

A. de F.

 

 

1Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

2Il venait d'être nommé évêque d'Autun.

3Mgr Langénieux, Benoît-Marie (1824-1903), ordonné prêtre en 1850, il fut nommé évêque de Tarbes en 1873, puis archevêque de Reims le 11 novembre 1874.

4Meglia Pie Francesco (1810-1883), nonce à Munich de 1866 à 1874, puis à Paris, il sera élevé au cardinalat en 1879.

5Mac Mahon, Elisabeth Sophie, née de La Croix de Castries (1834-1900), épouse du Maréchal Mac Mahon depuis 1854.

6Le Rebours, Almyre (1822-1894), curé de La Madeleine depuis 1872.

7Deguerry, Gaspard (1797-1871), curé de La Madeleine, fusillé par les Fédérés en même temps que Mgr Darboy

8Mgr Justin Paulinier ( ), nommé évêque de Grenoble en 1870, il deviendra archevêque de Besançon en 1875.

9Ville du Gers.

10Geneviève de Pérignon, née de Rességuier (1842-1904), fille aînée d'Albert de Rességuier.

11Depeyre Octave Victor (1825-1891), avocat et homme politique. Élu député de la Haute-Garonne en 1871, il s'était fait inscrire à la réunion Colbert et aux Réservoirs et avait pris place à droite. Ardent monarchiste, il attaqua à diverses reprises le gouvernement de Thiers et contribua activement à son renversement. Il fut l'un des auteurs du projet de prorogation des pouvoirs du maréchal qui aboutit au septennat voté le 20 novembre 1873. Ministre de la Justice dans le cabinet de Broglie remanié, il prit plusieurs mesures conformes à ses opinions et défendit, contre ses propres amis les légitimistes « le caractère incommutable du vote du 20 novembre, par lequel l'assemblée a entendu placer les pouvoirs du maréchal et leur durée au-dessus de toute contestation. ». Ayant suivi le cabinet de Broglie dans sa chute (21 mai 1875), il reprit sa place à droite et vota pour les prières publiques, pour l'abrogation des lois d'exil, pour le pouvoir constituant de l'Assemblée, pour l'arrêté contre les enterrements civils contre l'amendement Wallon et contre les lois constitutionnelles. Il sera élu au Sénat le 30 janvier 1876. Battu lors du renouvellement triennal du sénat en 1879, il quitta la vie politique.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «20 novembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 14/07/2015