CECI n'est pas EXECUTE 4 février 1876

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4 février 1876

Alfred de Falloux à Couvreux

4 février 1876

Cher Monsieur l'abbé,

Nous sommes tous consternés de votre lettre et si l'auteur de tant de souffrances pouvait ressentir quelque chose de ce que nous éprouvons ici, cela suffirait pour l'arrêter et il rapporterait à genoux la consolation et la force. Mais, hélas ! Rien encore ne permet de l'espérer et il faut que la pauvre mère persévère dans ce courage qui coûte si cher à elle et à tous ceux qui l'aiment. Soyez bien sûrs que vous me verrez accourir à Rochecotte aussitôt que mes mouvements seront libres. Ma dernière lettre ne mentionnait pas parmi les obstacles notre crise électorale et cependant je dois compter grandement aussi avec elle. La mauvaise composition du Sénat ajoute, s'il est possible, à l'importance des députés et les chances de Maine-et-Loire sont, comme partout, fort incertaines. L'extrême-droite et les bonapartistes se sont pâtemment [sic] coalisés pour M. Louvet1, dernier ministre de Napoléon III, contre M. Joubert2 fusionniste de tout temps. Ils ont échoué comme vous l'avez vu, mais aucune leçon ne leur a jamais profité et ils espèrent mieux du suffrage universel où l'évêque3 les seconde ardemment près des curés et des châteaux. L’Étoile publiait avant-hier la circulaire de M. Formon ancien zouave pontifical, contre Armand de Maillé4, hier elle publiait celle de Monsieur Bourlon de Rouvre5, préfet d'Angers très violent sous l'Empire. Elle n'a aucune ombre d'espoir de faire passer M. Formon6, mais elle veut à tout prix faire échouer M. de Maillé aux prises avec un candidat radical et, pour cela, quelques centaines de voix peuvent suffire. Le même appoint peut entraîner le même résultat contre M. de Soland qui combat à la fois M. Bourlon de Rouvre et un radical.

Dans l'arrondissement de Segré, où je suis plus directement en jeu, nous aurons quatre candidats : M. Le Chat de Tessecourt, renégat d'une excellente famille angevine, passé au rouge, M. Janvier7, fils du célèbre préfet de l'Eure, bonapartiste ardent très digne de son père, Monsieur Guibourg8, orléaniste religieux et fusionniste et M. de Terves9, conseiller général du Lion [d'Angers]10, Étoile par les opinions, Union de l'Ouest par la douceur du caractère. On m'avait annoncé, à mon retour ici, que M. Janvier passerait au premier tour de scrutin ; grâce à ses extravagances personnelles, il perd du terrain et un second tour de scrutin devient très vraisemblable c'est alors que commencera la vraie lutte. La victoire sera possible pour nous, mais elle ne le sera qu'à une seule condition, c'est que les électeurs de M. de Terves et de M. Guibourg ce réuniront franchement contre M. de Tessecourt ou contre M. Janvier, selon la loi du chiffre. Cela ne sera pas facile avec les lecteurs de L’Étoile et les ouailles de M. Freppel ; cependant je n'en veux pas désespérer, je m'y emploie et je m'y emploierai de tous mes efforts, comme aux plus impérieux devoir de conscience.

Vous direz tout cela, cher Monsieur l'abbé, à Madame de C[astellane] dans un moment de répit et elle le comprendra aisément, car je la crois au fond moins aveugle en politique qu'elle ne veut en avoir l'air. Quant au cher petit, dites-leur tout de suite, tout de suite, en les embrassant pour M. de Bennetot11 comme pour moi, que je n'ai jamais pu parvenir à entrer dans les bottes qu'ils m'ont envoyé et que cela me retarde forcément, mais que je ne cesse de penser à eux et qu'ils peuvent être bien sûrs que je n'irai pas porter à d'autres les premières heures de liberté que le bon Dieu voudra bien m'accorder. À vous cher Monsieur l'abbé, nous demandons un très prochain bulletin ou à Mademoiselle Lecreux, si nous devons vous coûter trop de fatigue.

A. de F.

L'évêque d'Orléans12 déblatère à Rome contre moi pour mon refus du Sénat. Son journal La défense sociale doit toujours paraître le 1er mars.

1Charles Louvet (1806-1882), banquier et homme politique. Élu du Maine-et-Loire à l'Assemblée Constituante (1848-1849) et à la Législative (1849-1851), il siégea avec la droite. Rallié à l'Empire, il sera élu du Maine-et-Loire de 1852 à 1869. En 1869, il prendra ses distances avec le régime en rejoignant le nouveau tiers parti libéral.

2Joubert-Bonnaire, Achille (1814-1883), industriel et maire d'Angers (1871-1874). Élu sénateur du Maine-et-Loire en 1876.

4Maillé, Armand Urbain Louis de La Jumellière de (1816-1903), député monarchiste de la circonscription de Cholet depuis 1871, il conservera son siège jusqu'en 1896, siégeant constamment avec l'Union des Droites.

5Bourlon de Rouvre, Léopold (1820-1905), préfet de Maine-et-Loire de 1857 à 1865, bonapartiste.

6Effectivement Formon obtiendra moins de 10 % des voix

7Janvier de La Motte, Louis Eugène (1849-1894), maire de Juvardeil, candidat bonapartiste dans la circonscription de Segré, il fut élu au 2e tour contre le comte de Terves, légitimiste. Inscrit au groupe de l'Appel au peuple, il vota avec les 158 pour le gouvernement du Seize-Mai et, comme le prévoit ici Falloux, fut réélu très confortablement contre le républicain Robert. Ayant rejoint par la suite les rangs de l'Union républicaine, il ne retrouvera pas son siège, battu en 1881 par le comte de Terves.

8Ernest Guibourg était alors conseiller général du canton de Pouancé (Maine-et-Loire), limitrophe du canton de Segré. Guibourg de Luzinais Ernest (1834-1899), homme politique. Sénateur de la Loire-Inférieure de 1886 à 1899, il siégea parmi les conservateurs de tendance monarchiste. Il sera brillamment réélu dés le Ier tour en 1897. Il occupa la mairie de Nantes de 1888 à 1892. Juriste de formation, il siégea à la Haute cour de justice à Paris.

9Roger de Terves, propriétaire foncier du Maine-et-Loire, il sera conseiller général du canton des Ponts-de-Cé de 1905 à 1913.

10Le Lion d'Angers est un canton de la circonscription de Segré.

11Secrétaire de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 février 1876», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1876,mis à jour le : 14/09/2015