CECI n'est pas EXECUTE 12 décembre 1849

Année 1849 |

12 décembre 1849

Armand Fresneau à Alfred de Falloux

Mercredi 12 [décembre 1849]

Cher ami,

J'ai été un peu souffrant depuis ma dernière lettre ce qui m'empêchait de vous écrire plutôt, la commission du budget et dans. Ce n'était qu'une courbature produite par un peu de refroidissement et qui m'a donné pendant 24 heures un petit accès de fièvre. Il n'en est plus question. Votre pauvre petite Loyde me préoccupe tristement. Albert [de Rességuier] vient de me communiquer votre lettre de ce matin. Ne manquez pas d'ajouter un mot sur sa santé toutes les fois que vous m'écrirez. J'espère beaucoup du climat, de l'air et du soleil. Dites-moi bien les progrès du mieux. Ma vie ici fait un contraste frappant avec votre dolce farniente. Supposez-moi cependant pluvieux de trois ans et ma solitude transformée en une vie de famille de mon choix, ce travail, cette <mot illisible> en bataille me plaisent. Ma vie intellectuelle est là. Celle du cœur seul languit encore et souffre. Je suis fait pour l'isolement comme un poisson pour vivre hors de l'eau. Trois ou quatre fois par semaine je dîne rue de Grenelle. Monsieur de S[égur] m'y reçoit avec une amitié de plus en plus expansive. Je lui plais et lui manque quand je n'ai pas bavardé un instant dans la journée ou le soir avec lui. Mais en même temps aucune allusion si transparente que ce soit n'échappe de part ni d'autre. Il paraît très préoccupé de ma carrière, il prend sa part de tout ce qui ressemble à un succès dans mes travaux de tous les jours. Il attend. J'en suis convaincu, et si l'avenir répond au chemin que j'ai déjà parcouru en dix-huit mois, je ne doute pas que toute opposition ne soit dés à présent étouffée. Le reste de la famille ne dément pas ses traditions. Avide de pouvoir, d'honneur, de <mot illisible> de crédit, elle admet plus que tout autre que talent et puissance valent noblesse en notre siècle. Le général Philippe1 me regardait à peine avant. Il ne cause plus qu'avec moi quand il se trouve dans les salons de Mme de Bonneval2, sa fille chez laquelle je ne vais que depuis dix mois, non pas invité mais attiré presque de force par plusieurs invitations successives. Juste assez d'argent pour vivre, et l'explosion heureuse de quelques-unes de ces mines qui se chargent dans ma pensée et qui éclateront je ne sais quand. Et le succès certain, ne sera pas même contestée. Les lettres de Toulouse me font un bien extrême. J'en ai une ou deux chaque semaine. Les couches de Mme de Malaret3 ont été assez pénibles. Depuis quinze jours par conséquent le style des lettres de sa mère est un peu changé. La fille aînée perd la place réservée ordinairement à la dernière. En général le ton ressemble à s'y méprendre à celui des lettres que reçoit Anatole4. Mes travaux, les faits politiques du jour uniquement considéré en ce qu'ils ont de favorables ou de nuisibles à ma carrière, l'éducation d'Olga sont le thème habituel de ses lettres pleines d'une tendresse vraie et qui date déjà de plusieurs années. Ce qui fait, cher ami, que je vous ai peu parler de ces détails qui concernent la rue de Grenelle, c'est qu'ils n'ont aucune valeur, aucune importance et que mon sort se décide même pas même sous ce rapport place Bourgogne. Vous avez bien raison tout le reste en ce moment surtout est subordonné à cette longue et délicate négociation, attendu que je vous ai toujours plus encore par le cœur que par la tête. Mais le nœud de toutes les efficacités ce dénouera ici. Un sourire de M. de Ségur avance moins mes affaires qu'une vérité utile trouvée à temps et heureusement dite. C'est là le lien de mes devis. Je pense pour aimer, spéculation qui a bien son charme. Quand mon travail a été productif je livre un peu plus mon âme à mes espérances. Mes méditations vont bien en ce moment. Des nuages colorés que j'ai donnés trop souvent sans préparation à l'Assemblée se transforment par la réflexion en idées claires et nettes que les esprits les moins abstraits finiront j'espère par comprendre. Je ne sais quand ni comment tout ce travail aboutira. Mais tous les échecs du monde ne me découragent pas. Je ne cherche plus qu'un bon instrument. Mais j'ai déjà une ou deux bonnes partitions, et celles là seules suffiraient à asseoir mon crédit si je parviens à les faire bien comprendre. Les vérités de l'ordre moral sont trouvées. L'économie politique science des faits me donnera plus de peine mais j'inventerai quand je ne saurai pas sauf à retrouver la logique dans les faits. Ce procédé est expéditif. Il m'a beaucoup servi dans mes études sur l'enseignement. Je ferai s'il le faut une économie politique à priori, sauf à la démontrer après par l'observation et la statistique. Au fond c'est là ce qui me donne quelques forces. Je ne sais pas encore trop comment les choses se passent ou se sont passées ; mais je devine assez comment elles ont dû se passer. C'est ce qui m'a permis de rassurer Madame Swetch[ine]. Cher ami, sur le conte ridicule des journaux (vous ne vous attendiez pas à cette application de ma théorie) qui l'a horriblement tourmenté vingt-quatre heures et que je me suis permis de jeter au panier avant même que votre silence nous eut appris que c'était là sa place. Adieu cher ami, cinq heures vont sonner. Continuez vos bains de soleil, d'air, de poésie et de rêverie. Je ne vous distingue pas, cher ami, de ce qui est votre <mot illisible>, c'est-à-dire de ce qui est encore vous. N'est-ce pas vous dire que Mme de Falloux et Mme de Caradeuc ne sont point séparées de vous dans la tendresse si vraie que j'ai pour vous et que j'estime d'autant plus que je ne sais pas comment elle s'est faite. Adieu, Albert [de Rességuier] s'étourdit et prie beaucoup. Je vous embrasse et vous aime comme vous le savez.

Armand

1Philippe-Paul de Ségur (1780-1873), général et historien.

2Marie-Charlotte Antoinette Val de Bonneval, née de Ségur (1810-1883), épouse d'Oscar du Val de Bonneval (1798-1873).

3Nathalie de Malaret, née de Ségur (1827-1910), épouse depuis 1846 de Joseph Alphonse Paul Martin d'Ayguevives, baron de Malaret (1820-1886). Elle venait de donner naissance, le 25 novembre 1849 à Madeleine.

4Anatole Henri-Philippe, marquis de Ségur (1823-1902), auditeur au conseil d’État, puis préfet de la Haute-Marne en 1851. Maire d'Aube, dans l'Orne, de 1865 à 1872 où sa famille possède le château des Nouettes.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 décembre 1849», correspondance-falloux [En ligne], Année 1849, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Seconde République, Années 1848-1851,mis à jour le : 30/03/2016