1878 |
19 mai 1878
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
19 mai 1878*
Chère Madame, j'écris par ce même courrier au grand évêque1 qui m'a rendu indifférent à ce qu'on fera désormais sur le boulevard, tant il a fait tourner le centenaire à la confusion de l'apothéose et tant il a remporté la victoire pour toutes les intelligences et pour tous les cœurs de la moindre dignité. Le premier numéro de la Défense2, - car je n'ai pas encore la brochure - m'avait paru amasser un peu péniblement les matériaux ; mais le second numéro y a bien mis le feu et la flamme en jaillit magnifiquement. L'évêque hyper certainement à chapeau, mais il y gagne une couronne, et il donne un de ces rares exemples dont l’Église elle-même a grand besoin. Il ne manque à mon complet enthousiasme que vingt lignes qui aient fait la part de nos propres fautes dans le XVIIIe siècle, et qui expriment le regret que le clergé et les catholiques de ce temps-là aient laissé à Voltaire et Rousseau le monopole des grandes questions dans le bénéfice aurait dû appartenir au christianisme, car leur origine et leur inspiration venait de là. C'était peut-être difficile à dire un évêque et cela exigeait un grand courage ; mais les difficultés lui vont si bien et l'intrépidité est tellement sa nature même ! Je ne lui ai point caché ce regret là, mais je lui cache encore moi mon admiration.
Mon frère paraît annoncer comme définitive la nomination de l'évêque de Marseille3 à Rennes.
Le fait de Milan, que j'ai recherché en arrière, grâce à Madame Craven, me paraît très important. Les Veuillotins se mettent là en révolte déclarée contre Léon XIII qui avait essayé jusqu'ici de ramener la paix en en donnant surtout l'exemple et en ne faisant plus la guerre à personne. On le brasse ouvertement à Milan : il devra donc faire un pas de plus ou reculer. Dieu veuille que le pape fasse comme Mme Craven elle-même vis-à-vis de Mme de Rayneval4 ! Ai-je besoin de vous dire à toutes deux combien je pleure tout ce que je viens de perdre à Rochecotte ! Je suis, du moins, récompensé de mon sacrifice par un vrai mieux chez Mme de Caradeuc. Si cette grâce nous et continuée, je vous arriverai à Paris 24 heures avant le départ de Georges, avec les Rességuier dont nous attendons l'avant-garde après-demain. Le scrutin de l'académie est fixé au 13 et il est bien difficile qu'un lecteur de la Défense ne vote pas contre Renan !
A. de F.
*Fonds Castellane, Archives nationales.
2La Défense sociale et religieuse, journal fondé à l'initiative de Mgr Dupanloup.
4Sans doute Louise de Rayneval, née Bertin de Vaux (1826-1909).
