1879 |
2 janvier 1879
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
2 janvier 1879*
Chère Madame, en attendant le latin de Boni1 et de Jean2, dont nous sommes fort impatients, je vous prie encore de les embrasser de ma part, ainsi que tous ceux, autour de vous, qui voudront bien le permettre, sans excepté le curé de Saint Patrice3 et l'abbé Couvreux. J'ai passé tout mon jour de l'an enfermé, laissant peser sur Madame de Caradeuc4 et Loÿde5 tout le poids de cet aimable jour, ce dont, grâce à Dieu, elle se déclare non fatiguées, ce matin.
Je ne suis pas sûr de vous avoir dit que notre cher évêque6 m'a légué une magnifique bible dont il se servait habituellement et qu'il tenait d'Albert de Rességuier faisant sa première communion. Quelle touchante bonne grâce dans ce rapprochement qui n'est pas fortuit, car il est mentionné dans le testament même !
Il y a bien loin de là à l'évêque d'Angers7. Cependant je suis si heureux de féliciter ce dernier que je veux vous transmettre tout chaud un mot de lui, trop optimiste selon moi, mais certainement charmant : « Monsieur Gambetta me fait dire que j'ai à me rassurer et que les lions qui doivent dévorer les chrétiens ne sont pas encore dans le cirque. Je le crois bien ! Je ne vois autour de lui que des renards forts en peine de leur guerre et qui ne peuvent faire peur qu'à des poules. »
Savez-vous, chère Madame, par qui m'arrivent maintenant les nouvelles du palais Ruspoli8 ? Par Jardry9 gambadant de joie et enlevé par Perrochel10, durant les vacances de la Chambre. Qu'on est heureux de pouvoir faire si grand plaisir à quelqu'un ! Pour me faire ma part aussi, Jardry m'écrit que mon frère est enchanté sans réserve de mon évêque d'Orléans11. Du reste, toujours même silence de ce côté sur les sujets touchés par la princesse Wittgenstein12 auxquels je ne fais nulle allusion dans mes lettres, d'abord pour ne pas faire quelque paquet ensuite parce que, tout en vénérant infiniment Léon XIII, je continue à lui appliquer une pensée que vous trouverez dans le Correspondant au bas de l'avant-dernière page de M. de Serre, par Charles de Lacombe13.
Jusqu'ici, j'ai beaucoup à me louer de l'accueil fait à mon chapitre de mémoire ; jusqu'ici j'échappe à deux écueils redoutables : parler de soi et chercher un second succès tout à côté d'un premier. La République française14 en particulier a très bien compris ce que signifiait l'exhumation de M. Thiers et m'a consacré deux articles qu'on pourrait donner en modèle à votre journal l'Univers.
Merci encore à vous et à tous, chère Madame, et mille vœux incessants.
A. de F.
Je suis bien coupable de ne vous avoir pas remercié tout d'abord de vos bonbons, car j'en jouis infiniment tous les jours, et tout le monde, pour le même motif, vous exprime la même reconnaissance. Voici la lettre de l'abbé Couvreux. Je le remercie et lui redis mille vœux.
A. de F.
Et moi, j'embrasse mille fois le filleul, avec la permission l'entremise de son parrain J. de B.
*Archives nationales, Fonds Castellane
1Boniface dit Boni de Castellane (1867-1932), son petit-fils, le fils aîné d'Antoine de Castellane.
2Jean de Castellane (1868-1948), petit-fils de Pauline de Castellane, second fils d'Antoine de Catellane.
3Commune d'Indre-et-Loire où se situe Rochecotte, la propriété de Pauline de Catellane.
4Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.
5Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.
8Le palais Ruspoli, à Rome, où son frère, le cardinal de Falloux est domicilié.
9Secrétaire de Falloux.
10Perrochel Fernand Clovis Ludovic de (1843-1881), homme politique. Conseiller général du canton de Saint-Patern, dans la Sarthe, il fut élu député de ce département en 1876 et réélu en 1877 et en 1881. Il siégea avec l'Union des droites jusqu'à sa mort.
11Falloux venait de publier, L'Évêque d'Orléans [Mgr Dupanloup], Paris, Didier, 1879, 211 p.
12Sayn-Wittgenstein, Léonille, née Bariatinsky (1816-1918), princesse d'origine russe, orthodoxe, elle avait été converti au catholicisme romain par Mgr. Dupanloup.
13Olivier de Serre (1539-1619), agronome français. Charles de Lacombe est l'auteur d'un ouvrage conséquent sur la vie de ce célèbre agronome qui parût en 1881, Le comte de Serre, sa vie et son temps, Paris, Didier, 1881, 2 vol. Ce travail fut publié dans un premier temps dans Le Correspondant.
14Journal de Gambetta.
