CECI n'est pas EXECUTE 2 octobre 1871

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2 octobre 1871

Jules de Bertou à Alfred de Falloux

Rochecotte, le 2 octobre 1871

Cher ami,

J'ai communiqué à Mad[ame] de Cast[ellane] toute seule la portion de votre lettre relative à la réunion qui vous est offerte. Rien ne lui serait plus doux que de vous avoir ici en même temps que l'évêque1 cela va sans dire. Antoine [de Castellane] en profiterait, son beau-frère pourrait y venir sans le moindre inconvénient à ce moment-là et une telle réunion qui serait tout à fait selon son cœur n'aurait rien qui put attirer l'attention publique et si on s'avérait d'y voir une réunion politique ce serait alors un roman qu'il faudrait laisser défiler sans en prendre plus de souci que de tous les autres qui se débitent à la journée et contre lesquels demeure aussi impuissant qu'irresponsable. Mais pour ce qui serait d'une véritable réunion politique comme celle qui vous est proposée elle pourrait avoir les plus sérieux inconvénients au milieu d'une population bonapartiste soupçonneuse, un peu jalouse, peut-être, est toujours tenu en éveille [sic] par les malveillances contre les relations avec l'étranger ! Vous sentirez seule tout aussi vivement que nous ressentons ici et Madame de Cast[ellane] se met absolument sous votre protection pour éloigner d'elle cette compromission dans le cas où elle en serait menacée par une combinaison quelconque vint-elle d'Antoine lui-même. Il serait assurément très important qu'on se vit, qu'on s'entendit sur la conduite à tenir après la rentrée de l'Assemblée ; mais une telle réunion ne pourrait guère être convenablement tenue que dans une ville et une grande ville où l'on put se rencontrer et causer sans mettre la France entière en éveille et sans attirer les commentaires de toutes les couleurs sur un acte aussi simple et aussi légitime. On croit certainement s'assurer votre concours en vous offrant d'aller trouver chez vous, mais je comprends admirablement votre objection et il me semble que vous vous tireriez très bien d'affaire en offrant à ceux qui voudraient aller vous rencontrer en Anjou de vous réunir près d'eux à Paris par exemple ou à Versailles. Si l'on ne préférait Le Mans qui, selon moi, aurait l'avantage d'offrir un point de contact très naturel entre l'Ouest et la Normandie en se rapprochant de Versailles ?

Oui, cher ami, j'ai trouvé ici le volume du P. Lacordaire et je commencerai bientôt à l'étudier au point de vue du chapitre de sa vie, mais seulement après le départ de la Princesse2 car jusque là je dévore tous les livres qu'elle me prête sur la guerre et sur l'Allemagne. J'ai déjà absorbé les deux empereurs écrit par un Allemand qui vivait en France au moment où la guerre éclata et j'en suis au dernier chapitre de Wimpffen3 qui est aussi peu favorable à l'empereur Napoléon [III] qu'à Mac Mahon et à Ducrot4. J'ignore quelle valeur réelle il peut avoir du point de vue de son métier mais il est certain qu'en exposant la marche qui a été suivie il donne au lecteur la conviction qu'il eût fait moins mal que les autres. Au salon, nous avons lu la première partie de l'article très intéressant de M. Guizot sur le duc de Broglie5 et nous avons bien des fois reconnus dans les paroles, dans les procédés du père la source, l'origine le modèle de ce que nous voyons faire aujourd'hui au fils le jour, par exemple, où il tend sa perche à Jules Simon pour le repêcher : le père comme le fils, reconnaît avec loyauté ses erreurs ; il dit avec une parfaite royauté que le parti libéral a perdu la plus belle des parties en faisant tomber le ministère Martignac6. Hélas, cette faute origine de tous nos malheurs est-elle bien comprise aujourd'hui des continuateurs des doctrinaires d'alors ? J'en doute. Ils se souviennent bien la faute que fit Charles X7 en appelant le ministère Polignac8, mais s'avouent-ils, comme le fait noblement M. de Broglie que le vieux roi ne fut pas le provocateur. Ah ! sans doute il aurait bien mieux fait de ne pas rendre coup pour coup, mais enfin le provocateur a toujours une certaine part de responsabilité dans les fautes qu'il fait commettre et cette part ne devrait pas être mise en oubli dans sa pratique et c'est ce que l'on fait beaucoup trop depuis longtemps. Aussi je sais un grè infini au duc de Broglie de l'avoir si noblement remis en lumière. En attendant la revue du beau-frère pour avoir la suite de cet intéressant travail, nous avons essayé de lire <deux mots illisibles> mais nous avons dû arrêter à la quatrième page devant l'ennui général.

Les enfants Radziwill9 sont rentrés à Berlin. Leur mère quittera Rochecotte jeudi. Les Antoine sont arrivés à Murat de leur part en compagnie du duc de Nemours10 se rendant à Randan11. Mille amitiés de tous à tous.

Jules

P.S. Madame de Castellane demande si vous voudriez bien satisfaire sa curiosité féminine en lui communiquant les des 24 sénateurs que l'on vous propose de convoquer chez vous.

Oui, certainement, j'ai reçu la lettre de Mgr. [Dupanloup] envoyée par votre femme et de plus j'ai adressé mes remerciements à cette généreuse et bien chère correspondante.

J'ai écrit à Nicolas pour les méditations sur la purification....

3Emmanuel Félix de Wimpffen (1811-1884), général, il avait participé à la conquête de l'Algérie. De retour d'Afrique du Nord au moment de la guerre de 1870 il avait pris le commandement de l'armée après la blessure du maréchal Mac-Mahon lors de la bataille de Sedan. Il signa la capitulation de son armée le 2 septembre 1870. Conduit en Allemagne comme prisonnier, il revint en France et dut répondre à la cabale de certains officiers qui le rendaient responsable de la défaite de 1870.

4Auguste-Alexandre Ducrot (1817-1882), général de division.

5François Guizot venait de consacrer un ouvrage à son ami et compagnon de lutte Victor de Broglie, le père d'Albert de Broglie, Le duc de Broglie, Paris, Hachette.

6Jean-Baptiste de Martignac (1788-1832) fut placé par Charles X à la tête du gouvernement du 4 janvier 1828 au 8 août 1829 avant de devoir céder la place à Jules de Polignac (1780-1847) principal responsable aux yeux de Falloux de la chute du régime.

7Charles X (1757-1836), roi de France de 1824 à 1830, il avait succédé à Louis XVIII. Allié aux ultras, refusant de se soumettre à la nouvelle majorité issue des élections de juillet 1830, Charles X avait rédigé des ordonnances proclamant la dissolution de la chambre et l'abolition de la liberté de presse. Peu après, il avait été chassé de son trône par une révolution, dite des Trois glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830) qui amenèrent au pouvoir Louis Philippe d'Orléans.

8Jules de Polignac (1780-1847) avait été le dernier chef de gouvernement de Charles X. Il n'avait pu enrayer le mouvement qui devait conduire à la Révolution de Juillet 1830.

9Jerzy (1860-1914) et Elizabeth (1861-1950).

10Orléans, Louis d' (1814-1896) duc de Nemours.

11Situé sur la commune de Randan (Puy-de-Dôme), le château de Randan est la propriété de la famille d'Orléans.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 octobre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 08/09/2016