CECI n'est pas EXECUTE 11 août 1875

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11 août 1875

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Fléville1, 11 août 1871

 

Cher ami, votre lettre de Rennes datée du 8, sortait de la boite du facteur hier au moment où y entrait celle que je venais d'adresser à Loyde2. Merci, merci de tout ce que vous y aviez mis de bon et d'aimable pour mon hôte et pour moi. Nous sentons bien qu'en parlant comme vous le faites, vous nous gâtez ; mais la gâterie de ceux qu'on aime arrive au cœur sans passer par la vanité.

Votre visite à l'archevêque3, déterminée par les circonstances que vous indiquez, avait un à propos exquis dans lequel je vous reconnais bien. J'aurais voulu qu'il put vous recevoir, car j'aime à me persuader qu'il en eut été consolé autant qu'encouragé. Je ne manquerai pas de visiter l'imprimerie d'Oberthur4 et j'espère que ce sera avec vous. Lambel5 désire beaucoup être de la partie car son pays s'adonnant de plus en plus à l'industrie il n'a rien de plus à cœur que l'étude des procédés civilisateurs et moraux à l'usage des ouvriers. M. Mame6 m'avait déjà parlé de son confrère de Rennes dans les mêmes termes que vous même et en me le citant comme un modèle à imiter. J'attends la copie que vous m'annoncez et je n'ai pas besoin de vous dire si je ferai tout ce qui sera e mon pouvoir pour répondre à votre attente.

Je viens de déjeuner avec trente des curés du canton au milieu duquel est situé Fléville. Le châtelain7 renouvelle ces agapes chaque année et j'ai eu la satisfaction de constater que tout ce clergé parle de l'évêque d'Orléans8 avec admiration, ça ne les empêche pas de faire aussi l'éloge de Poitiers9, mais ça prouve du moins qu'ils ne sont pas empoisonnés par les doctrines et les haines de L'Univers. L'un de mes voisins de table est abonné du Correspondant et en parlait avec admiration. Après qu'on fut rentré au salon un groupe se forma autour de Mme de Lambel10 pour voir les photographies des contemporains les plus célèbres, qu'elle leur nommait. Quand elle arriva à votre nom il se fit un mouvement et tous ceux qui avaient entendu voulurent voir vos traits salués par plusieurs remarques très douces à nos oreilles.

Connaissez-vous la Vie du P. Besson par M. E. Cartier11 publiée par la Ve Poussielgue ; sinon, faites-vous la expédier bien vite et je ne doute pas du plaisir et de l'intérêt que vous prendrez à l'entendre12. Je lis ce livre en mon particulier et je m'étonne d'avoir été si longtemps à faire sa connaissance. Tout y est intéressant, mais il y a particulièrement le récit des démêlés qui se sont élevés contre le Père Lacordaire et le Père Janiel et où l'on voit la touche de cette école funeste de L'Univers qui a porté la désorganisation et le trouble au milieu de cette belle harmonie catholique dont notre jeunesse avait attendu tant de grands résultats ! Il faudra tout lire, mais la question que j'indique ici paraît au XVIIe chapitre du Ier volume sous le nom de question d'observance 1858. Puisque je suis en train de vous indiquer des lectures du soir laissez moi vous nommer en vous les recommandant : Le manuscrit de ma mère par Lamartine13; Les Mémoires de Madame de la Guette14 avec une préface intéressante de M. Moreau ; charmant petit volume montrant quelques traits intéressants de la physionomie de la société française au temps de la Fronde. Cette lecture intéressera beaucoup Loyde. Puis enfin le Voyage au pays des milliards par M. Tissot15 portrait de l'Allemagne actuelle dans lequel les Dames mères16 trouveront plus d'une page à la hauteur de leur patriotisme.

Il ne faut pas que j'oublie de faire honneur à nos convives d'hier de leur admiration en entendant la lecture des deux belles lettres de l’évêque d'Orléans écrites à l'occasion du centenaire des O'Connell17 et publiées par la Gazette.

Au revoir, au revoir cher ami, je vous embrasse tous y compris Albert [de Rességuier]si vous l'avez avec vous ainsi que l'espérait Loyde en m'invitant l'autre jour.

Jules

Ne m'oubliez ni auprès de M. de Bennetot18 ni auprès de vos voisins depuis la ferme jusqu'à Noyant.

 

1Fléville-devant-Nancy (Meurthe-et-Moselle).

2Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.

3Sans doute Mgr Colet, archevêque de Tours auquel Falloux était allé rendre visite pour discuter du siège de la future Université Catholique de l'Ouest à Angers.

4Imprimerie Oberthur, à Rennes.

5Lambel, Alexandre de Label de (1814-1903). Créateur de l’œuvre de Saint-Jean, ce proche d'Armand de Melun, participa à de très nombreuses œuvres charitables. Maire de Fléville de 1843 à sa mort, il était aussi membre du Conseil général.

6Mame, Alfred (1811-1893), imprimeur et éditeur. Directeur de l'imprimerie du même nom à Tours.

7Alexandre de Lambel, propriétaire du château de Lunéville, à Fléville.

10Lambel, Marie de (1822-1882), née Bonnin de la Bonninnière de Beaumont.

11Eugène Cartier, Un religieux dominicain ; le R. P. Hyacinthe Besson, sa vie et ses lettres, 2 vols, Paris, Poussielgue, 1865.

12Souffrant de manière récurrente des yeux, Falloux ne pouvait lire longtemps ayant recours à l'un ou l'autre de ses secrétaires.

13Lamartine, A. de, Le manuscrit de ma mère, Paris, Hachette, 1875.

14Catherine de Meurdrac de La Guette, Mémoires de Madame de La Guette, rééd. 1856, P. Jannet, préface de Célestin Moreau.

15Tissot, Victor, Voyage au pays des milliards, Paris, Dentu, 1875, 388 p.

16Madame de Falloux et Madame de Caradeuc.

17O'Connell, Daniel (1775-1847), prêtre irlandais qui fit campagne pour l'émancipation catholique dans son pays.

18Joseph de Bennetot, secrétaire de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 août 1875», correspondance-falloux [En ligne], 1875, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 10/11/2016