CECI n'est pas EXECUTE 18 novembre 1881

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18 novembre 1881

Edouard de Fitz-James à Alfred de Falloux

Paris, ce 18 novembre 1881

Mon cher Falloux,

Voilà longtemps que je ne vous ai donné signe de vie et cependant je ne cesse de penser très affectueusement à vous. J'espérais pouvoir assez passer quelques jours au pays et vous voir, mais je suis cloué à Paris par mes affaires ! Et sauf une semaine que j'ai partagé entre Coustomer et Balleson. Je n'ai pas bougé jusqu'à ce que nos nouvelles vignes donnent une véritable récolte comme autrefois, et il faut encore deux ans pour cela car malgré leurs promesses elles n'ont que 2 ans ½ en moyenne. Je suis sans cesse obligé, enserré par le régime dotal de changer mon malade de lit et je vous assure que cela me constitue une existence pénible ! On échappe pas à la loi du travail comme vous m'avez dit très justement jadis. Je vous assure que je travaille fort aujourd'hui il faut bien expier ses erreurs....le purgatoire est de ce monde comme de l'autre, bien heureuse, même dans celui-ci, de ne pas être en enfer.

Vous avez vu les succès de Madame de Fitz-James1 à Bordeaux. Elle y a été l'objet d'ovations méritées au Congrès viticole. Toute l'édition de son livre y a été enlevée elle en refait un autre et ajoutera un résumé de tout ce qui est sorti de concluant et d'utile du Congrès. Je vous enverrai ce volume ainsi complété. Je ne vous dirai du ministère que ce que vous en savez sans doute déjà. C'est un ramassis de mauvais et méchants valets. Gambetta a déjà un pied dans le ridicule, qui hélas ! ne tue plus en France. A Belleville, on ne met plus appartement mais petits repaires à louer.

Gougeard2 est le comble de la grossièreté. Il a une femme et une belle mère, fille et épouse de quartier maître, qui sont dans le modèle de feu Madame Flocon3. C'est un ancien faux ménage. Gougeard se promène avec une grosse canne dont la pomme est une obscénité à faire rougir un tambour major si Favre4 en avait laissé. Le général de Miribel5 n'est entré que par ordre formel de Campenon6, autre soudard, qui l'a menacé de le mettre en retrait d'emploi s'il n'obéissait pas. Comme il a six enfants et peu de fortune, il a courbé la tête. Denormandie7 est remplacé comme gouverneur de la Banque de France par Magnin8 c'est pour faire pièce aux Rothschild9 qui avaient combattus justement contre Allain Targé10 pour Léon sur leur créature.

Outre les tristesses politiques et celle qui me vient surtout de ne voir aucune cohésion, aucune entente pratique, dans notre parti pour le salut de la France s'il est encore possible ! Que n'êtes-vous à la Chambre mon cher de Falloux !! J'ai été attristé toute cette semaine par la mort successive de plusieurs amis. Madame de Mornau11, Cottier12, la princesse de Beauveau13 et de Mieulle14 ! Je viens d'être douloureusement ému en apprenant sa mort si inattendue ! J'ai écrit à Madame de Mieulle15. Parler de moi je vous en prie aux Candé16 à propos de la Princesse de Beauveau. Je sais que sa famille serait bien touchée si vous vouliez faire un article nécrologique sur cette amie de Madame Swetchine. On n'ose pas vous le demander et je suis chargé de vous adresser cette requête.

A revoir mon cher Falloux. Je ne vous parle que bien peu de Madame de Caradeuc dont Dieu vous a laissé le corps infirme à soigner pour que vous témoignez encore plus de l'affection que vous aviez pour celles que vous pleuriez ! Et que vous méritiez encore plus leurs prières. Je vous embrasse et je vous aime bien.

Duc de Fitz-James

1Fitz-James, Marguerite Augusta Marie duchesse de, née Löwenhielm (1830-1915), épouse du duc depuis 1857.

2Auguste Gougeard (1827-1882), conseiller et ami de Léon Gambetta. Général de brigade à titre temporaire en 1870. Il fut ministre de la Marine du 14 novembre 1881 au 29 janvier 1882 dans l'éphémère gouvernement de Gambetta.

3Veuve de Ferdinand Flocon (1800-1876), social-démocrate, ministre du Commerce et de l'Agriculture sous la Seconde République. Il avait été contraint à l'exil lors du coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte.

4Favre, Jules (1809-1880), avocat et homme politique. Il devint vite l’un des chefs les plus célèbres du Barreau de Paris, principalement dans les affaires politique. Ardent républicain, il fut secrétaire général au ministère de l’Intérieur, en 1848, sous Ledru-Rollin. Élu lors des élections partielles de 1858, il devint l’un des chefs de l’opposition républicaine au Corps Législatif. Avec quatre autres républicains (Ollivier, Darimon, Hénon, Picard), il forma, à partir de la session de 1859, le groupe dit des Cinq, opposition majeure à l’empire autoritaire jusqu’en 1863. Il fut réélu en 1863. Après la chute de l’Empire, il se vit confier le poste de ministre des Affaires étrangères ; il se chargea d’organiser la résistance aux Prussiens et négocia un traité de paix.

5Miribel, Joseph Marie François (1831-1893), général. Promu général de division, il était sous les ordres du général Campenon, nommé ministre de la Guerre dans le gouvernement de Léon Gambetta.

6Campenon, Jean Baptiste Marie Édouard (1819-1891), militaire et homme politique. Proche de Léon Gambetta, il avait été nommé ministre de la Guerre dans son gouvernement.

7Denormandie, Louis Jules Ernest (1821-1902), financier et homme politique. Avoué de la famille d'Orléans, député de la Seine de 1871 à 1876, il fut gouverneur de la Banque de France de 1879 à 1881. Il sera par la suite président de la Caisse d'Épargne et de Prévoyance (1882) et de la Banque de l'Indochine (1892-1902).

8Magnin, Joseph (1824-1910), député de la Côte d'Or de 1863 à 1876. Ministre des Finances dans le premier gouvernement Freycinet puis dans le premier gouvernement Ferry, il sera nommé peu après la chute de Ferry (18 novembre 1881) gouverneur de la Banque de France, il remplaçait Louis Denormandie.

9Les barons Gustave et Alphonse de Rothschild étaient alors régents de la Banque de France.

10Allain Targé fut le successeur de Magnin au ministère des Finances. Allain-Targé, François Henri René (1832-1902), avocat magistrat, puis préfet du Maine-et-Loire. Avocat de la cause républicaine sous l'Empire, il fut nommé préfet du Maine-et-Loire par le gouvernement de la Défense nationale. Démissionnaire en 1871, il était entré au conseil municipal de Paris. Proche de Gambetta, il sera rédacteur de La République française. Député de la Seine de 1876 à 1889, il est nommé Ministre des Finances en 1881, dans le gouvernement de L. Gambetta et ministre de l’Intérieur en 1885, dans le gouvernement de H. Brisson.

11?

12Cottier, Maurice (1822-1881), peintre, collectionneur des œuvres de Delacroix et Guéricault. Propriétaire de la Gazette des Beaux-Arts.

13Komar, Eugénie-Ludmille-Alexandrine-Joséphine (1819-1881), princesse de Berauveau.

14Auguste Romain de Mieulle (1812-1881), propriétaire du château de La Thibaudière à Montreuil-Juigné (Maine-et-Loire), commune dont il était le maire.

15Mieulle, Gabrielle Claire de (1823-1893), née Hochet.

16Les Candé demeurent à Candé, en Maine-et-Loire, une commune proche du Bourg d'Iré.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 novembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], 1881, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 21/01/2017