CECI n'est pas EXECUTE 15 février 1865

Année 1865 |

15 février 1865

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

 

Le Bourg d'Iré, 15 février 1865*

Chère Madame,

Je suis absolument étranger à tout ce qui a pu concerner la lettre du Nonce1 et j'ignorais même la plupart des détails que vous voulez bien me confier.

Je vous réponds donc sous une impression aussi libre et aussi désintéressée que possible.

Je ne puis m'empêcher de trouver extrêmement injuste qu'on fit peser, à quelque degré que ce soit, sur l'évêque d'Orléans2 la responsabilité de ce qui se passe ou de ce qui se passera. D'abord, la lettre vraiment peu diplomatique est celle adressée à l'évêque de Poitiers3; aussi est-ce celle-là seulement qui a fait éclater l'orage. Les Débats4 ni aucun autre journal de cette couleur n'avaient trouvé à redire sur la lettre du Nonce à l'évêque d'Orléans, si ce n'est qu'elle était insignifiante, de pure courtoisie et n'impliquait qu'une adhésion superficielle à la brochure5.

En outre, chère Madame, il faut cependant que nous nous accoutumions bon gré mal gré à accepter des situations difficiles et à subir des luttes, ou bien il n'y aura point de limite aux humiliations qu'on nous fera subir. Et si nous admettons que la responsabilité de ces luttes doit peser sur quelqu'un, il est très naturel que ce soit sur le Nonce, et même sur le Pape6. Assurément, chacun de nous ne demanderait qu'à attirer les coups sur lui tout seul, mais cela ne ferait pas le compte de l'ennemi celui-là finit toujours par viser là où il veut atteindre, et l'on ne peut pas toujours demeurer à couvert quand on est Pape et quand on est Nonce et qu'il s'agit de l'existence même du St-Siège. En réalité, de quoi s'agit-il ici ? Le Pape a publié une Encyclique que je n'ai pas à juger, mais qui a jeté un trouble extrême d'un bout de l'Europe à l'autre ; un évêque se dévoue pour conjurer le ravage ; il y réussit admirablement et l'ennemi n'a plus qu'une ressource ; c'est de dire à l'évêque : « Vous ne représentez pas la pensée du Pape » – Dés lors, à qui profitait la lettre du Nonce ? A l'évêque lui-même ? Pas du tout ; à l’Église et au Pape. C'est donc bien réellement au Pape de voir ce qu'il considère comme son premier intérêt ; ou fouler aux pieds l'incident diplomatique et maintenir le grand service rendu par l'évêque à la Catholicité tout entière, ou renoncer au grand service pour esquiver l'incident diplomatique. J'ajouterai que, si on parvenait à conduire le Pape ou le Nonce à un acte de faiblesse, ou n'y gagnerait absolument rien. Demain, on cherchera un autre prétexte, on le trouvera et ce sera à recommencer. Je n'ai donc pas besoin de vous dire, chère Madame, combien je déplorerais toute fausse démarche et toute lettre équivoque qui ferait perdre à chacun sa vraie situation, et par conséquent sa vraie dignité. La seule force du Pape aujourd'hui est la force morale ; tout ce qu'il en laisse entamer équivaut à la perte d'un régiment ou d'un corps d'armée pour un autre souverain.

Mais encore mille fois, chère, chère Madame je n'ose vous demander souvent de pareilles lettres; mais sachez du moins que j'en suis bien heureux et bien reconnaissant.

A. de F.

P.S. Voici votre dernier petit mot qui m'arrive à l'instant même. Il ne change rien à cette lettre écrite hier au soir ; il se confirmerait plutôt en rendant évident que l'Empereur7 a besoin de chercher querelle et que nos faiblesses ne font que l'enhardir, sans rien changer au fond des choses.

 

 

*Archives nationales

1Nonce à Paris de 1861 à 1873, Mgr Flavio Chigi (1810-1885) n'éprouve guère de sympathie envers les catholiques libéraux. Le Nonce venait de publier une lettre en réponse à la brochure de Mgr Dupanloup intitulée La convention du 15 septembre et l'Encyclique du 8 décembre.

 

3Mgr Pie.

4 Journal des Débats, quotidien de tendance orléaniste.

5Voir note supra.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 février 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 01/05/2017