CECI n'est pas EXECUTE 26 juillet 1878

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26 juillet 1878

Alfred de Falloux à l'abbé Couvreux

26 juillet 1878*

Cher Monsieur l’abbé, vous m’avez bien soulagé, et Mme de Castellane aussi, en m’autorisant à regretter la souscription d’Orléans et à n’y contribuer que très froidement. Il me semble de plus en plus probable qu’elle échoue et je regrette de plus en plus que le grand évêque1 use ses dernières forces à de petites quêtes plutôt qu’à de grandes œuvres ou à de grands combats. J’avais oublié qu’une foule de petits objets pieux venaient d’Auteuil ; mais je n’avais pas oublié les objets eux-mêmes et j’en userais à la première occasion. L’abbé Roussel2 se trouve maintenant aux prises avec un danger qu’il n’avait pas connu : la fortune ! Et il est quelquefois plus difficile de s’en tirer que de la gêne. Je fais bien des vœux pour qu’il n’en soit pas ainsi, et que cet admirable commencement ne tourne pas comme tant d’autres beaux commencements de notre siècle. M. de Pontmartin lui donne un excellent conseil et à nous aussi en disant qu’il faut tout de suite agrandir cette maison. Je serais bien curieux d’y aller voir, et ce sera certainement une de mes premières visites, si je retourne à Paris. Ce sera aussi une manière de vous remercier de m’avoir envoyé la Gazette3.

Il faut bien qu’elle expie de temps en temps par une bonne œuvre toutes ses farces et toutes ses palinodies. Parlez-moi de l’Univers pour être logique et persévérant. Léon XIII ne lui fait point lâcher prise, et l’abbé Morel, l’abbé Pelletier4 s’y montrent, tous ces jours-ci, plus eux-mêmes que jamais. L’Univers me semble cependant s’être fourvoyé dans l’affaire de Milan, j’espère que le numéro de la Défense5 d’avant-hier, ne vous a point échappé. C’est la première fois que j’ai vu l’Univers, depuis bien longtemps, interloqué et sans un second mensonge pour sauver le premier. J’attends la suite avec curiosité.

Les lettres de mon frère6 se louent d’Ischia7, annonce toujours sa prochaine arrivée et en laisse supposer la date pour la première moitié d’août, sans toutefois rien préciser encore. Rochecotte se trouverait alors pour la dernière moitié de septembre. Cela ne cadrera-t-il pas avec les mouvements de Mme de Castellane ?

Voici des grèves qui deviennent fort sérieuses. Elles sont au gouvernement français et à Gambetta ce que Nobiling8 est au roi de Prusse9 et à M. de Bismarck10 : elles jettent un grand jour sur les mauvaises politiques et les mauvaises pratiques.

Mais ne sera-t-il pas trop tard pour revenir sur ses pas ? Merci mille fois aussi des nouvelles et des souvenirs de Monabri11, ne rendra-t-il12 pas à Évian sa visite ?

A. de F.

Votre lettre arrive au moment où celle-ci va être fermée. C’est à vous maintenant à le dire si Monsieur l’archevêque de Tours13 prêtera volontiers ce collet à Monsieur l’archevêque de Rennes14, et à faire en sorte de l’obtenir.

 

 

 

 

 

*Archives nationales. Fonds Castellane.

2Louis Roussel (1825-1897), prêtre fondateur s de l’œuvre sociale Les Orphelins-apprentis d’Auteuil.

3Gazette de France, périodique royaliste.

4Victor Pelletier (1810-1885), nommé chanoine de la cathédrale d’Orléans par Mgr Dupanloup, en 1851, il s’était rallié peu après à Louis Veuillot et à ses proches devenant, comme l’abbé Morel, l’un des plus violents adversaires de l’évêque.

5La Défense sociale et religieuse, journal créé en 1876 par Mgr Dupanloup.

7Station thermale sur l’île du même nom dans le golfe de Naples.

8Karl Eduard Nobiling (1848-1878), anarchiste allemand. Il tenta d’assassiner l’Empereur Guillaume Ier le 2 juin 1878, le blessant d’un coup de feu.Parvenu à fuit, il se tira ensuite une balle dans la tête qui ne fera que le blesser. Incarcéré, il succomba trois mois plus tard à ses blessures.

9Guillaume Frédéric Louis de Hohenzollern (1797-1888), roi de Prusse (1861-1888), il devint empereur en 1871 sous le nom de Guillaume Ier.

10Bismarck, Otto Eduard Leopold von (1815-1898), homme d'état allemand. Il devint le premier chancelier (1871-1890) de l'Empire allemand.

11Demeure de la princesse Sayn-Wiitgenstein (1818-1916), à Lausanne, en Suisse.

12?

13Mgr Guibert, Joseph-Hippolyte (1802-1886), archevêque de Paris. Nommé évêque de Viviers en 1841, puis archevêque de Tours en 1857, il était plus gallican que libéral. Il ne montra guère de sympathie pour L’Univers. Il avait été nommé archevêque de Paris en 1871 en remplacement de Mgr Darboy tombé sous les balles des Fédérés.

14Charles Philippe Place (1814-1893) succéda, le 15 juin à Mgr Brossay Saint-Marc à la tête de l'archidiocèse de Rennes. Ordonné prêtre en 1850, il fut vicaire de Mgr Dupanloup à Orléans, puis partit séjourner à Rome comme auditeur de Rote pour la France. Préconisé évêque de Marseille en 1866, il fit partie de la minorité opposé au dogme de l’infaillibilité pontificale. Autant dire que Mgr Place était plutôt de l'école de Mgr Dupanloup que de celle de Mgr Pie.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 juillet 1878», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, 1878,mis à jour le : 13/03/2019