CECI n'est pas EXECUTE 10 novembre 1875

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10 novembre 1875

Saint-René Taillandier à Alfred de Falloux

Paris, 10 novembre 1875

Mon cher confrère, je suis bien heureux de vous annoncer le succès de votre jeune recommandé, M. Churchill, qui vient d’être reçu à son premier examen du baccalauréat és lettres. J’étais un de ses juges, je l’ai aidé de mon mieux à franchir les obstacles.

Si je ne vous ai pas écrit plus tôt au sujet de nos élections, c’est que j’avais rien de nouveau à vous demander ; mais aujourd’hui l’heure de la lutte approche. L’académie a décidé dans sa séance d’hier que les élections pour les deux fauteuils vacants auraient lieu le jeudi 16 décembre. Si vous pouviez d’ici là obtenir de Mgr l’évêque d’Orléans1 qu’il voulût bien reprendre sa place parmi nous, vous rendriez un grand service à la compagnie, et pour la question présente et pour celle que nous réserve un prochain avenir. Si Mgr Dupanloup se décidait à rentrer à l’académie, comme je le souhaite de toute mon âme, il serait désirable que cette rentrée eût lieu quelque temps avant le jour de l’élection. Des journaux ont annoncé que son parti était pris et qu’il nous reviendrait certainement au premier jour ; vous devez le savoir mieux que personne, veuillez donc achever votre œuvre, s’il est vrai que vous ayez triomphé des scrupules de notre illustre et vénéré confrère, et tâcher d’obtenir, je vous en prie, qu’il n’attende pas le dernier instant pour reparaître à l’académie.

J’ai écrit hier soir à M. Henri de Bornier2 pour l’engager à entrer en campagne. Le moment est venu pour lui de faire ces visites et de poser officiellement sa candidature au fauteuil de M. de Rémusat. Vous savez déjà que M. le duc de Noailles et M. de Champagny3 ont accepté avec empressement cette candidature. M. de Carné4 sera certainement avec nous. Je ne doute pas de M. Xavier Marmier5, bien qu’il dise un peu trop que la victoire de M. Jules Simon est assurée ; ce n’est qu’une imprudence de sa part, car il redoute beaucoup cette victoire et ne voudrait y contribuer en rien. M. Camille Doucet6 a fait quelques objections, mais il s’est rendu bien vite à mes arguments. M. Caro7 votera sans hésiter pour M. de Bornier. M. Émile Augier8 paraît un peu indécis, j’ai recommandé à M. Henri de Bornier de ne négliger de ce côté aucun de ses moyens de persuasion. Je n’ai pas encore vu M. le duc de Broglie qui n’est pas venu à l’académie depuis six semaines. M. de Champagny s’est chargé d’écrire à Victor de Laprade9 et à M. Autran10. Caro parlera de son côté à M. Camille Rousset avec lequel il a des relations très amicales. J’ai tout lieu de croire que M. Camille Rousset ne votera jamais pour M. Jules Simon, pas plus que M. Le Viel-Castel11. J’espère aussi que M. Nisard12 éprouvera jusqu’au bout la même répugnance ; cependant je n’oserais pas l’affirmer. Quant à M. de Sacy13, il paraissait engagé à voter pour M. Jules Simon, afin d’assurer l’élection de M. Dumas14. Je vais écrire M. Émile Ollivier15 pour le presser d’arriver à Paris.

Voyez par cette rapide ébauche que tout n’est pas fini, mais l’affaire est lancée, bien lancée, et il ne faut pas désespérer du succès.

Avez-vous appris que M. Patin16 a été très gravement malade ? Il y a quelques jours on le croyait perdu. Il allait mieux avant-hier, mais hier la fièvre avait reparu et l’on recommençait à s’inquiéter. J’ai bien peur que nous n’ayons à nous préoccuper bientôt de la nomination d’un secrétaire perpétuel et de l’élection d’un nouveau confrère. En des circonstances sérieuses, Mgr d’Orléans nous abandonnera-t-il ?

Recevez, mon cher confrère, l’assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Saint-René Taillandier

2Bornier, Henri Étienne Charles de (1825-1901), poète, romancier et critique théâtral. Auteur de très nombreux ouvrages dont La Fille de Roland (1875) et Les Noces d'Attila (1880), ce n'est qu'en 1893 qu'il sera élu à l'Académie française.

Voir la lettre d'A. de Ségur à Falloux du 2 janvier 1875 sur sa candidature.

3Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. IL avait été élu à l’Académie française le 29 avril 1869, en remplacement de Berryer.

4Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

5Marmier, Xavier (1808-1892), journaliste et écrivain. Rédacteur en chef de la Revue germanique, puis administrateur général de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il propagea en France la langue et la littérature allemandes. Il avait donné des leçons de littérature aux deux filles de Louis-Philippe, Clémentine et Marie. Il collabora également à la Revue des Deux Mondes. Il fut élu à l’Académie française le 19 mai 1870. On lui doit un Journal (1848-1890) important qui fut publié en 1968 (Droz, 812 p.).

6Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, secrétaire perpétuel en 1876.

7Caro Elme Marie (1826-1887), professeur de philosophie. Disciple de V. Cousin, il publia plusieurs ouvrages de philosophie spiritualiste et fut élu contre H. Taine à l'Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Ludovic Vitet.

8Augier, Émile Guillaume Victor (1820-1889), poète et auteur dramatique, il obtint un prix Montyon pour sa comédie Gabrielle. Disciple de François Ponsard il était partisan de « l’école du bon sens » en réaction contre le drame romantique.; ses principales œuvres qui illustrent pour la plupart la morale bourgeoise sont La Ciguë (1844), Philiberte (1853), Les Effrontés (1861), Le Fils de Giboyer (1862), Maître Guérin (1864), Paul Forestier (1868), Madame Caverlet (1876), et, en collaboration avec Jules Sandeau, Le Gendre de M. Poirier (1854) ; il collabora aussi avec Labiche. Plusieurs fois candidat à l'Académie, soutenu par le parti libéral, Thiers, Rémusat, Mérimée, Sainte-Beuve, il fut élu le 31 mars 1857, par 19 voix contre 18 à V. de Laprade, candidat de V. Cousin, Montalembert, etc. Ce fut la voix de Musset qui assura l'élection d’Émile Augier. Il fut nommé sénateur à la fin de l'Empire ; il était Grand-Officier de la Légion d'honneur.

9Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.

10Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il avait néanmoins été élu le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

11Viel-Castel, Charles-Louis-Gaspard-Gabriel de Salviac, baron de (1800-1887), homme politique et historien. Directeur de affaires politiques au ministère des Affaires étrangères pendant la monarchie de Juillet, il rentra dans la vie privée après 1848. Auteur d'un Histoire de la restauration en 20 volumes (1870-1870), il collabora à plusieurs reprises à la Revue des Deux Mondes.

12Nisard, Désiré (1806-1888), journaliste, littérateur et homme politique. Critique dans plusieurs journaux et revues (Journal des Débats, National, Revue de Paris et Revue des Deux Mondes), il fut professeur d'éloquence latine au Collège de France en 1833, puis d'éloquence française, il fut directeur de l’École Normale et membre de l'Académie des Inscriptions.  Élu à l'Académie française le 28 novembre 1850, il fit partie de la Commission du Dictionnaire.  Député en 1842, il fut sénateur en 1867, il était de sentiment impérialiste.

13Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

14Dumas, Jean-Baptiste (1800-1884), chimiste et homme politique. Auteur de plusieurs ouvrages scientifiques, membre de l'Académie des Sciences (1832) et de l'Académie de Médecine (1843), il avait été élu par le Gard à l'Assemblée législative (1849-1851) où il siégea avec la droite. Entré au sénat au lendemain du coup d’État du 2 décembre, il y siégera jusqu'à la chute de l'Empire. Il sera élu à l'Académie le 16 décembre 1875, en remplacement de F. Guizot.

15Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

16Patin Henri Joseph Guillaume (1793-1876) homme de lettres, helléniste et latiniste. Professeur, il fut nommé doyen Journal des savants. Il était connu tant pour ses traductions du grec et du latin que pour ses Études sur les tragiques grecs, ouvrage qui lui ouvrit les portes de l'Académie française en 1842. Membre de l'Académie française depuis, il avait été nommé secrétaire perpétuel en 1871.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 novembre 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 25/11/2020