CECI n'est pas EXECUTE 11 juillet 1873

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11 juillet 1873

Anatole de Ségur à Alfred de Falloux

Paris 11 juillet 1873

Cher Monsieur,

 

C’est encore moi qui vient vous ennuyer au sujet de l’Académie. J’ai posé ma candidature à un des trois fauteuils vacants, j’ai fait la plupart de mes visites et je crois pouvoir compter sur d’actives sympathies. Mais outre que la mort de M. Vitet m’enlève un de mes plus fermes appuis, j’ai entendu dire que la lutte serait très vive et très accentuée, MM. Taine1, Henri Martin2 et même Jules Simon ayant l’intention de se présenter, et quelques-uns, sinon tous, devront trouver l’appui non seulement de M. Thiers et de son parti, mais de M. Guizot auquel il paraît que M. Littré3 ne suffit pas. Je ne sais ce qu’il y a de vrai dans tous ces on dit ; mais ils m’enhardissent à vous prier de vouloir bien agir de votre côté pour gagner à ma candidature les voix hésitantes et incertaines, qui sont, à l’Académie, ce qu’est le centre-gauche à l’Assemblée. Je crois pouvoir compter, après vous, sur MM. de Champagny4, Marmier5, Autran6, duc de Maillé7 (par Mgr Dupanloup), Nisard8, de Laprade9, de Carné10 que je n’ai pourtant pas encore prévenu et je pense aussi Camille Rousset11. Le duc de Broglie m’a fait également espérer son concours. Mais j’ignore absolument les dispositions de MM. Camille Doucet12, Barbier13, Patin14, de Sacy15, d’Haussonville16, Jules Sandeau17, Cuvillier-Fleury, Octave Feuillet18 etc. Je dois voir un de ces jours le duc d’Aumale qu’on m’a dit très bien disposé en ma faveur.

Je serai mille fois reconnaissant si vous voulez bien dès maintenant agir près de ceux de ces messieurs sur lesquels vous pouvez tant et dont cette démarche m’assurerait le concours. Il paraît qu’on s’agite dans tous les sens, et qu’il n’y a pas de temps à perdre. Il serait bien important aussi que l’acception de M. Saint René Taillandier ait lieu avant l’élection. C’est un moment qui peut être décisif pour l’avenir de l’Académie et qui lui tracera sa voie dans le sens de l’ordre moral ou dans celui de la révolution. J’agis autant que je peux près de M. Thiers pour qu’il soit prêt à répondre à M. Saint René Taillandier avant les élections ; mais ce n’est pas chose facile.

Pardon, cher Monsieur, de ce long bardage mais je crois qu’il y a dans le débat quelque chose de plus important que ma personne, et je me persuade que ce n’est pas uniquement pour moi que je veux parler. Croyez à toute ma reconnaissance et à la nouvelle expression de ma fidèle et respectueuse amitié.

Cte de Ségur

 

1Taine Hyppolite Adolphe (1828-1893), essayiste et historien. Auteur d'un Essai sur Tite-Live couronné par l'Académie française en 1854, il avait publié deux ans plus tard Les Philosophes français du XIXe siècle, ouvrage dans lequel il critiquait la philosophie spiritualiste enseignée par l'Université. Son œuvre la plus importante demeure ses Origines de la France contemporaine qu'il commença à publier en 1876. Il collabora à plusieurs périodiques dont la Revue des deux Mondes et le Journal des Débats. Candidat à l'Académie française en 1874, il avait été battu par Elme Caro, ses idées philosophiques déplaisant à Mgr Dupanloup et à certains de ses proches. Considéré peu à peu par ceux-ci comme étant « anti-révolutionnaire », Taine sera élu le 14 novembre 1878 en remplacement de Louis de Loménie. Mort peu avant son élection, Mgr Dupanloup aurait même songé à lui apporter sa voix.

2Martin, Henri (1810-1883), historien libéral., il était rédacteur au Siècle, quotidien anticlérical. Après des débuts en littérature, H. Martin s'était consacré à l'histoire. Son Histoire de France en 15 volumes (1833-1836) lui valut le grand prix Gobert à l'Académie des Inscriptions en 1844. Professeur d'histoire à la Sorbonne en 1848, il fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1871

3Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amené Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.

4Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. IL avait été élu à l’Académie française le 29 avril 1869, en remplacement de Berryer.

5Marmier, Xavier (1808-1892), journaliste et écrivain. Rédacteur en chef de la Revue germanique, puis administrateur général de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il propagea en France la langue et la littérature allemandes. Il avait donné des leçons de littérature aux deux filles de Louis-Philippe, Clémentine et Marie. Il collabora également à la Revue des Deux Mondes. Il fut élu à l’Académie française le 19 mai 1870. On lui doit un Journal (1848-1890) important qui fut publié en 1968 (Droz, 812 p.).

6Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il avait néanmoins été élu le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

7Jacquelin Armand Charles, 3ème duc de Maillé (1815-1874).

8Nisard, Désiré Jean Marie Napoléon (1806-1888), écrivain et homme politique. Collaborateur au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes, il avait été nommé professeur d'éloquence latine (1833) puis d'éloquence française au Collège de France. Adversaire résolu des romantiques, il fut élu à l'Académie française le 28 novembre 1850 en remplacement de l'abbé de Féletz. Élu de la Côte d'Or de 1842 à 1848, il siégea au centre. Sous l'Empire il avait été élu au sénat où il soutint l'empire autoritaire.

9Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.

10Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

11Camille Rousset (1821-1892), auteur d'ouvrages militaires.

12Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, secrétaire perpétuel en 1876.

13Barbier, Auguste Henri (1805-1882), poète et littérateur. Il avait été élu le 29 avril 1869 à l'Académie française au siège d'Adolphe-Joseph Empis en dépit de son hostilité déclarée à l'Empire.

14Patin Henri Joseph Guillaume (1793-1876) homme de lettres, helléniste et latiniste. Professeur, il fut nommé doyen de la Faculté des Lettres en 1833. Collaborateur à plusieurs journaux dont la Revue des Deux Mondes, Le Globe et le Journal des savants. Il était connu tant pour ses traductions du grec et du latin que pour ses Études sur les tragiques grecs, ouvrage qui lui ouvrit les portes de l'Académie française en 1842. Membre de l'Académie française depuis, il avait été nommé secrétaire perpétuel en 1871.

15Sacy, Samuel-Ustazade-Silvestre de (1801-1879), écrivain et homme politique français, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque Mazarine en 1836. Fils du célèbre orientaliste, il fut critique littéraire au Journal des Débats où il rédigea une grande partie des articles politiques jusqu'au coup d’état du 2 décembre se consacrant alors uniquement aux questions littéraires. Élu à l’Académie française en 1854, il entra au Sénat en 1865 bien qu’il ait été élu comme opposant au régime impérial.

16Paul-Gabriel Othenin de Cléron, comte d'Haussonville, (1843-1924), avocat, essayiste, historien de la littérature et homme politique français. Élu à l'Assemblée nationale en 1871 (Seine-et-Marne), il ne sera pas réélu et se consacrera à ses activités d'écrivain. Il entrera à l'Académie française en 1888.

17Sandeau, Jules (1811-1883), romancier et auteur dramatique. Conservateur de la Bibliothèque Mazarine en 1853, puis bibliothécaire du palais de Saint-Cloud, il était l'ami de Georges Sand et un habitué du salon de la princesse Mathilde. Il avait été élu au fauteuil de Charles Brifaut, le 11 février 1858.

18Feuillet, Octave (1821-1890), romancier et auteur dramatique. Il fut le premier élu à l'Académie à titre de romancier, le 20 janvier 1862.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 juillet 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, 1873,mis à jour le : 07/12/2020