CECI n'est pas EXECUTE 22 janvier 1868

Année 1868 |

22 janvier 1868

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

Lyon, le 22 janvier 1868

Très cher confrère et ami,

Ma mauvaise mémoire ne me rappelle pas si je vous ai rendu compte des impressions académiques que j’ai rapportées de mon voyage de Paris au mois de décembre. Elles étaient très favorables à la candidature de M. Autran1. Un nuage couvrait cependant toujours les intentions de M. Guizot ; il avait dit à M. Mignet2 qu’il n’était pas opposé à M. Autran, mais rien de plus ; et cela signifie sans doute qu’il n’acceptera que pour favoriser telle ou telle combinaison. M. de Pongerville3 m’a parlé le premier des droits de notre candidat et je le crois franchement décidé cette fois ; il m’a affirmé les bonnes intentions de M. Patin4, j’ai fait part de tout cela à mon ami Autran ; je le trouve un peu hésitant à se mettre en campagne, par un sentiment de sa dignité que j’approuve tout à fait.

Il est certain qu’après ce qui lui est arrivé, il ne peut plus se présenter qu’une fois et pour être nommé. Un nouvel échec ruinerait à tout jamais ses espérances et serait vraiment blessant pour lui. C’est à nous, je crois de faire réussir sa candidature et il ne peut faire la démarche officielle que lorsque nous serons en mesure de lui garantir le succès, autant qu’il peut être garanti ! Je crois que les difficultés viendraient encore de M. Guizot, et je crains un peu de tiédeur de M. de Broglie. L’initiative de M. Mignet serait peut-être la plus heureuse en cette circonstance. Pensez-vous que le moment soit venu ou je dois personnellement solliciter pour notre candidat ? Vous savez avec quel zèle je m’y emploierai sous votre direction. Autran paraît redouter que je me mette trop en avant. Notre amitié étant si connue, il ne veut pas avoir l’air de solliciter sous mon nom en gardant comme il le fait l’expectative. Il a raison de garder la plus grande réserve, mais il m’est possible, je le crois, de surveiller pour lui sans compromettre en rien sa dignité. Dois-je écrire à M. Mignet? Puis-je entamer la question avec M. Guizot lui-même ? Venant de mon humble part la démarche sera peut-être mieux accueillie. Faut-il que j’écrive aussi à M. Albert de Broglie ? Je crois que le candidat adverse sera Théophile Gautier5, il est très populaire et on lui pardonne le Moniteur et les cantates impérialistes parce qu’on sait qu’ils ne pense pas un mot de ce qu’il chante. Aujourd’hui c’est là un titre à l’admiration et à l’indulgence. Il trouvera de l’indulgence à l’académie, même assez près de nous. Je crois cependant qu’il ne dépassera jamais les onze à douze voix qu’il a obtenues l’année dernière. Notre candidat passera si deux ou trois voix de notre majorité ne s’abstiennent pas d’être là comme jadis. Tout dépendra sans doute de ce qu’on va faire pour le fauteuil de M. Flourens6. Je vois toujours avec peine ces doubles élections, notre majorité n’a qu’à y perdre. Quoiqu’il arrive, je crois que nous devons maintenir Autran à la succession de Ponsard7 dussions-nous faire pour cela quelques concessions sur d’autres candidats.

Je vous soumets mes impressions en vous demandant vos conseils ; vous savez avec quelle confiance dévouée je les accueille et combien je vous en suis reconnaissant.

V de Laprade

1Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il ne sera élu que le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

2Mignet, François-Auguste (1796-1884), journaliste et historien. Il avait collaboré avec Thiers au National (1829-1830). Auteur de divers ouvrages d’histoire dont une Histoire de la Révolution française (1824). Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques où il siégeait depuis 1832, il était entré à l'Académie française en 1837. Conseiller d’État, il était collaborateur de plusieurs journaux.

3Pongerville, Sanson, Jean-Baptiste de (1792-1870), membre de l’Académie française depuis 1830, il s’était fait connaître pour ses traductions de poètes latins.

4Patin Henri Joseph Guillaume (1793-1876) homme de lettres, helléniste et latiniste. Professeur, il fut nommé doyen Journal des savants. Il était connu tant pour ses traductions du grec et du latin que pour ses Études sur les tragiques grecs, ouvrage qui lui ouvrit les portes de l'Académie française en 1842. Membre de l'Académie française depuis, il avait été nommé secrétaire perpétuel en 1871.

5Théophile Gautier (1811-1872), écrivain. Il s’était déjà porté candidat à l’Académie à plusieurs reprises depuis 1856.

6Flourens, Marie-Jean Pierre (1794-1867), physiologiste, il était entré à l’Académie française en 1840. Il était mort le 6 décembre 1867.

7Ponsard, François (1814-1867), auteur de pièces de théâtre, chef de file de la mouvance antiromantique. Proche du pouvoir, il sera élu à l’Académie française avant Falloux, le 23 mars 1855. Il était mort le 7 juillet 1867.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 janvier 1868», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 25/12/2020