CECI n'est pas EXECUTE 9 février 1868

Année 1868 |

9 février 1868

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

Lyon 9 février 1868,

Très cher confrère et ami,

Vos excellents conseils ont porté leurs fruits. Je reçois de tous côtés les meilleures assurances en faveur d’Autran1. M. Guizot s’est formellement engagé, il l’a dit à M. Thiers. Il a chargé Madame Lenormant2 de me le dire à moi-même. Nos affaires marchent si bien que notre excellent confrère M. Mignet3 semble faire dépendre le succès de votre adhésion à vous qui avait été le plus ferme appui de notre cher poète.

Jugez à quel point je suis aujourd’hui rassuré. M. Mignet m’annonce cependant un fait dont nous devons nous préoccuper c’est la candidature tout à fait intempestive de M. de Champagny4 au fauteuil de Ponsard5. Le groupe bonapartiste peut renouveler à son sujet sa manœuvre de l’année dernière, abandonner Théophile Gautier6 qui n’aura aucune voix et se porter sur M. de Champagny avec l’espoir de détacher pour lui quelques uns d’entre nous. J’avoue que pour mon compte je serais très mauvais gré à M. de Champagny de se porter une seconde fois à cette tactique. La candidature d’Autran est beaucoup plus ancienne et mieux indiquée que la sienne pour le fauteuil de Ponsard. M. de Champagny doit comprendre là que si nous nous dé jugeons de l’ancien vote pour un homme en faveur de qui nous nous sommes si fortement prononcé que M. Autran, c’est là un précédent qui pourrait lui devenir très funeste à lui-même. J’espère que Mgr l’évêque d’Orléans7 n’encouragera pas cette faute.

J’ai donc cru pouvoir <mot illisible> pleinement M. Mignet sur les dispositions du groupe catholique. On me dit que M. Cuvillier-Fleury engage Pontmartin à se présenter. Ponmartin ne le fera certainement pas en ce moment, et M. Cuvillier-Fleury suivra M. Guizot. Entre M. Guizot et nous M. de Carné8 ne pourra pas non plus perdre son vote sur un autre candidat qu’Autran. M. Vitet est est entièrement avec nous, j’ai aussi une fort bonne lettre de M. Albert de Broglie. Le succès me paraît donc presque certain si la candidature de M. de Champagny ne nous divise pas. C’est ce qu’il faut empêcher. M. l’évêque d’Orléans se souviendra qu’il a été aussi l’un de nos promoteurs de la candidature d’Autran et que nos engagements avec le candidat sont très antérieurs à la venue de M. de Champagny. Je suis convaincu que M. de Champagny intervenant cette fois ne serait pas nommé et qu’il se nuirait beaucoup pour l’avenir.

Je ne demande pas mieux que M. Prudhomme9. Son article sur la vie de César et les voix sénatoriales qu’il a eues l’année dernière, mais à la condition qu’il n’agisse pas contre nous cette année. Si Autran n’est pas nommé cette fois il ne le sera jamais et c’est là un échec que nous ne pouvons pas nous décider à subir. Maintenant que M. Guizot est conquis, il serait dur d’échouer du fait de nos amis.

J’espère que ma lettre vous trouvera en meilleur santé je le souhaite de tout de cœur de l’ami le plus reconnaissant et le plus dévoué.

V. de Laprade

On parle pour le fauteuil scientifique de M. Claude Bernard, dont les gens compétents disent qu’il est le premier physiologiste de ce siècle et qu’on m’assure être un ferme chrétien.

1Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il ne sera élu que le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.

2Lenormant Marie Joséphine dite Amélie Cyvoct (1804-1890), petite nièce et fille adoptive de Mme Récamier.

3Mignet, François Auguste (1796-1884), journaliste et historien. Il collabora avec Thiers au National (1829-1830). Auteur de divers ouvrages d’histoire dont une Histoire de la Révolution française (1824). Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques à partir de 1837. Très proche de Victor Cousin, il fut choisi avec Barthélémy St Hilaire et le notaire Fremyn comme exécuteur testamentaire.

4Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. Il sera élu le 29 avril 1869 en remplacement de Berryer, décédé le 29 novembre 1868. Bien que royaliste et clérical, il n’était pas réellement hostile à Napoléon III.

5Ponsard, François (1814-1867), auteur de pièces de théâtre, chef de file de la mouvance antiromantique. Proche du pouvoir, il sera élu à l’Académie française avant Falloux, le 23 mars 1855. Il était mort le 7 juillet 1867. Il aura pour successeur Joseph Autran élu le 7 mai 1868.

6Théophile Gautier (1811-1872), écrivain. Il s’était déjà porté candidat à l’Académie à plusieurs reprises depuis 1856.

7Mgr Dupanloup.

8Louis Joseph Marcein Carné, comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation.. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il était entré à l’Académie le 23 avril 1863.

9Prudhomme, René Armand François, dit Sully Prudhomme (1839-1901) poète, il sera le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 février 1868», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 25/12/2020