CECI n'est pas EXECUTE 26 septembre 1871

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26 septembre 1871

Franz de Champagny à Alfred de Falloux

Trois moulins par la Seine-et-Marne 26 septembre 1871

Très cher et honoré confrère me permettez-vous au milieu de tant d’autres préoccupations de venir vous parler de l’académie ? Il ne s’agit pas du concours pour les prix Montyon1; à cet égard je vois trois ouvrages qui peuvent nous intéresser, celui de l’abbé Lamazou2 dont vous m’avez parlé, celui de M. de Beauchesne sur Madame Élisabeth3 et celui de M. Brochard sur l’allaitement maternel4 que me recommande Mgr l’évêque d’Orléans5. Il ne s’agit pas non plus des négociations ni des élections ; vous savez sans doute, quoi qu’en disent les journaux, que la réception de M. Olivier6 est remise indéfiniment et cela sur sa demande. Quant aux élections je ne vois rien surgir et je ne sais pas comment notre Montalembert pourra être dignement remplacé. Mais il s’agit du prix décennal qui doit être décerné en 1871 ou 1872 et que l’on voudrait faire donner à Madame Sand. Il me semble que nous devons nous opposer à ce choix autant que possible ; elle a écrit dernièrement dit-on quelques lettres politiques assez raisonnables, je ne les connaît pas. Cela pour compenser ses torts politiques de 1848. Mais les torts moraux de toute sa vie restent sans compensation. Seulement il faudrait avoir quelqu’un à lui opposer, et je ne vois personne. L’idée m’est venue que l’académie a bien quelquefois couronné des morts, et que l’on pourrait par un telle décision honorer la fin et les écrits, très littéraires par le style, de Mgr Darboy. Qu’en pensez-vous ? et a qui pourrait-on penser à défaut de cette idée ?

Le plus raisonnable selon moi serait de s’adresser à l’autorité compétente (M. Thiers comme successeur de Napoléon III) pour le prier de modifier les conditions du prix. Il s’agit de couronner tous les 10 ans un écrivain éminent. Mais si un livre éminent a paru, il y a 10 ans 8 ans ou même 5, comment l’académie n’aura-t-elle pas admis l’auteur dans son sein ? Et cela finirait par ne plus couronner que ses propres membres. C’est ce qui est arrivé et la première application qui a été faite de la <mot illisible> impériale en 18627 a été de couronner M. Thiers. Et aujourd’hui, ceux d’entre nous qui ne se soucient pas de Madame Sand parlent de couronner M. Guizot. Je ne demande pas mieux. Mais quel effet cela fera-t-il de voir le prix passer d’une tête d’académicien à une autre par les mains de l’Académie ? En soi, ce serait logique, mais pour le public, bien peu admissible. Que pensez-vous de tout cela ?

Pardon de vous parler de ces petites affaires lorsqu’il y en a tant de grandes. Mais ma proximité de Paris me permet d’être assidu (plus ou moins) à l’académie où l’on est bien peu nombreux et où j’aimerais à me sentir appuyé par le sentiment de mes amis absents.

Avez-vous des nouvelles de Mgr d’Orléans un peu récentes ? Donnez m’en, je vous prie, et aussi des vôtres et de celle de Madame de Falloux à qui je vous prie de présenter mes respects. Carné8 est en Bretagne9, revenu des eaux d’Aix. Ici nous allons bien, et j’ai mille actions de grâces à rendre à Dieu qui a miraculeusement protégé tous les miens. Gardez-moi je vous prie votre fidèle souvenir qui vous est bien rendu.

Cte de Champagny

P.S. Je vais publier le petit travail d’apologie qui que annoncé dans le Correspondant. Le moment n’est pas favorable et ce serait cependant bien le moment de prêcher de telles vérités. Je demanderai l’aide de mes amis pour la publicité de ce petit écrit.

 

1Le prix Montyon est un ensemble de prix créés à l'initiative de Jean-Baptiste Auget de Montyon (1733-1820), économiste, et décernés par l'Académie française et par l'Académie des science

2Pierre Lamazou (1828-1883), abbé. Vicaire de Saint-Sulpice, puis de la Madeleine, puis curé de Notre-Dame d'Auteuil. Proche des catholiques libéraux, ce fidèle de Mgr Dupanloup avait été nommé évêque de Limoges en janvier 1881. Il ne sera pas transféré à Bordeaux mais à Amiens.

Sans doute s’agit-il de La place Vendôme et la Roquette. Documents historiques sur la Commune, 1871.

3Beauchesne, Alcide-Hyacinthe du Bois de (1800-1873), écrivain et historien, chef de cabinet au département des beaux-arts de 1825 à 1830, puis chef de section aux Archives nationales. Il avait écrit Vie de Mme Élisabeth, sœur de Louis XVI, Paris, 1869, 2 vols.

4Brochard, André Théodore (1810-1883), sociologue et médecin. Auteur de De l'Allaitement maternel étudié aux points de vue de la mère, de l'enfant et de la société, 1868.

5Mgr Dupanloup.

6Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

7Suite à l’élection d’A. De Broglie à l’Académie française, en 1862, qui venait consolider l’opposition de cette célèbre institution à l’Empire, Napoléon III avait tenté, peu après mais en vain de s’y faire élire en créant un prix de 20.000 fr.

8Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

9Voir lettre du même au même du 18 août 1871.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 septembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 07/01/2021