1872 |
25 décembre 1872
Franz de Champagny à Alfred de Falloux
Paris, ce jour de Noël [1872] 1
Cher confrère,
J’ai tardé à vous répondre parce que, arrivé tout juste à Paris, je voulais m’informer davantage et attendre la séance d’hier à l’Académie. Je savais d’ailleurs que Carné2 vous avait écrit dans le sens où je pensais moi-même vous écrire et où je me sens de plus en plus confirmé dans la pensée de vous écrire. Le succès de M. St René Taillandier3 n’est pas assuré tant s’en faut mais il n’en faut pas non plus désespérer. Il aura les voix indépendantes à l’Académie. Je l’ai vu et il a confiance au succès. Si le voyage n’est donc pas pour vous une trop grande fatigue, nous serons heureux et de vous voir ici et de vous voir venir à notre aide.
Je me félicite bien de vous entendre parler d’une nouvelle édition de Mme Swetchine4. On ne la connaîtra jamais assez et je suis bien impatient de connaître la partie inédite. Avez-vous commis le même ordre pour les lettres, ou les classez-vous chronologiquement ce qui est la méthode la plus généralement adoptée aujourd’hui, parce qu’elle présente un ensemble plus complet, et dispense de bien des renvois et explications.
Je n’ai plus depuis quelque temps de nouvelles de Mgr d’Orléans5. Va-t-il bientôt reprendre sa place au milieu des luttes de Versailles ? J’ai, comme vous le savez peut-être à répondre au discours de M. Littré6, charge qui est tombé sur moi presque à mon insu, pendant la dernière maladie de mon frère et que mes amis ici m’ont conseillé de ne pas refuser. J’ai du reste du temps pour y penser. Le récipiendaire annonce, me dit-on qu’il ne sera prêt qu’à la fin de février et désire que la réception n’ait pas lieu avant la fin de mai. D’ici là M. le duc d’Aumale et M. de Loménie auront été reçus7.
Présentez, je vous prie, à Madame de Falloux mes respectueux compliments et croyez moi tout à vous de cœur.
Champagny.
1C’est le 5 juin 1873 que F. de Champagny prononcera sa réponse au discours de réception de Littré dont il est question ici.
2Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.
3Taillandier, René Gaspard Ernest Taillandier, dit Saint-René Taillandier (1817-1879 ), historien, homme de lettres et homme politique. Il fait ses études supérieures à Heidelberg et devient professeur à Strasbourg, puis à Montpellier et à Paris, où il fut titulaire de la chaire d'éloquence française de la Sorbonne en 1868. En janvier 1870, il est nommé ponse secrétaire général du ministère de l'Instruction publique, puis ministre de l'Instruction publique par délégation à Bordeaux. Devenu conseiller d’État, il fut élu membre de l'Académie française en 1873. Ses ouvrages d'histoire littéraire sont pour la plupart composés d'articles parus initialement dans la Revue des Deux Mondes. Après un échec à l'Académie où il fut battu par Émile Littré, il y fut élu le 16 janvier 1873 en remplacement du Père Joseph Gratry, et reçu le 22 janvier 1874 par Désiré Nisard.
4Falloux venait de publier Lettres de Madame Swetchine, 1872 Paris, Didier, 3 vols.
6Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amené Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.
Champagny prononcera sa réponse au discours de réception de Littré le 5 juin 1873.
7Le duc d’Aumale sera effectivement reçu le 3 avril 1873 par Cuvillier-Fleury.
Loménie, Louis de (1815-1878), essayiste. Professeur de littérature française au Collège de France et à l’École Polytechnique, il est l'auteur d'une importante Galerie des Contemporains illustres par un Homme de rien, en 10 volumes (1840-1847). Il avait été élu à l'Académie le 30 décembre 1871 en remplacement de P. Mérimée.
Il ne sera reçu que le 8 janvier 1874 par Jules Sandeau.
