CECI n'est pas EXECUTE 11 janvier 1861

Année 1861 |

11 janvier 1861

Gustave de Beaumont à Marie de Falloux

11 janvier 1861, Beaumont la Charte, prés la Chartre sur Loir (Sarthe)

Madame,

Le grand malheur de famille dont nous avons été frappés, et dont nous avons eu la tristesse de vous faire part, vous a déjà expliqué pourquoi je n’ai pas encore répondu à la lettre que vous avez bien voulu m’adresser au nom de Monsieur de Falloux, et dans laquelle, en me transmettant son impression toute bienveillante vous m’avez doublé le prix, par l’expression indulgente que vous y avez jointe de votre propre suffrage, nul témoignage ne pouvait me faire plus de plaisir et aucun ne m’ait plus nécessaire. J’avoue que je n’étais pas en doute sur le succès de tout ce qui est d’Alexis de Tocqueville. Mais dans les limites d’ailleurs très restreintes de ma participation au livre publié, c’était pour moi un sujet réel d’inquiétude et de troubles que la crainte d’avoir parlé, non seulement de Tocqueville, mais encore de ses amis, dans des termes qui, faute de rendre bien ma pensée, ne leur fussent pas complètement agréables. Je sentais que j’éprouverai surtout de grands regrets si je faisais naître une pareille impression chez Monsieur de Falloux à l’occasion de Madame Swetchine, de cette personne pour laquelle Tocqueville éprouve toujours comme lui une si profond et si constante admiration. Votre lettre, Madame, m’a donc tout à la fois rassuré et charmé. Soyez assez bonne pour remercier de ma part Monsieur de Falloux et pour accepter pour vous-même, madame, et pour vos gracieuses paroles une partie de la reconnaissance que je lui adresse.

Voudrez-vous bien lui dire aussi que j’ai communiqué à Madame de Tocqueville1 l’expression des sentiments que vous me chargiez de lui transmettre et dont je suis sûr qu’elle aura été très touchée ? Une seule chose m’a attristé en recevant votre lettre, Madame : ça a été la triste cause à laquelle j’ai dû de la recevoir, c’est-à-dire l’état des yeux de M. de Falloux. Cette infirmité passagère n’est pas seulement une cause d’affliction véritable pour ses amis. C’est un malheur public. Plus il prouve par son activité morale qui est toujours la même et par son talent qui n’a jamais été plus grand, à quel point son esprit et son caractère sont supérieurs à toutes les misères physiques, plus on se sent attristé de voir une si précieuse vie troublée par de tels accidents. On se flattait à Beaumont qu’il était plus content de sa santé et il est bien vrai qu’on avait rattaché à cette espérance à celle de le voir en Touraine. C’eut été pour moi et pour ma femme une bonne fortune dont nous n’aurions certainement pas manqué de revendiquer notre part. La nature de l’obstacle qui nous a privés de cette bonne chance ajoute encore à nos regrets.

Voudrez-vous bien, madame, avoir la bonté de les dire à Monsieur de Falloux, l’assurer de notre plus vive sympathie pour ses maux, lui exprimer les vœux sincères que nous ferons pour sa guérison, et vous-même, madame, recevoir avec l’assurance de ma gratitude les hommages et plus respectueux de votes très humble et très obéissant serviteur.

G Beaumont

1Marie de Tocqueville, née Mottley (1799-1864), d’origine anglaise, veuve d’Alexis de Tocqueville.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 janvier 1861», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1861,mis à jour le : 26/02/2021