CECI n'est pas EXECUTE 12 août 1856

Année 1856 |

12 août 1856

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, le 12 août 1856

Cher ami,

Je vois avec grande joie par votre lettre de ce matin que ma lettre d’hier vous sera trouvée dans une disposition favorable au silence provisoire. L’article de Veuillot qui annonce le procès, et le procès lui-même, nous prouve que toutes les dispositions militaires sont beaucoup plus suivies que nous le voyons du dehors. Quelque soit son amour personnel pour la force et la police il ne peut y recourir qu’in extremis. Si le ministère public plaide pour lui, quelle révélation ! Si la brochure est absente quelle sanction et quelle publicité ! Pourvu que l’archevêque de Paris1 ne perde pas ce qui lui reste de tête, et n’accepte pas la grossière amorce offerte à Monsieur Dautu. En tout cas regardons et attendons. Cela me semble de plus en plus le rôle du Correspondant.

Le 10 septembre me semble un peu tardif, mais il y a tant de bonté à vous, cher ami, à m’accorder ce rayonnage et j’en jouis tellement d’avance que je ne veux rien marchander pourvu que vous n’admettiez aucun délit, puisque si, quelques pages sont jugées nécessaires à cette époque, nous n’aurons plus que le temps strict de les écrire et de les envoyer à Paris. Je persiste à croire la présence de Cochin tout à fait souhaitable. Je suis prêt à écrire à Lenormant ou à tout autre, récrivez moi un simple oui ou non dessus. Nous aurons toujours la liberté de nous réunir en petit comité dans votre chambre ou celle d’Albert de Broglie. Mettez-moi aux genoux de Madame de Montalembert2 pour lui demander avec toute l’assistance imaginable, avec l’accent le plus ému du fond du cœur, de vous accorder en ma faveur le congé le plus large possible. Qu’elle veuille bien se rappeler qu’elle m’a enfin reconnu cet été les caractères d’un vrai ami ! Qu’elle veuille bien se rendre compte maintenant que quelques jours de votre chère présence, dans mon cher pays, a été un de mes vœux les plus passionnés, et sera une de mes joies les plus exquises. Me la laisser à peine goûter et savourer serait une barbarie ! Je parle là comme si j’étais sûr que vous fussiez vous-même mon complice. N’allez donc pas commencer par me trahir et plaidez sincèrement une cause que vous reconnaîtrez pour celle de la vérité la plus vraie.

Quant au mode de voyage, voici les détails techniques. Segré est à 9 lieues d’Angers, le Bourg d’Iré à une lieue et demie au-delà de Segré : total 10 lieus et demi. Angers a deux diligences sur Segré. Une qui part le matin à cinq heures, après avoir reçu les voyageurs arrivés par le chemin de fer dans la nuit comme vous semblez disposé à le faire. Une autre diligence part à trois heures de l’après-midi. Si comme je suppose que vous avez peu le goût de la diligence, il y a un loueur de voitures dont tous les cochers savent le chemin du Bourg d’Iré. Écrivez-lui un mot ou chargez moi de lui écrire lorsque votre plan sera définitif : à M. Georges, loueur de voitures, place St Martin, Angers, et vous trouverez à la gare du chemin de fer à l’heure où vous lui aurez indiqué, une calèche qui recevra également vous et vos bagages et pourra très aisément vous amener à l’heure de déjeuner. Si au contraire vous voulez prendre un repas ou un coucher à Angers, la meilleure auberge s’appelle le Cheval Blanc. Il va sans dire que ma voiture vous attendra à Segré si vous ne prenez pas la voie de Georges. Je voudrais bien aller vous chercher moi-même à Angers, mais je crains la fatigue au début même de votre séjour. Je veux me ménager pour ces moments là comme une femme grosse [sic]. Je me réserve seulement de vous reconduire parce qu’après votre départ je me considérerai comme accouché et n’aurai que trop le loisir de me reposer et de me soigner. Angers a quelques moments qui vaudront votre visite et que je tiendrai à vous montrer lorsque ce ne sera plus que vous retenir sur la route de Paris, au lieu de vous retenir sur la route de Paris, au lieu de voius arrêter sur celle du Bourg d’Iré.

Je dois vous dire pour Cousin qu’il m’a répété plusieurs fois « Je ne me plains nullement du jugement de M. Laforêt3. Quoiqu’il soit injuste mais je suis très affligé que le Correspondant fournisse des armes contre moi au moment où je suis en cause à Rome. Montalembert qui connaît ce délai mieux que personne aurait dû y pourvoir etc etc. » Cela m’étant dit au moment où je quittais Paris je me suis contenté de lui répondre que l’article avait été inséré sur le nom de son auteur sans être censuré par aucun de nous. Mais l’argument, au point de vue de l’Index ne m’en avait pas moins paru fondé. J’en avais parlé à l’évêque d’Orléans4 et il m’avait dit en faire son affaire près de vous. Croyez vous avoir encore le temps de presser Albert de Broglie ? Voilà que Rome accorde un répit à Cousin. Ce détail peut donc encore reprendre de l’importance.

Au revoir au revoir, cher ami.

A. de F.

1Mgr Morlot, François-Nicolas-Madeleine (1795-1862), prélat. Ordonné prêtre en 1820, vicaire général en 1830 et chanoine du chapitre de la cathédrale de Dijon en 1833, il fut nommé évêque d'Orléans en 1839 puis archevêque de Tours en 1842. Il sera créé cardinal-prêtre en 1853 avec le titre de Saint-Nérée et Achille, puis, après l'assassinat de Mgr Sibour, le 3 janvier 1857, il deviendra archevêque de Paris.

2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

3Laforêt, Nicholas-Joseph (823-1872), philosophe catholique et théologien belge.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 août 1856», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1856,mis à jour le : 22/03/2021