CECI n'est pas EXECUTE 16 mars 1859

Année 1859 |

16 mars 1859

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

16 mars 1859

Cher ami,

Le père Gagarin1 vient à peine de nous quitter et M. de Carné2 l’a immédiatement remplacé. Croyez donc bien que c’est l’impossibilité physique absolue qui m’a empêché de vous obéir, comme j’en ai l’habitude et la volonté aussitôt que jamais la force. Du reste mes deux hôtes m’ont beaucoup répété que mon article ayant été pris comme un petit manifeste collectif, on n’y attendait pas de suite, et l’on se rendait compte dans le public des difficultés particulières qui entravaient le Correspondant, tant par sa publication uniquement mensuelle que par la situation ultra précaire que lui faisait sous un tel régime sa récente et glorieuse bataille. Quoiqu’il en soit, cher ami, soyez sur aussitôt rentré à Paris, c’est-à-dire au commencement d’avril je flairerai en grande hâte la situation et reprendrai de tout mon cœur la lutte, si elle est possible. Dans cette vue, je garderais soigneusement votre Galignan avant que vous n’en ayez besoin d’urgence. J’ai écrit à Vitet et à Laprade3 pour leur présenter mes excuses de mon absence à la séance de demain. Je parle à Vitet de l’importance du travail de Madame Swetchine qui me retient ici encore pour quelques semaines et je médite, pour faire une coquetterie à l’académie, de demander un jour à Villemain4 de lui lire en mon nom (mes yeux me rendant plus incapable que jamais) un certain nombre des lettres inédites de la duchesse de Duras5. Faites-moi dire un jour ou l’autre ce que vous en pensez.

Arthur de Cumont m’écrivait dernièrement que la presque unanimité des journaux de province avait reproduit intégralement l’article du Correspondant6 et il me demande compte du silence absolu de M. Michel dans le Journal de Besançon. Ce silence a-t-il une cause dont je doive m’inquiéter, et dont l’explication puisse être utile à quelque chose ou à quelqu’un ? Je prendrai votre silence pour l’indication qu’il n’y a rien de grave. Je n’ai pas encore eu le temps d’extraire de Carné tout ce qu’il apporte de grosses et de petites nouvelles, mais je vois déjà que tout l’ensemble est fort au tragique.

Mille et Mille tendresses bien à la hâte, mais du fond du cœur.

Alfred

1Gagarin, Jean-Xavier, prince (1814-1882), diplomate et écrivain d’origine russe. A 21 ans, il fut attaché d’ambassade à Munich puis à Paris. Converti au catholicisme en 1842 dans la chapelle de Mme Swetchine, sa tante par alliance, il entra, en 1843, dans la Compagnie de Jésus sur les conseils de son ami le P. de Ravignan. Il enseigna la philosophie et l’histoire religieuse en Belgique (1849-1851), puis à Laval (1853-1854). Il écrivit plusieurs ouvrages sur les rapports de la Russie et l’Eglise romaine dont La Russie sera-t-elle catholique ?

2Louis Joseph Marcein Carné, comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation.. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il était entré à l’Académie le 23 avril 1863.

3Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.

4Villemain, Abel-François (1790-1870), critique littéraire, historien et homme politique français. Nommé professeur de littérature française à la Sorbonne en 1816, il fut élu cinq ans plus tard à l’Académie française. Il fut ministre de l’Instruction publique dans le ministère Soult (mai 1839-février 1840) et dans le ministère Soult-Guizot (octobre 1840-décembre 1844). Contraint, pour des raisons de santé de quitter la scène politique, il rentra dans la vie privée et rédigea plusieurs ouvrages sur l’histoire et la littérature.

5Claire Louis Rose Bonne de Coëtnempren de Kersaint, duchesse de Duras (1778-1826). Émigrée aux États-Unis, elle rentra en France sous le Consulat où elle entretint d’étroites relations épistolaires avec Mme Roland et Mme de Staël. Elle se fixa à Paris après le mariage de sa fille aînée devenue la duchesse de Rauzan. Elle écrivit des romans dont Ourika (1824) et Édouard (1825), puis Pensées de Louis XIV et Réflexions personnelles (1829).

6Reproduit dans Le Correspondant du 25 février 1859, cet article de Falloux critiquait violemment la politique impériale vis-à-vis de Rome.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 mars 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1859,mis à jour le : 23/03/2021