CECI n'est pas EXECUTE 22 octobre 1865

Année 1865 |

22 octobre 1865

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 22 octobre 1865

Cher ami,

Ne sachant absolument où vous attendre, j'adresse ce petit mot sous le couvert de Madame de Montalembert1, afin que vous ayez du moins une première information de ce qui s'est passé à Nantes. Je ne veux pas parler de la cathédrale dont tous les journaux ont retenti ; je puis seulement vous attester que l'ensemble était très imposant et l'émotion très profonde. Immédiatement après on s'est réuni à l'évêché pour nommer un comité qui s'occupa sans perdre de temps du monument à Lamoricière2. La seule difficulté était de satisfaire à la fois l'Ouest et Paris. Après une délibération un peu longue mais toujours très cordiale, les noms suivants ont été proclamés à l'unanimité : Gustave de Beaumont, Benoîst d'Azy, Carné3, Changarnier, Cochin, Corcelles, Cumont, Daru4, Dufaure, Falloux, Keller, Kerdrel, Le Flô5, Lanjuinais6, de la Rochette7 (directeur de l'Espérance du peuple à Nantes) Lemercier8, Montalembert, Quatrebarbes9.

Tout le monde avait fort envie de nommer M. Thiers et General Trochu10. On s'en est abstenu à regret on ne peut pas compromettre davantage l’un avec ses électeurs, l'autre avec le bâton de maréchal, et, pour que M. Thiers ne put se trouver blessé, j'ai demandé qu'on écarta également M. Berryer qui m'y avait autorisé. En même temps, j'ai écrit à Corcelles, afin qu'il vit lui-même M. Thiers et nous avertit dans le cas où notre aménagement ne lui conviendrait pas. Il me semblerait très aisé alors de réparer notre tort. Il s'est agi ensuite de donner un premier élément de vie à ce comité dont sept membres seulement étaient présents et à cet effet on m'a nommé délégué. J'ai aussitôt écrit aux 11 membres absents pour leur rendre compte de ce qui s'était fait et leur demander leur adhésion. J'ai prié en même temps les journaux sympathiques d'ouvrir la souscription sans vous attendre, afin de ne pas laisser refroidir les paroles de l'évêque d'Orléans11. Les journaux de l'Ouest ont déjà publié une première liste je vais écrire directement à Riancey, si l’Union de ce matin n’ouvre pas le feu pour Paris. J'aurais volontiers proposé Riancey comme membre du comité, mais cela impliquait un rédacteur de la Gazette de France et du Monde, ce qui était à peu près impossible.

Votre beau-frère est revenu de Nantes ici avec nous et nous a tous charmés durant trois jours beaucoup trop courts. Il avait pris part à la réunion de l'évêché, il s'est chargé d'aller voir tout de suite à Paris les membres du comité qui pourraient se trouver présent pour les exciter à une très propre constitution. Corcelles m'a répondu aussi avec beaucoup d'entrain. Il me semble que l'occasion toute naturelle de cette première institution et de la nomination du bureau serait votre passage à Paris pour le 6 novembre. Voyez donc si vous ne pourriez pas écrire d'avance à cet égard et commencer à donner une impulsion qui ne viendra certainement pas de M. Dufaure et peut-être même pas du général Changarnier dont tout le monde a bien remarqué et déploré l'absence à Nantes. Il a été aussi très expressément convenu dans la réunion qu'on vous prierait d'organiser des comités analogues en pays étranger. Ne pourriez-vous pas commencer déjà en Espagne, si ce billet vous y parvient. Les noms des membres du comité ne doivent être publiés dans les journaux qu'après l'acceptation entre les mains de chacun d'eux. Il n'y a que vous dont je me permettrai de ne pas attendre la réponse si elle est la seule à me manquer.

Je me borne à ce sommaire compte rendu, cher ami, préoccupé que je suis de me décharger de ma petite responsabilité provisoire et de vous la passer toute entière en ce qui peut dépendre de moi. Je ne vous dis rien des événements ministériels de Rome qui m'ont paru surprendre bien peu votre beau-frère. Je ne vous dis rien non plus de mon vrai chagrin en voyant s'évanouir encore une fois l’espérance du Bourg d’Iré.

Consolez-moi du moins en me disant bien vite que votre santé n'a subi aucune mauvaise influence et que vous nous revenez deux gros volumes à la main !!

Falloux

1Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, son épouse depuis 1836.

2Il s'agit du comité de souscription pour l’érection d’un monument à la gloire du général Lamoricière, décédé le 10 septembre 1865.

3Louis Joseph Marcein Carné, comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation.. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il était entré à l’Académie le 23 avril 1863.

4Daru, Napoléon, comte (1807-1890), fils de l’un des dignitaires de Napoléon Ier, polytechnicien et officier d’artillerie. Entré à la Chambre des Pairs en 1832 où il prit part activement aux débats (en particulier dans la question des chemins de fer) ; député de la Manche en 1848 et 1849 ; adversaire intransigeant de Louis-Napoléon, il fut arrêté en 1851 et se retira de la vie publique jusqu’en 1869, date de sa réélection comme député de l’opposition libérale (département de la Manche). Devenu l’un des chefs du centre gauche, il représenta cette tendance dans le ministère Ollivier du 2 janvier 1870. Après l’inauguration de l’Empire libéral, il fut nommé ministre des Affaires Étrangères le 2 janvier 1870, mais démissionne le 11 avril 1870. Élu à l’Assemblée nationale puis au Sénat ; devenu monarchiste il fut un ferme partisan de l’Ordre moral. Non réélu en 1879, il se retira de la vie politique.

5Le Flô, Adolphe Charles Emmanuel (1804-1887), général français. Entré à Saint Cyr en 1823, il s’illustra en Afrique du Nord. Promu général en juin 1848, il fut élu député du Finistère à la Constituante où il siégea à droite. Réélu en mai 1849, il combattit Louis-Napoléon. Prévoyant le coup d’État, il soutint comme questeur la proposition Baze de donner au président de l’Assemblée le pouvoir de faire appel directement à la force armée. Arrêté le 2 décembre, il fut incarcéré à Vincennes puis à Ham. Expulsé par décret le 9 janvier 1852, il vécut en Belgique puis en Angleterre. Autorisé à rentrer en 1857, il se retira dans son château, près de Morlaix. Il offrit ses services au moment de la guerre contre l’Allemagne mais il ne fut pas réintégré. Après le 4 septembre 1870, il fut appelé par le gouvernement de la Défense nationale au ministère de la Guerre. Élu à nouveau député du Finistère en 1871, il fut nommé ambassadeur à Saint-Petersbourg. En 1875, il refusa un siège de sénateur inamovible.

6Lanjuinais, Victor-Ambroise, vicomte (1802-1869), homme politique. Second fils du célèbre conventionnel, il débuta sa carrière comme avocat puis entra dans la magistrature en 1830. Destitué en 1831 en raison de ses opinions libérales, il combattit le socialisme et se fit le porte-parole du Laisser-faire. Député de 1837 à 1848 (collège de Nantes extra-muros) puis député de la Loire Inférieure sous la Seconde République. En 1844, il acheta, avec son ami Tocqueville et de Corcelle, le journal Le Courrier où il traitait les questions économiques et maritimes. Ministre de l'Agriculture dans le second cabinet Barrot du 2 juin au 31 octobre 1849, puis ministre de l’Instruction Publique par intérim (remplacement de Falloux). Il protesta contre le coup d'État et fut détenu quelque temps à Vincennes. Il défendit le pouvoir temporel du pape. Il fut élu député du tiers parti en 1863 pour la Loire Inférieure.

7La Rochette, Emerand Poictevin de (1803-1880), propriétaire du journal légitimiste L'espérance du Peuple, à Nantes. Il deviendra très hostile aux catholiques libéraux et aux légitimistes tels que Berryer et Falloux. Indéfectible fidèle du comte de Chambord, il combat toute idée de libéralisme.

8Lemercier, Anatole Louis (1820-1897), homme politique. Libéral et catholique, il fut député de Charente-Inférieure de 1852 à 1857 et de 1857 à 1863 et de 1889 à 1897.

9Quatrebarbes, Théodore de, comte (1803-1871); légitimiste angevin, maire de Chanzeaux de 1845 à 1852, conseiller général du canton de Saint Florent-le-Vieil de 1845 à 1852. Élu en 1846 au collège de Cholet contre Poudret de Sevret, il fut réélu à l'Assemblée constituante de 1848. Il jouera un grand rôle à la tête des zouaves pontificaux. Auteur des Œuvres complètes du roi René, Paris, Cosnier et Lachèse, 1844.

10Trochu, Louis Jules (1815-1896), officier, il sert en Algérie, en Crimée, en Italie et devient général en 1866. Son livre L’Armée française en 1867 , où il dénonce la désorganisation de l’armée impériale, lui vaut sa disgrâce, mais une indéniable popularité qui amène Napoléon III à le fait nommer gouverneur de Paris le 17 août 1870. Le 4 septembre, il devient président du gouvernement de la Défense nationale. En butte au peuple parisien qui lui reproche son inconsistance, il se maintient néanmoins à son poste. La désastreuse sortie de Buzenval (19 janvier 1871) fait apparaître son incapacité. Il donne sa démission le 22 janvier 1871 tout en préconisant la capitulation. Élu député le 8 février 1871, il quittera un an plus tard la scène politique.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 octobre 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 13/04/2021