Année 1860 |
24 juin 1860
Alfred de Falloux à Charles de Montalembert
Le prince Galitzin été expressément chargé de vous dire, très cher, comment j'avais été en proie à un dernier assaut de névralgie, forcé d'ajourner mon départ et obligé de renoncer à tout adieu pour ne pas le compromettre encore. Mon regret ne s'adressait à personne si vivement qu’à vous, et j'étais bien préoccupé qu’il vous fut porté avec son explication. J'y reviens encore maintenant que me voici établi à Saint-Gervais1, avec le bénéfice des premières impressions extrêmement favorables. C'est un des beaux sites des Alpes qui en a tant ; une <mot illisible> d'hôpital <mot illisible> de château, dans lequel je m'arrange pour que l'hôpital domine ; le bruit y est quasi absent, et soit l'effet d'un voyage de très petite journée ; soit le résultat des premiers bains, me voici à 15 jours de l'évêque d'Orléans2, et je désire bien ardemment le voir une édition populaire. On pourrait, je crois, l'abréger sans inconvénient d'une centaine de pages prélevées sur quatre ou cinq chapitres, et je ne serai pas moins heureux de le voir circuler entre les mains du clergé que parmi les adversaires du Saint-Siège. C'est un diapason élevé, soutenu ; des vues larges sur des points où l’on a d'habitude que des solutions fort étroites ; sans revenir sur les vieilles controverses et sans prononcer des paroles de querelle, il résume cependant tout ce qui nous a divisés et se prononce dans notre propre sens beaucoup plus assurément que lui-même ne l'aurait fait il y a quelques années. Je ne sais si le Correspondant en reparlera ; j’opinerai fort pour cet avis. Il importerait ce me semble, cher ami, de faire ressortir, plus que ne le pourrait Cochin, qui n'était point encore en possession du volume et qui lui-même sans doute ne demanderait pas mieux que d'y revenir, combien ce beau moment des questions présentes mérite de vaincre la lassitude publique sur le même sujet.
Vous comprendrez, cher ami, que je ne vous dise rien de la Savoie. Je ne l'ai conquise que depuis cinq jours . J'ai beaucoup plus cherché les arbres que les interlocuteurs. J'ai vu cependant un curé et un habit, l'un d'eux arrivait d'Évian où il avait rencontré le grand Rupert3 (de l’Univers et du Monde) et lui avait naïvement exprimé son admiration pour l'évêque d'Orléans. Oui lui a répondu importunément le grand Rupert l'évêque d'Orléans ne s'est pas mal montré dans ces derniers temps mais ce n'en est pas moins l'homme que l'on redoute le plus à Rome et l'on a bien raison.Voilà, cher ami, comment la Savoie est endoctrinée pour le moment. Je suppose que M. Lacty en aura croisé plusieurs comme cela sur sa route, et j'attends le commissionnaire destiné à Saint-Gervais. Il n'a point encore paru. Je voudrais bien que ce fut le grand Coquille4 !
Pour vous, cher ami, je vous suppose et je vous souhaite dans le feu de la correction des épreuves et tout près à nous livrer enfin ce trésor dont vous avez été si longtemps <mot illisible>. Ne me répondez donc pas vous-même, faites-moi dire seulement deux mots sur votre santé et sur vos projets. J'accepterai bien Mademoiselle Madeleine pour votre secrétaire, surtout si elle a été à l'exposition et si elle s'est fait montrer ma ravissante petite génisse blanche nommée Violette et qui obtenu le premier prix autant par sa modestie et sa bonne éducation que par ses qualités de race. J'espère que vous avez de bonnes nouvelles de Madame de Meaux. Je vais en demander à son mari. Mettez-moi aux pieds de Madame de Montalembert5.
À vous, très cher ami, de tout cœur.
Alfred
1Saint-Gervais les Bains, en Haute-Savoie.
3Rupert, Jean-Louis (1805- ?), journaliste rédacteur de L’Univers puis du Monde.
4Coquille Jean-Baptiste-Victor (1820-1891). Entré à L'Univers en 1845, il se vit confier la rédaction du Monde qui succédait à L'Univers frappé d'interdiction le 29 janvier 1860.
5Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.
