CECI n'est pas EXECUTE 24 septembre 1865

Année 1865 |

24 septembre 1865

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

24 septembre 1865

Très cher ami,

Je n'ai pas osé nommer ma maladie au public parce qu'elle portait un nom moins reçu que celui de névralgie, mais j'espère que cette petite révolte d'entrailles, qui régnait épidémiquement à cette heure-là autour de moi, n'aura pas de suite prolongée. Quant à mes souffrances habituelles, elles ne sont ni diminuées ni aggravées. Vous savez que ma chambre au Bourg d’Iré est disposée pour une complète indépendance qui laisse aussi aux autres la liberté de ne pas s'occuper de moi. Ne faites donc entrer ma santé dans aucun de vos calculs et n'envisagez jamais de notre côté qu'une immense joie à vous recevoir tous ; je dis tous sans exception parce que c'est la plus exacte vérité de cœur et j'ajoute que c'est aussi notre intérêt de malade, car il faut bien ranger aussi ma femme dans la catégorie des très malingres. Lorsque nous avons ici une personne seule, nous en sommes beaucoup plus préoccupés que lorsqu'il y en a deux ou trois qui se conviennent et qui s'amusent les unes par les autres durant nos éclipses. Si donc Madame de Montalembert1 peut transporter toutes ces affections et toutes ses habitudes au Bourg d’Iré, si nous pouvons nous reposer sur cela et sur Mademoiselle Leduc, nous n’aurons du moins, en cas de quelque éclipse partielle, que le chagrin de notre privation ; mais nous serons sûrs que vos promenades ne seront pas solitaires, que les études de l'adorable Mademoiselle Thérèse2 ne seront point à la charge de Mademoiselle Catherine3 ou de leur mère, alors nous nous soignerons paisiblement avec la charmante pensée que vous nous recevrez bien quand nous rentrerons dans le salon. Certainement on ne peut agir ainsi qu'avec de très vrais amis, mais ce sera une grande douceur de nous assurer que nous pouvons le faire avec vous quatre.

Quant au congrès du Correspondant je lui applique la même règle. Je ne m'aviserai certainement d'appeler aucun de ses membres tout seul et pour moi tout seul, mais c'est Cochin qui en a pris l'initiative. Albert de Broglie à témoigné tout de suite une parfaite bonne grâce ; vous avez paru y consentir aussi volontiers, cher ami. Dès lors je n'ai plus eu ni scrupule ni inquiétude, car au fond ce sera beaucoup plus vous que moi qui ferez les honneurs du Bourg d’Iré et je m'accorderai tout à fait la jouissance de me croire à la Roche en Breny4 transportée en Anjou. En résumé, laissons mon insupportable santé hors de question ; réglez tout sur vos propres convenances ; avertissez-moi, dès que vous aurez réglé afin que j'écrive une instance directe à chacun de nos amis, particulièrement à M. Foisset et à l'évêque d'Orléans5.

Il faut aussi que je vous parle du service du général de Lamoriciere comme j'en ai déjà écrit à M. de Meaux il y a trois ou quatre jours, ne sachant plus du tout où vous étiez. Il me vient des sources les plus sûrs que Madame de Lamoriciere6 attache du prix à un service solennel qui serait célébré au Chillon7 dans le courant d'octobre. Je ne doute pas qu'elle ne souhaite très particulièrement votre présence à tous, à titre de parents autant que d'amis. J'ai donc écrit à M. de Meaux pour qu'il rappela à vous et à Werner de Mérode8, dont j'ignore l'adresse, que le Bourg d’Iré est assez voisin du Chillon pour qu'avec une combinaison de voitures de louage très aisé à organiser vous le preniez pour centre de réunion, et que nous nous rendions tous ensemble à cette démonstration à la fois si douloureuse et si consolante. Dans ce cas quelques-uns des hommes seraient mal logés, mais Madame de Mérode et Madame de Meaux9 auraient comme Madame de Montalembert et vos filles un logement suffisant et l'essentiel pour nous serait d'avoir pu contribuer à rendre possible cet hommage unanime. Dites-moi si vous en croyez la réalisation possible en ce qui vous concerne et si je puis écrire votre beau-frère sans lui paraître très indiscret.

Voilà toute ma place prise par ces détails d'auberge et le courrier va partir. Je ne veux pas qu'il le fasse sans ma réponse bien empressée et bien instante, cher ami. J'ai oublié de mentionner Madame de Caradeuc10 qui, grâce à Dieu, est toujours fort alerte et très digne à tous les titres de vous tenir tête. N’ajoutez donc pas volontairement à mon sort plus de sévérités que le bon Dieu n’en a mises et répétez vous sous toutes les formes que votre amitié est l'une des actions de grâce que je ne cesse de lui offrir. Je n'ai pas besoin de vous dire avec quelle avidité j'attends le Correspondant.

Alfred

P.S. Voici un mot de l'évêque d'Orléans annonçant que le service aura lieu dans la cathédrale de Nantes et qu'il prononcera l'oraison funèbre !!!

1Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, son épouse depuis 1836.

2Thérèse de Montalembert (1857-1924), fille cadette de Montalembert.

3Catherine de Montalembert (1841-1926), devenue religieuse du Sacré-Coeur.

4Domaine de Charles de Montalembert dans le Doubs.

5Mgr Dupanloup.

6Marie Amélie, née d'Auberville (1827-1905), veuve avec le général Juchault de Lamoricière en 1847.

7Château appartenant aux Lamoricière, situé au Louroux-Béconnais, commune angevine proche du Bourg d'Iré.

8Mérode Werner Charles de (1816-1905), homme politique. Beau-frère de Montalembert, d’origine belge, naturalisé français. Élu député du Doubs en 1846, représentant du Nord à l’Assemblée législative en 1849. Réélu député du Nord au Corps législatif en 1852, il donna sa démission en 1863.

9Élisabeth de Meaux, (1837-1913), fille aînée de Charles de Montalembert et de Marie-Anne de Mérode (1818-1904), elle avait épousé, en 1858, Camille de Meaux.

10Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), belle-mère de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 septembre 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 14/04/2021