CECI n'est pas EXECUTE 1er Octobre 1866

Année 1866 |

1er Octobre 1866

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 1er octobre 1866

Très cher ami,

Je voulais joindre mon humble hommage à celui de l'Espagne et profiter de cette occasion pour fêter votre convalescence dont tous mes bulletins me confirment le solide progrès. Mais je n'en suis pas moi-même à faire tout le jour ce que je, et ma santé, quoique certainement meilleure, m'a précisément mis au lit depuis que la Gazette1 m'a appris l'acte de bon goût des académiciens espagnols. Dieu veuille qu'ils portent bonheur à leur pays et le fassent échapper au trames de Biarritz !

J'attendais aussi pour vous écrire la possibilité de vous annoncer enfin le petit volume d'extraits de Madame Swetchine que vous me demandiez depuis longtemps2. Me voici en mesure de vous satisfaire : M. Mame3 a le manuscrit depuis plusieurs jours, et, si l’inondation de la Touraine n'y met obstacle, je vais recevoir au premier moment la première épreuve d'un petit in dix-huit de 300 pages, d'une impression très élégante, qui se vendra 1 franc pour le public et 15 sols pour les libraires. Le premier exemplaire vous sera envoyé gratis comme un remerciement particulier pour cette fidélité que, plus qu'aucun autre de ses amis, vous avez gardée à une si sainte et si douce mémoire.

Pendant que nous en sommes à nos chers morts, compagnie qui vaut bien désormais celle des vivants, puis-je vous demander ce que devient le concours pour le monument Lamoricière ? Je n'en n'entends plus souffler mot à qui que ce soit, je suis assez souvent embarrassé par la question d'une foule de souscripteurs. Je suppose Vitet4 à Paris, puisqu'on vient de le nommer directeur. Il avait promis à cette œuvre ses lumières et son dévouement. N'est-ce pas le cas de lui adresser un appel, ou bien est-ce moi qui suis seulement coupable d'ignorance ?

Dites bien encore Madame de Montalembert5 toute ma reconnaissance Pour les moments qu'elle m'a laissé prélever au mois d'août sur son extrême fatigue, et soyez parfaitement Convaincus tous les deux que, lorsqu'on fera le compte exact de votre guérison, on n'y découvrira pour leur bonne part les ferventes prières du Bourg d’Iré et des religieuses de l'hospice Swetchine6 à Segré. Là-dessus, cher ami, je vous embrasse de tout cœur en vous faisant grâce de mes réflexions sur Monsieur de Bismarck7 et Monsieur de la Valette8.

1Gazette de France.

2Sans doute Madame Swetchine. Choix de méditations et de pensées chrétiennes, publiées par le Cte de Falloux, Tours, A. Mame et fils, 1867, 265 p.

3Éditeur à Tours.

4Vitet, Louis-Ludovic (1802-1873). Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il collabora au Globe et publia divers ouvrages. Élu député de Bolbec (1834), il devint vice-président du Conseil d’État. Le 8 mai 1845, il entra à l’Académie française. Député à la Législative, il siégea avec la droite monarchiste. Il se retira dans la vie privée après le coup d’État. En 1871, il se fit élire à l’Assemblée Nationale. Il publia plusieurs ouvrages dont, De l’état actuel du christianisme en France, en 1867.

5Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, épouse de Montalembert depuis 1836.

6Hospice fondé en 1864 à Segré à l'initiative de Falloux.

7Bismarck, Otto Eduard Leopold von (1815-1898), homme d'état allemand. Il devint le premier chancelier (1871-1890) de l'Empire allemand.

 8La Valette, Charles marquis de (1806-1881), diplomate et homme politique français. Diplomate à partir de 1835, il fut élu député en 1846 et siégea avec les conservateurs. Révoqué en 1848, il est nommé ambassadeur à Constantinople par le Prince président en 1851. Remplacé en décembre 1852, il devint sénateur l’année suivante. Anticlérical et libre penseur, ami du prince Napoléon, de Rouher et de Thouvenel, il fut nommé par ce dernier de nouveau ambassadeur à Constantinople en février 1860. Il y joua un rôle central lors des événements de Syrie et dans la négociation du nouveau statut du Liban. En août 1861, il fut nommé ambassadeur près le Saint-Siège ce qui fut considéré comme un geste envers Turin, La Valette étant connu pour son « italianissime ». Chargé de faire admettre un retrait des troupes françaises, sa mission fut un échec en raison de l’intransigeance de Pie IX. En octobre 1862, il démissionna de son poste avec ses amis du « parti » pro italien (Benedetti, Flahaut) par solidarité avec Thouvenel disgracié et contraint de quitter le Quai d’Orsay. Membre du Conseil privé, dévoué à Rouher, La Valette devint ministre de l’Intérieur en 1865. C’est à ce titre qu’il participa au Conseil du 5 juillet 1866 au lendemain de Sadowa, au cours duquel il fit échouer avec Rouher le projet de « médiation armée » défendu par leur rival Drouyn de Lhuys. Il signa alors qu’il assurait l’intérim des Affaires étrangères la fameuse « circulaire du 16 septembre 1866 », document diplomatique inspiré par l’empereur qui présentait l’unité allemande comme conforme aux intérêts de la France et de l’Europe. Devenu ministre des Affaires étrangères le 17 décembre 1868, il entama des négociations secrètes avec l’Autriche pour faire barrage à la Prusse. Désapprouvant les nouvelles réformes libérales, il quitta son ministère le 17 juillet 1869 et devint ambassadeur à Londres, poste qu’il occupa jusqu’à la chute de Napoléon III.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1er Octobre 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1866,mis à jour le : 15/04/2021