CECI n'est pas EXECUTE 13 juillet 1867

Année 1867 |

13 juillet 1867

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

13 juillet 1867,

Très cher ami,

Je vous devais des nouvelles de Dreux1, car vous aviez pris à mon expédition un intérêt qui m'a bien touché ; mais d'abord j'ai payé cette journée comme de coutume, ensuite je suis parti pour Angers puis pour le Bourg d’Iré et mon retour coïncidait avec l'inhumation de Fernand de la Ferronnays2 dans une tombe de famille à Saint Mars la Jaille3 aux confins du Maine-et-Loire et de la Loire inférieure. Je me promettais bien de m'y rendre, d'y voir Madame Craven et de vous en rendre compte, mais il a encore fallu rester au lit ce jour-là, et quoique votre illustre ami me fasse espérer qu'elle viendra déjeuner ici mardi prochain, je ne veux pas retarder davantage à me justifier près de vous, et à vous remercier de votre dernière lettre qui m'a fait tout le plaisir que peut faire une lettre de vous quand elle m'annonce pas plus de progrès dans votre santé. Armez-vous de patience mon pauvre chère ami ; la patience est pour tout le monde et particulièrement pour vous l'une des formes du courage et peut-être la plus méritoire de toutes ; elle ne doit donc pas vous manquer.

Je reviens maintenant en arrière, sur Rotrou4, parce que j'ai rapporté de cette épreuve un argument de plus en faveur d'une thèse qui nous divise quelquefois, c'est que la France garde le goût des bons sentiments et que sans tous les genres de pièges qui lui ont été tendus depuis quatre vingts ans et tous les genres de jougs qui se sont successivement appesantis sur sa tête, elle serait encore digne de son passé. Je n'étais pas sans inquiétude pour le fonds sermonnaire de mon discours en bien, sauf la phrase sur les drapeaux qui était un peu grossièrement provocatrice des applaudissements, nuls passages n'ont été plus chaleureusement accueillis que ceux sur la mort, l'éternité, et l'humilité du cœur. Le soir même démonstration à Venceslas: tous les grands sentiments, tous les grands devoirs, toutes les maximes héroïques ont été salués par les acclamations les plus intelligentes ; je sais bien qu'applaudir et pratiquer ce qu'on applaudit sont deux choses fort différentes, mais cependant il y a toujours un lien entre nos admirations et nous-mêmes et tant ce qu'un individu ou un peuple garde le goût des choses élevées, il ne faut pas désespérer de lui. Vous m'aviez souhaité les attaques du Siècle, je ne n'en ai eu qu'une épigramme mêlée à des compliments.

Ne croyez pas, cher ami, qu'en revenant ainsi sur ce qui m'est personnel je lui donne la préférence sur M. Thiers, sur Jules Favre et sur l'évêque d'Orléans5 ; j'ai été comme vous fort ému par le tout, et je le suis fort ce matin par les nouvelles d'Italie qui annonce une marche imminente contre Rome ; il fallait en effet que la révolution s’avouât vaincue ou qu'elle risquât les derniers efforts pour répondre aux magnifiques provocations de l’Église tout entière. Quoi qu'il advienne de cette inévitable et prochaine tentative, il me semble que c'est en tout cas une immense grâce de Dieu que d'avoir permis l'annonce du concile avant cet assaut. C'est comme si on avait égorgé Louis XVI la veille de l'ouverture des États généraux. Il y a toujours des limites et des tâches à ce que les hommes réalisent ; il y en a point à ce qu'ils imaginent, et c'est en tout cas une bien noble gloire que de succomber au moment où on allait ouvrir la bouche de l’Église universelle fermée depuis trois siècles, et cela en face de tous les exemples contraires, de toutes les oppressions et de toutes les bassesses de la politique. Je répète donc plus que jamais avec vous, cher ami, sursum corda6, et je vous embrasse de toute mon âme comme je vous aime et vous admire.

Alfred

1Il s'agit du discours prononcé par Falloux lors de l'inauguration , le 30 juin 1867, de la statue de Jean Rotrou (1609-1650), poète et dramaturge.

2Fernand Adolphe de La Feronnay (1804-1867), fidèle du comte de Chambord, il fut l'un des premiers membres de son bureau politique et mourut dans ses bras, à Frohsdorf.

3Saint-Mars La Jaille, commune de Loire-Atlantique. Fernand de La Ferronay y possède un château.

4Voir note 1 supra.

5Mgr Dupanloup.

6Élevez vos cœurs.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 juillet 1867», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1867,mis à jour le : 15/04/2021