CECI n'est pas EXECUTE 10 septembre 1868

Année 1868 |

10 septembre 1868

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

10 septembre 1868,

Cher ami,

Je ne vous écris ce matin ni pour vous dire combien je m’unis à vous angoisse du côté de Rome, et à vos souffrances sur votre lit de douleur, ni pour essayer de vous prêcher encore une fois une double patience ; cas, tout en murmurant, vous vous résignez avec un admirable courage et, pour le moment, je ne vois de pressé que ce qui concerne votre beau-frère1. Veuillez d’abord lui offrir mes très fidèle et très reconnaissantes amitiés car je n’ai jamais cessé de trouver en lui en toute occasion, une bienveillance pour moi à laquelle je suis bien sensible. Je me réjouis de le savoir sur son terrain électoral, et, s’il dépendait de moi de l’aider autrement que par des vœux ardents, je n’y manquerai pas. En ce qui concerne l’Union de l’Ouest, je n’ai vraiment point à me faire valoir : elle lui est toute dévouée par l’esprit et par le cœur, et il peut lui adresser, en telle abondance qu’il le jugera utile, des renseignements qui seront tenus pour une bonne fortune. Je dois seulement vous avertir d’une règle qu’une dure expérience a contraint Cumont de s’imposer : en matière de faits où les noms propres et l’administration se trouvent directement engagés, il ne peut rien insérer sans pièces bien sûre certifiées, bien appuyées par les signatures authentiques, avec autorisation de mettre les signatures au jour, si besoin en était. Si le journal n’est pas préalablement ainsi cuirassé, on le coule aussitôt à fond par un procès en diffamation ; encore les meilleures preuves n’en sauvent pas toujours, témoin le procès pour l’instituteur de Thorigné2, au printemps dernier, procès dans lequel Cumont avait les mains pleines de preuves, ; mais dans cette affaire d’Angers, le préfet était personnellement engagé, et Cumont avait commis quelques petites imprudences de formes, dont on a aussitôt profité. Dans d’autres circonstances, il a constaté que, lorsqu’il pouvait faire savoir, soit au parquet, soit à la préfecture, que les hommes qui lui avaient envoyé des documents étaient prêts à les affirmer eux-mêmes et allait soutenir jusqu’au bout, on le laissait tranquille. Il est donc toujours prêt à entrer vaillamment en campagne, et ne demande pour cela que des armes appropriées à ce genre de combat.

L’évêque3 me promet sa visite pour cet automne ; peut-être réserve-t-il pour cela les communications dont vous me parlez ; mais je n’ai nulle envie d’attendre jusqu’à cette date, toujours incertaine avec lui. Je suis donc très impatient, pour mon propre compte du brouillon que vous me laissez entrevoir. À supposer même que l’évêque ne tienne sa parole formelle, il me sera très bon d’avoir eu le temps de réfléchir sur ce document qui fera avec vos questions, le fond de tous mes entretiens.

Merci mille fois, très cher ami, de votre bon accueil à ma musique, et des détails que vous me faites connaître sur l’Angleterre4. On m’avait d’abord annoncé une réplique de Laprade5, et lui-même m’avait très aimablement écrit dans ce sens ; maintenant je n’entends plus parler de rie6. S’il me réplique en effet, je tiendrai bon, et jugerai de votre rectification sur l’Angleterre. S’il vous vient quelqu’ autre bonne pensée à ce sujet et que de la dicter ne vous fatigue pas trop, vous me ferez un extrême plaisir ; car je suis sérieusement convaincu qu’il y a un certain intérêt public au fond de cette polémique, qui ne paraît à quelques-uns de nos amis qu’une fantaisie d’imagination assez puérile.

On n’ose plus parler de sa santé devant vous, bien cher ami ; je tiens cependant à vous dire, non pour me plaindre, mais pour me justifier et surtout pour me consoler un peu, que n’ayant pas eu le courage d’aller jusqu’à La Roche7, je n’ai pas davantage celui d’aller à Rochecotte, où j’étais fort vivement appelé ce mois-ci. Je n’ai pas non plus été à Caradeuc, où tout mon monde se trouve en ce moment, et où je vais envoyer le post-scriptum écrit de votre propre main, car il touchera bien vivement ma femme, qui vous est, je vous l’assure, bien profondément attaché à tous, et à qui j’envoie les moindres détails que je reçois de Maîche8. J’espère que Madame de Montalembert9 a reçu mes empressés remerciements ; renouveler les lui encore édite bien à Mademoiselle Madeleine il y a un point sur lequel je ne vous crois jamais, celui où vous vous calomniez vous-même, en y englobant ceux qui vous entourent. Vous pouvez vous donner carrière là-dessus tant que cela vous soulagera : cela n’a aucun inconvénient, et quelquefois même j’en ris de bien bon cœur. Où je ne ris plus, mon pauvre cher ami, c’est quand je pense à tout ce que vous souffrez et cette pensée-là ne me quitte guère. Je vous embrasse du fond de l’âme.

Falloux

 

2L'Union de l'Ouest, périodique dirigé par A. de Cumont venait d’être assigné à comparaître au tribunal pour diffamation contre le sieur Cesbron, instituteur à Thorigné, en Maine-et-Loire.

3Mgr Dupanloup.

4Montalembert était l’auteur de De l’avenir politique de l’Angleterre, publié en 1855.

5Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.

6En avril 1866,Victor de Laprade avait publié dans Le Correspondant, sous le titre Philosophie de la musique, des pages où il signalait les abus de la musique contemporaine, refusant de placer cet art au-dessus de la peinture et la poésie. L’article répondait au discours prononcé le 25 juillet 1865 par Falloux lors de la distribution des prix de l’Institut de Combrée, un discours qui sera reproduit dans Le Correspondant du 25 août 1865 sous le titre De la musique, véritable plaidoyer pour cet art majeur, la musique étant à ses yeux « la seule langue véritablement universelle ».

La lettre ci-présente fait allusion à l’article publié par Falloux le 25 août 1868, dans Le Correspondant et qui est une réponse à V. de Laprade. La polémique se poursuivra (voir les lettres suivantes). Pour V. de Laprade étant « un élément tout extérieur », « tout physique » la musique « ne nous élève ni ne nous soutient dans l’ordre des sentiments « .

7Le château de La Roche-en-Bresnil dans le Doubs est la propriété de Montalembert.

8Commune de Franche-Comté où se situait le château des Mérode, la famille de Madame Montalembert.

9Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 septembre 1868», correspondance-falloux [En ligne], Année 1868, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 18/04/2021