CECI n'est pas EXECUTE 23 septembre 1868

Année 1868 |

23 septembre 1868

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d’Iré, 23 septembre 1868

Très cher ami

Cumont se désole de ne rien recevoir de Werner de Mérode, et moi de ne point voir venir ce brouillon que vous m’aviez si aimablement laissé espérer. Je viens donc redoubler ma sollicitation près de vous, en vous demandant pardon de ne faire que d’un seul mot ; car après quelques semaines d’une amélioration relative, voici de nouveau ma tête toute détraquée.

Savez-vous ce que devient l’évêque d’Orléans1 ? Je n’entends plus du tout parler de lui, ni du mandement sur le concile, après un échange très animé de quelques lettres sur ce sujet, il y a un mois.

Veuillez joindre, je vous en prie, à l’envoi de votre manuscrit, un tout petit bulletin de votre santé ; car je considère les trois dernières élections comme trois nouvelles meurtrissures, pour votre pauvre cœur, toujours si ardemment présent sur toutes les grandes brèches de ce temps-ci. Quelle déroute dans tous les rangs ! Quelle matière à exploitation, qu’un tel parti démocratique ! Ah ! Cher ami, quel mal n’a pas fait à la France la déplorable rencontre d’un grand imbécile et d’un grand criminel, M. de Polignac2 et M. le duc d’Orléans ! À quelle hauteur ne serait pas la France aujourd’hui, si on avait mis un peu de patience et un peu de justice à laisser se fonder le régime constitutionnel, en maintenant l’inviolabilité royale ! J’adoucis un peu mon chagrin, en le faisant remonter dans le passé, et il n’y a pas longtemps qu’en relisant quelques pages de votre ami Saint-Simon3, j’ai pleuré, mais vraiment pleuré la mort du duc de Bourgogne4. Usez quelquefois de cette recette, cher ami ; en se reportant à d’autres malheurs que ceux qui nous touchent immédiatement, on devient plus calme, peut-être plus juste et l’on reconnaît que ce n’est pas pour nous tout seuls que la souffrance, l’ingratitude et l’impuissance ont été inventés ; on songe moins aussi à se plaindre soi-même, quand on voit combien, dans leur ensemble, la patrie, et la vérité ont encore plus à gémir que nous !

Là-dessus, chers amis, je vous embrasse bien tendrement et malgré les consolations que je recherche beaucoup plus pour vous que pour moi, bien tristement.

Falloux

P.S. Voici un mot d’Augustin Galitzin, qui me dit que vous arrivez à Paris. Pourquoi ?

 

1Mgr Dupanloup.

2Jules de Polignac (1780-1847) avait été le dernier chef de gouvernement de Charles X. Il n'avait pu enrayer le mouvement qui devait conduire à la révolution de Juillet 1830.

3Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de (1675-1755), duc et pair de France, courtisan et mémorialiste, il fut un témoin essentiel de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence.

4Très lié au duc de Bourgogne, Louis de France (1682-1712) second sur la liste de succesion de Louis XIV, était son fidèle partisan mort avant d’avoir pu espérer monter sur le trône.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 septembre 1868», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 18/04/2021