CECI n'est pas EXECUTE 26 août 1884

1884 |

26 août 1884

R.P. Xavier Dufresne à Alfred de Falloux

Hermance (Genève) ce 26 août 1884

Monsieur,

Il a fallu le mariage de ma sœur que nous avons célébré jeudi dernier pour m’empêcher de vous écrire plus tôt au sujet de votre remarquable article. Je ne vois personne aujourd’hui de capable d’écrire comme cela. La portée d’esprit, la profondeur du sens politique, l’énergie et la finesse, une forme des plus élégantes et des plus distinguées et par-dessus tout une lucidité admirable, voilà des dons, Monsieur, que personne après vous ne possédera au même degré. Votre valeur est de parler à un public à-peu-près complètement dépourvu de sens politique. Tout ce que vous dites est clair comme le jour et cependant cela risque d’être compris de peu de gens, le pape du moins vous lira comme il a lu l’abbé Lagrange et son intelligence supérieure est capable de vous saisir. Il prépare dit-on une encyclique sur les questions relatives à la politique et au libéralisme. Ce serait le moment de lui parler et vous ne pouvez avoir Monsieur une plus magnifique occasion que celle qui vous est fournie par l’exécution du testament de Son Éminence le Cardinal de Falloux. Léon XIII n’a pas votre caractère décidé et prompt à l’action, mais il a l’esprit très large et très ouvert. Je ne crois pas que depuis qu’il est sur le trône pontifical il ait reçu la visite d’aucun homme capable de produire sur lui autant d’impressions que vous.

Vous avez mis beaucoup d’art à laisser parler les évêques. De la sorte on ne vous accusera pas de dogmatiser. On sent d’ailleurs que vous connaissez les doctrines et vous n’en blessez aucune. Si une réflexion m’est permise, je me hasarderai à dire qu’à votre place j’aurais mis un mot en faveur d’une autorité ferme, très compatible du reste avec le régime constitutionnel. Je dis cela parce que nous avons besoin de rallier les bonapartistes et parce que dans les divers voyages en France j’ai cru remarquer que le génie de la nation est plus autoritaire que je ne le supposais dans mon enfance.

Votre ton est vif, mais vous avez tant souffert et vous ne pouvez voir de sang-froid compromettre ces deux causes bien aimées qui s’appellent l’Église et la France. D’ailleurs si l’on ne vous avait jamais attaqué que sur le ton que vous preniez vous-même, combien vos polémiques auraient été différentes. En un mot votre article est admirablement pratique, il met dans un plein-relief ce fait qu’il ne suffit pas de dire aux catholiques oubliez vos querelles, mais qu’il faut encore déterminer avec précision la ligne d’action qu’ils doivent suivre une fois unis. Ceci même ne suffit pas : une fois la ligne d’action déterminée, il faut obliger l’armée à la suivre, autrement on n’aboutit à rien.

Nous avons ici l’abbé Lagrange que le pape a admirablement reçu, ce qui est une preuve de l’accueil qu’il vous ferait à vous-même. Certainement on obtiendra pas tout de Léon XIII, mais on peut obtenir quelque chose d’important.

Veuillez agréer, Monsieur l’hommage de mon plus profond respect.

Dufresne, prêtre


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 août 1884», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1884,mis à jour le : 18/12/2021