CECI n'est pas EXECUTE 4 juillet 1866

Année 1866 |

4 juillet 1866

Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux

Paris, Passy le 4 juillet 1866

Monsieur et très honoré confrère,

Je craindrais d’avoir l’air de douter un peu trop de votre confiance en moi, si je vous disais que j’ai depuis longtemps lu le dernier recueil des Lettres inédites de Madame Swetchine. Cela va sans dire. Non seulement je l’ai lu, je l’ai étudié, je le sais par cœur, comme on dit et je n’ai plus qu’à écrire en quelque sorte sous la dictée de Madame Swetchine pour bien parler d’elle. Je me propose de faire très prochainement ce travail, resté si sérieux et devenu si facile. Mille empêchements, surtout, pendant ces six dernières semaines, la place envahie dans les journaux par la stérile abondance des débats législatifs, m’ont contraint de l’ajourner. Aussi, Monsieur, si vous rencontrez par hasard dans le Journal des débats, d’ici à peu de jours, quelque autre article signé de mon nom, c’est que j’aurais donné, à une autre étude moins considérable, les heures très partagées que j’ai pu disputer dans ces derniers temps, à des soins, à des préoccupations et à des tristesses de toute sorte.

Sans parler de nos amertumes de famille qui sont cruelles, nous avons eu le contrecoup du malheur de nos Princes1, qui viennent d’être frappés dans la plus chère de leurs affections. Et puis, quant au chagrin privé se joignent les tristesses publiques, l’homme est obligé à de grands efforts pour échapper à cette double étreinte. Elle y étoufferait en y restant. Les uns en sortent par la prière, d’autres par le travail et la lecture. C’est presque prier Dieu que de lire Madame Swechine, tant l’âme s’épure et tant le cœur s’élève dans sa compagnie ! « Quand je songe, me disait ma femme après cette lecture, que j’ai passé tout un été à Chantilly en même temps qu’elle, que je l’ai rencontrée à l’église, que je l’ai vue à la promenade, et que j’ai manqué cette occasion de la connaître ! » Le regret est vif en effet, quand on vient de la lire. Il me reste, Monsieur, dirais-je à la juger ? Le mot serait ridicule, s’il n’était pris dans le sens d’une appréciation littéraire. Et encore, Madame Swetchine est-elle un écrivain ou un artiste que le goût du style ou le culte de la forme préoccupe en aucune manière ? C’est une âme toute pleine d’impressions qui tantôt s’affirment tantôt lui échappent, et auxquelles la distinction de son esprit donne naturellement une forme supérieure. Ah ! que je voudrais pouvoir dire que cette supériorité lui est, presque partout, acquise dans sa correspondance avec M. de Tocqueville, malgré mon admiration pour cet éminent et pénétrant esprit ! Et que je voudrais savoir aussi qui est cette Madame de Dxx à laquelle est adressée la belle lettre du 26 janvier 1850 ? Madame Swetchine, il est vrai, fait vivre dans ses lettres le caractère et l’image de sa correspondance, elle n’y donne comme un écho de leur voix. C’est égal, je voudrais savoir le nom de Madame de Dxx.

Je désire, Monsieur est honorable confrère, que cette lettre vous trouve ou tranquille chez vous, ou, si elle va vous rejoindre dans quelque Villegiatura thermale, vous félicitant d’y être venu. Ce n’est que justice et réciprocité de ma part, je vous souhaite du bonheur. Il se mêle aussi à ce sentiment ceux de l’ancienne et sympathique estime que j’ai toujours professée pour votre caractère et votre talent, les ayant vus à l’œuvre l’un et l’autre. Veuillez en agréer le nouvel et sincère hommage.

Cuvillier-Fleury

1Sans doute le décès de Louis Philippe Marie Léopold d’Orléans (1845-1866), prince de Condé, prince de la Maison d’Orléans, fils du duc d’Aumale.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 juillet 1866», correspondance-falloux [En ligne], Année 1866, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 06/06/2021